Nul ne peut apprendre à la place de l’élève. C’est une vérité que tout enseignant connaît bien. Mais comment impliquer chaque élève pour qu’il s’approprie vraiment le programme ? Pour Charles Hadji seul un travail sur les processus d’apprentissage peut faciliter ces acquisitions. Professeur à l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, Charles Hadji ne cache pas les influences de l’école de Genève et du Self Regulated Learning. Il invite les enseignants à réfléchir à l’importance de doter les élèves des outils intellectuels qui favorisent l’apprentissage plutôt qu’à les gaver des connaissances des programmes.
« La meilleure façon de faire son métier d’enseignant c’est d’enrichir la capacité d’autorégulation des élèves », nous dit C. Hadji. C’est une véritable propédeutique de l’apprendre qu’il veut initier. Il invite à créer les conditions d’apprentissage qui obligent à l’élève à se jeter à l’eau mais aussi qui lui permettent de prendre du recul sur ses propres pratiques. Le vrai travail de l’enseignant c’est d’initier cette métacognition qui va rendre l’élève plus efficace et plus savant. Oui mais comment ? C Hadji montre comment organiser sa classe, comment accompagner les élèves. Mais c’est en facilitant l’autorégulation des élèves que le professeur les aide. Pour cela il propose des grilles d’analyse, des fiches d’aide pour améliorer l’apprentissage des élèves. C’est une véritable révolution culturelle que nous propose C Hadji. Il s’agit de passer d’apprentissages régulés par l’extérieur à des apprentissages autorégulés par des jeunes qui auront appris à travailler vraiment. Bel objectif !
Vous défendez l’idée d’une autorégulation pour impliquer les élèves. Comment la définiriez-vous ?
C’est la capacité de prendre en charge la régulation de son propre comportement en particulier d’apprentissage. Je ne fais que rappeler ce qu’il y aurait lieu de faire pour aider les élèves à apprendre. La seule chose que peuvent faire les enseignants c’est conforter cette capacité. Je rappelle Linda Allal : l’autorégulation est un processus de base dans tout comportement. « Elle est forcément présente à tout moment en chaque apprenant », écrit-elle. Le problème c’est de permettre à ceux qui apprennent de mieux l’utiliser. Il s’agit pour les enseignants de permettre à cette autorégulation de passer de l’état de processus implicite et mal contrôlé à l’état de processus explicite, conscient et maîtrisé.
Quelle place a l’évaluation formatrice dans cette démarche ?
C’est une des trois racines qui conduisent à voir dans l’autorégulation le processus qu’il faut enrichir pour aider les élèves à apprendre. Il est passé d’une préoccupation d’évaluation à une préoccupation d’évaluation mise au service des apprentissages. Quand on se pose cette question alors on débouche sur l’idée que l’apprentissage est quelques chose que les élèves autorégulent nécessairement pas plus ou moins bien. Il faut les aider. Le courant de l’évaluation formative rejoint deux autres courants : la psychologie constructiviste et de l’apprentissage auto-régulé (self regulated learning) qui s’est posé la question de savoir comment aider les apprenants à devenir plus autonomes. L’idée a été posée clairement par P Perrenoud : si on veut aider les élèves à apprendre il faut parier sur l’autorégulation. J’essaie de montrer pourquoi il faut faire ce pari et comment le réussir en faisant la synthèse de travaux. . La meilleure façon de faire son métier d’enseignant c’est d’enrichir la capacité d’autorégulation des élèves.
C’est un axe décalé par rapport à la culture et aux pratiques des enseignants ?
Les pratiques des enseignants sont fondées sur des représentations. Par exemple l’enseignant comme transmetteur ou étant au service du savoir et d’un programme. Alors que la question centrale ce n’est pas le programme mais les objets d’apprentissage. Il faut construire une nouvelle culture à partir des 3 sources mentionnées. Une culture centrée sur des outils mentaux : le rôle de l’enseignant c’est d’outiller l’élève en le dotant d’outils mentaux. C’est une vraie révolution culturelle. Le plus grand nombre des enseignants sont pris dans les structures actuelles, par exemple l’inspection, et pensent en terme de programme.
