Par Bruno Devauchelle
Redonner du sens aux apprentissages, voilà le pari d’un groupe d’enseignants du lycée professionnel et technologique La Fayette (Héricy, Seine et Marne), réunis dans le collectif « Les @rts outillés ». Et pour cela, s’appuyer sur les technologies numériques pour les mettre au service de la créativité d’élèves de l’enseignement professionnel.
Hommage aux équipes
Ils sont neuf enseignants (Philippe Morin, Daniel Pouzet, Stéphane Paillot, Karim Chekroune, Valérie Marty enseignants de productique, Christophe Scherg et Eric Pilaud, deux enseignants de construction, Cyrille Moinard enseignant de mathématiques et Richard Douillet enseignant de lettre-histoire) qui ont choisi depuis plusieurs années de chercher des solutions pour inciter leurs élèves à apprendre. Etonnamment, ils se sont tournés vers la culture, la créativité et le design pour engager une démarche originale et évolutive de remotivation de leurs élèves de Bac Pro techniciens de l’outillage (TO) et BTS Etude et réalisation d’outillage (ERO). Aujourd’hui cette démarche se prolonge et met les technologies numériques au service de leur projet, les considérant aussi comme des éléments de la culture contemporaine, celle des jeunes en particulier.
Du griffonnage au design
A l’origine en 2005, dans un cours, deux élèves griffonnent sur leur cahier des petits dessins alors qu’ils étaient en train de travailler sur un projet de pièce à réaliser donné par leurs enseignants. En regardant ces dessins, les enseignants ont pu s’apercevoir que les élèves avaient détourné le projet original en y ajoutant leurs idées, surprenantes, humoristiques, créatives. Les prenant au mot (au trait de crayon devrait-on dire), ils ont proposé aux élèves de réaliser ces pièces imaginées comme une distraction. En proposant cette démarche, qui repose sur l’implication forte de l’élève dans le choix du projet, les enseignants se sont rendus compte que de prendre les élèves à leur propre jeu avait permis de les motiver tout en garantissant les apprentissages contenus dans le référentiel.
Cette dynamique de projet a été complétée par un partenariat avec le Lycée du Gué à Tresmes, lycée des métiers d’arts. En rapprochant les élèves des deux établissements, les enseignants ont permis aux élèves de design de proposer aux élèves d’outillage de réaliser « leurs idées ». Par un aller retour entre les élèves, accompagnés par les enseignants, il a été possible de rendre concrètes des idées qui pouvaient en rester au virtuel. La rencontre entre les élèves des deux établissements est un enrichissement et une motivation supplémentaire pour des jeunes dont certains sont a priori peu motivés par la « mécanique »…
La tablette détournée pour le contrôle en cours de formation
Aujourd’hui, toujours dans la même dynamique, le groupe d’enseignants de cet établissement à l’origine de ce projet poursuit ses expérimentations et à engagé un travail autour des outils numériques qui ont déjà révolutionné les métiers qu’ils enseignent et qui révolutionnent aujourd’hui la culture des jeunes. Sur leur site les enseignants écrivent « Force est de constater que ces outils numériques font désormais partie de leur univers et se déploient rapidement dans le monde professionnel ». A partir de ce constat le groupe s’est engagé dans une démarche qui « consiste à garder l’esprit ouvert et à s’approprier ces outils très attractifs pour les jeunes pour, d’une façon pragmatique, saisir dans quelle mesure ils peuvent infuser nos pratiques techniques et pédagogiques et diffuser leur pouvoir dans l’industrie ».
A l’origine de cette expérimentation avec les TIC, une élève avait pu voir dans une exposition que l’utilisation des flashcodes avec le smartphone permettait d’accéder à des informations immédiatement en lien avec ce que l’on voit ou l’on fait. Dès lors l’idée de transposer cet outil dans l’atelier est venue rapidement : et si on pouvait accéder à la documentation numérisée alors que l’on est au travail auprès des machines, au lieu d’être obligé de s’éloigner pour aller lire la documentation papier. Le smartphone prenait ainsi un sens nouveau dans une pédagogie qui souhaite aider les élèves à apprendre. Dans la suite de cette première étape, l’apparition de la tablette avec ses possibilités proches des smartphones mais beaucoup plus lisible, a donné quelques idées. Introduire la tablette dans l’atelier est peut-être un moyen supplémentaire de motiver les élèves et de résoudre certains problèmes de suivi et d’évaluation. Ainsi le contrôle en cours de formation (CCF) a-t-il pu s’appuyer sur l’usage de la tablette pour fabriquer les traces de l’activité à évaluer. Après quelques mois d’utilisation, les enseignants ont pu observer que les élèves s’étaient emparés de ces outils. Pour faire un compte rendu de travail l’utilisation de l’appareil photo de la tablette associé à des outils de mise en page a permis d’amener les élèves à fabriquer ainsi leur compte rendu de travail. Lorsque l’enseignant est occupé dans l’atelier avec un élève sur une machine, les autres peuvent venir le voir pour lui montrer le problème qu’ils rencontrent après l’avoir photographié eux-mêmes sans obliger l’enseignant à interrompre l’action qu’il est en train de faire. Ainsi se sont progressivement développés des usages pertinents de ces outils, smartphones et tablettes, en associant l’envie des enseignants de favoriser ces usages et l’inventivité des élèves face à ces technologies.
