Les enfants de l’immigration, une
chance pour l’école ?
Derrière l’apparente provocation, Marie-Rose Moro tient une posture
portée par une expérience personnelle : son instituteur fut celui qui,
à la fois, contribua de manière décisive à son insertion scolaire et
changea son prénom pour le franciser…). C’est sa carrière
professionnelle de
professeur en psychiatrie de l’enfant qui l’amène à ouvrir « des consultations pour enfants migrants,
c’était à l’hôpital
public Avicenne de Bobigny ». Mais la question transculturelle
n’est pas
qu’une question de banlieue. Et c’est en entendant un ministre dire un
jour à la radio que le problème de l’échec scolaire était celui des
enfants de migrants qu’elle a décidé de prendre la parole, pour faire
connaitre ce qui lui semble les trois
conditions de la réussite des
parcours scolaires des enfants de migrants :
– D’abord, avoir une bonne représentation sur sa
langue d’origine, au-delà de la maîtrise ou non de la langue
maternelle, qui aide les jeunes enfants à investir la langue de
l’école, langue seconde
– ensuite, faire l’expérience de la rencontre d’un «
passeur », enseignant ou travailleur social, qui reconnaisse le savoir
des parents, et aide à construire la posture d’élève,
– Capacité à expliciter ce qui leur permettait de
passer d’un monde à l’autre, de sortir du clivage entre l’école et la
maison.
Or, explique la psychiatre, nombre d’enfants ont une représentation
négative de leur langue maternelle, ne trouvent pas toujours un adulte
qui joue ce rôle de tutorat ou ne comprennent pas pourquoi le monde de
l’Ecole n’est pas celui de leur famille, et en restent aux conflits de
légitimité. « Relier les mondes du
dehors et les mondes du dedans, c’est avec cette idée que j’essaie de
travailler les « vulnérabilités » liées à la « différence », aux
situations, pour les transformer en « créativité », en « savoirs » ou
en « liens ».
Pour passer de l’égalité de principes à l’égalité de faits, elle
propose donc de penser les conditions de « l’alterité », plutôt de
rester « coincés par l’ambiguité du concept de différence ».
Pour elle, penser les différents types de familles, les différents
usages de la langue, les différentes places occupées dans les
différentes cultures par les rituels, les conceptions sur l’éducation,
les relations, le genre, les savoirs…, c’est imaginer que sa propre
norme n’est pas la seule possible. «
Comprendre que « regarder dans les yeux » n’a pas la même valeur dans
les différentes culture, c’est capital pour comprendre que les
conceptions sur le savoir peuvent être différentes. Poser une question,
ça peut être considéré comme une preuve d’ignorance, dans certaines
familles… ».
Dans le même genre, un père d’Afrique de l’Ouest peut ne pas comprendre
que la maitresse attribue la réussite de son enfant à son mérite
propre, alors que dans sa culture, c’est le travail de la maîtresse qui
amène son fils sur la route du savoir, et elle risque de faire peser
sur les épaules de l’enfant un fardeau trop lourd en lui attribuant la
responsabilité de sa réussite… ou de son échec !
« Une
enfant mutique à l’école, poursuit-elle, ce peut être la marque d’une enfant qui ne
sait pas «comment atterrir» dans le monde social. »
Ce n’est qu’en trouvant des techniques pour la faire passer d’un monde
à l’autre, par exemple par des contes bilingues, que l’Ecole va pouvoir
lui permettre de savoir qu’on peut être ensemble tout en restant «
différents »…
Revenant à la question du bilinguisme,
elle souligne que si les
ressources des enfants « bilingues » sont bien connues pour les langues
« dominantes » comme l’anglais ou le chinois, c’est beaucoup plus
difficile à faire passer pour les langues des immigrés dominés… Mais
pourtant, la « mobilité linguistique » est une arme que doit aussi
utiliser l’Ecole, à partir des travaux de l’équipe de sociolinguistes
du LIDILEM de Grenoble, comme la « rose des langues », pour «
fluidifier leur rapport à l’histoire et à la géographie ».
« Réussir à l’Ecole, ça fait partie
du projet migratoire d’une famille. Tout ce qui aide à reconnaitre les
compétences des familles, à faire comprendre aux familles ce
qu’est une note, une pratique scolaire, est positif pour sortir des
préjugés« . Elle insiste : les enseignants doivent y être formés
pour intégrer à leurs situations d’enseignement ce que savent les
enseignants de FLE. Et conclut : « Les
petits riens des multiples adaptations doivent davantage permettre à
l’école de se métisser un peu Tout le monde y a intérêt. »