L’enseignant qui voudrait changer quels outil sil pourrait utiliser ?
L’ouvrage est à la fois théorique et pratique. Je propose des pistes. Mais au-delà, chaque fois que les méthodes d’éducation active, les Cahiers pédagogiques proposent des outils, tout ce qui permet à l’élève d’être actif dans ses apprentissages et en même temps de prendre du recul, tout cela va dans le sens d’une autonomie des élèves et constitue un outil pour enrichir les capacités d’autorégulation. Il y aurait deux catégories d’outils : tout ce qui rend actif : il faut que l’élève ait l’occasion de faire. La plupart des enseignants font cela. Le deuxième type d’outil aide à la prise en distance par rapport à ce que l’élève fait. Tout ce qu’on a appelé la métacognition. Les grilles d’observation; d’autorégulation , les grilles d’évaluation formatrice, les cartes d’étude pour identifier les opérations à réaliser pour réussir une tâche, vont dans le sens d’une distanciation productive. Gérard Scallon par exemple propose de nombreux outils d’autoévaluation et d’autorégulation. Les enseignants peuvent aider els élèves ne s’aidant d’outils du type fiches de tâche et en ayant davantage conscience des objets d’apprentissage vesr lesquels ils dirigent les élèves. Il y a déjà beaucoup d’outils. La correspondance Freinet par exemple ou la correspondance par twitter : ce sont des outils d’activité. Il fait aussi des outils d’auto- analyse qui mettent en évidence ce qu’il y a à faire, à ne pas oublier. A quoi être attentif pour ne pas rater une dissertation par exemple. Il y a lieu de rendre l’élève actif en lui proposant des activités qu’il ne peut éviter mais en les dotant d’outils d’auto-analyse. Je me sens très proche de ceux qui ont pensé qu’il devrait être possible de permettre à 95% des élèves de réussir à condition de ne pas se focaliser sur les programmes et de bien comprendre que les élèves doivent acquérir des objets d’apprentissage en étant actifs. Aider l’élève c’est lui permettre d’acquérir la maitrise consciente de cette autorégulation de base.
Aujourd’hui il y a un courant qui conteste cette voie au nom de l’égalité sociale en présentant les pédagogies explicites comme plus justes socialement. Que leur répondez-vous ?
Que faut-il entendre par pédagogie explicite ? Il est certain que l’appartenance socio economique conditionne la réussite. Mais que peut-on faire ? Agir sur les conditions économiques ? Ce n’est pas du domaine de la pédagogie. Il nous appartient d’essayer dans nos conditions de travail de faire entre les élèves dans les cadres que je pose . Ce sera plus ou moins facile selon le degré d’autonomie des élèves. Où qu’en soient les élèves le chemin est le même pour tous. Tous les élèves n’ont pas le même niveau d’autonomie mais la direction est la même pour tous. Evidemment qu’il faut aider les élèves. Mais il faut le faire en leur proposant des activités qui les impliquent et leur donnent des chances de mieux contrôler leur activité. On peut expliciter une stratégie d’apprentissage.
Actuellement le contexte peut-il aller vers le sens d’une évolution des pratiques ?
C’est difficile à dire. La transformation s’opère souvent en souterrain. On peut penser que le contexte de la refondation est propice à un travail qui consiste à repenser l’activité de l’enseignant autour ce l’activité d el’élève. Dans ce cadre il n’y a pas d’obstacle institutionnel. Restent des obstacles comme l’évaluation des enseignants. Mais quelles que soient les circonstances un enseignant peut réfléchir à ses principes d’action. Avec le changement politique une nouvelle étape s’ouvre il est donc plus important d’essayer de montrer comment l’autorégulation pourrait être une voie. Ce livre est un rappel à l’essentiel, une invitation à aller à l’essentiel.
Propos recueillis par F. Jarraud
Charles Hadji,Comment impliquer l’élève dans ses apprentissages, ESJ Editeur, 2012.