Par François Jarraud
Mais qu’est-ce qui leur prend ? La pension, qui était la menace ultime des familles, est à la mode nous dit Maryline Baumard. Ce sont les jeunes eux-mêmes qui supplient leurs parents pour aller en internat. Responsable du service éducation du Monde, elle analyse ce curieux phénomène dans un ouvrage publié chez JC Lattès.
Est-ce l’effet Harry Potter ? Le succès de l’internat est bien réel avec 220 000 élèves en 2011. Et, aux dires des chefs d’établissement, la liste d’attente serait encore plus longue. M. Baumard étudie le phénomène en s’appuyant sur les analyses de spécialistes réputés comme Xavier Pommereau ou Claude Halmos. En fait les jeunes vont chercher en internat ce qu’ils ont du mal à trouver dans leur environnement habituel. Stabilité de l’encadrement, régularité des horaires, habitudes de travail, convivialité, les motivations sont variables. En ce sens, la vogue de l’internat interroge l’évolution de la famille, celle de l’Ecole, la société dans son ensemble.
Construit à partir de témoignages, l’ouvrage se lit facilement. Il présente plusieurs établissements et répond aux questions que les parents peuvent se poser quand ils ont à choisir un internat.
Maryline Baumard, Vive la pension. Ces ados qui veulent aller en internat. JC Lattes, 2012, 194 p.
M. Baumard : En internat, certains jeunes retrouvent le goût du travail
Quelles sont les motivations des jeunes pour demander d’aller en internat ? Aide-t-il vraiment les jeunes à construire leur avenir ?
Comment est venu le projet de ce livre ?
De plusieurs rencontres. Des chefs d’établissement, lors d’enquêtes pour Le Monde, m’ont spontanément parlé du succès de leur internat et des demandes qu’ils reçoivent. J’ai vu dans mon entourage de nombreux jeunes se poser la question de l’inscription en internat. Alors l’idée m’est venue d’écrire un livre sur ces enfants qui veulent aller en pension.
La demande d’internat est-elle vraiment importante ?
Elle est moins importante que dans les années 1970, avant qu’on construise de nombreux collèges. Dans le monde rural, l’internat reste une solution quand les distances à l’école s’allongent mais globalement les motivations ont changé. IL y a actuellement environ 220 000 internes, environ 4% des collégiens et 8% de ceux du privé. Les internats évoluent. Les vieux dortoirs c’est fini. Dans mon livre j’évoque un établissement où l’internat est devenu un motel par exemple. Les méthodes pédagogiques ont aussi changé.
L’internat est-il le dernier refuge des classes favorisées ?
Le prix des internats est souvent élevé , avec des exceptions comme les internats d’excellence.
Qu’est ce qui peut motiver un adolescent à demander à aller en internat ?
Le motif le plus fréquent c’est le désir de réussite scolaire. Certains jeunes ont du mal à travailler seuls et un fort désir de réussite. L’internat avec ses horaires cadrés, ses études dirigées est un vrai appui pour eux. Il y a aussi le goût du vivre ensemble. Les jeunes baignent dans un univers virtuel et ils ont envie d’amis réels, du sentiment d’une vraie communauté. Parfois cette motivation est cachée aux parents pour qui on met en avant plutôt la motivation scolaire. Enfin le succès de Harry Potter doit aussi jouer.
Peut-on dire que l’internat est un modèle pédagogique spécifique ?
En fait il y a de tout sur ce point dans les internats. Les parents ont intérêt à se renseigner sur l’encadrement qui n’est pas toujours très bon. Mais l’internat permet de cadrer les adolescents. Il y a des interdictions, des obligations. Certains jeunes y retrouvent le goût du travail et amorcent un cercle vertueux avec le plaisir que donnent les bonnes notes. Mais pour d’autres c’est l’échec. S’il n’y a pas de chiffres officiels on peut dire que ce n’est pas rare.
Quand le jeune est interne il met entre parenthèse les écrans, la sexualité. Il a une éducation spécifique. L’internat ne forme-t-il pas des jeunes à part, plus ou moins inadaptés ?
Les jeunes ont conscience de ce risque. Je me souviens d’une jeune fille qui a décidé de quitter l’internat pour finir son lycée de façon à vivre comme tout le monde. Si les psys sont généralement très favorables à l’internat, l’un d’eux insiste sur le risque de perte de l’environnement affectif du jeune. Ca ne convient pas à tout le monde.
La rupture avec le numérique est aussi un problème…
Les internats ont des règles différentes sur l’accès au téléphone portable et au wifi. Cela dépend aussi de l’âge du jeune. En général Facebook et les portables sont interdits. Il y a toujours une salle informatique mais elle ferme vers 21 heures. En gros les internats arrivent à imposer aux jeunes ce que les parents ont souvent du mal à faire. Les jeunes ne sont pas coupés du monde.
Et puis il y la vie collective qui finalement est plus riche que quand on est chez ses parents. Finalement c’est formidable d’être avec ses copains tous les soirs à des heures où on est face à ses parents… Pour certaines jeunes l’internat c’est l’apprentissage de la colocation.
Les collectivités territoriales réfléchissent-elles à ce regain de l’internat ?
On peut citer le cas de la région Ile-de-France. Henriette Zoughebi, vice présidente du conseil régional en charge des lycées, a fait beaucoup pour la mixité sociale et de genre des internats. Elle veut offrir aux internes du soutien scolaire et des offres culturelles. Dans la région Centre, François Bonneau, président du conseil régional, travaille sur la prise en compte globale des élèves.
Propos recueillis par François Jarraud
H Zoughebi et l’internat
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/09/06HZoughebi.aspx
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