Dans la même dynamique, et les expérimentations présentées sur le site Internet qui y est consacré, le groupe d’enseignants à trouvé dans ces outils une nouvelle façon de travailler le handicap, le trouble, la difficulté d’apprentissage. Constatant que nombre de leurs élèves ont des troubles de l’apprentissage, ils ont trouvé dans les outils numériques des auxiliaires précieux pour les aider à développer leurs compétences. Parce que le numérique prolonge, élargit les capacités de perception et d’action, les enseignants ont essayé de mettre des tablettes en place pour surmonter certains handicaps. Constatant que la mécanique est de moins en moins une affaire de manipulation lourdes et de plus en plus une affaire de réflexion, ils ont utilisé ces outils pour donner à jeunes ayant des handicaps ou des troubles importants les moyens de les surmonter.
Des enseignants qui prennent en main l’organisation des apprentissages
En faisant connaissance plus avant avec les enseignants et leurs projets, on se rend compte qu’il y a une conjonction de faits et de personnes qui rendent possible et pertinent ce genre d’expérimentation :
• D’abord il y a une dynamique d’équipe qui croise des enseignants de matière professionnelle et de matières générales de LP et LT.
• Ensuite il y a un appui des responsables de l’établissement. Même si, le plus souvent, les enseignants ont entamé sans moyens (autre que leurs propres moyens) leurs projets, lorsqu’ils ont pu en montrer la pertinence, le proviseur a fait en sorte qu’ils trouvent des appuis et des ressources.
• Il y a une réflexion culturelle et pédagogique originale qui est fondatrice du projet. L’un des enseignants, à l’origine de la démarche, est passionné de l’histoire du métier (l’outillage est un des plus anciens métiers, connu depuis l’âge de bronze !). L’équipe accorde de l’importance à la dimension créative dans son enseignement. C’est en particulier la créativité, l’inventivité des élèves qui est sollicitée. Bien que garantissant le cadre des apprentissages, les enseignants sont confrontés à l’imprévu des projets de leurs élèves. Pas question de tout planifier et d’enfermer les élèves dans le modèle de départ. Au contraire une interaction entre enseignants et aussi entre élèves. Les enseignants ont « pris en main » avec l’accord de leur hiérarchie l’organisation du temps et de l’espace de l’apprentissage. Chaque fois qu’ils le peuvent ils conçoivent les horaires d’enseignement pour que les matières générales aient lieu le matin de 8h à 10h. De plus l’atelier étant vaste, les élèves de BTS sont en cours, chaque fois que cela est possible, en même temps que les Bac Pro et doivent aussi travailler avec eux selon les projets.
• Les enseignants de matière générale sont associés aux projets et partagent des thématiques communes avec les enseignants d’atelier afin de donner davantage de sens et de cohérence aux cursus des élèves
Le numérique, un fait de culture
Les enseignants ne sont pas dans l’illusion concernant leurs élèves. Ils savent bien qu’ils doivent être force de proposition pour les faire avancer dans leurs compétences. Constatant que beaucoup ont fait l’acquisition (parfois avec des sacrifices importants) d’ordinateurs personnels, ils ont intégré cela dans la dimension du projet en leurs permettant d’utiliser ces ordinateurs, et les logiciels professionnels nécessaires « comme devoir à la maison » (sans pour autant leur donner de travail à faire). Constatant à plusieurs reprise l’engouement des jeunes et leur volonté d’aller plus loin, ils ont trouvé là un moyen d’éduquer au numérique d’une manière nouvelle. Certes il peut y avoir des dérapages, mais les règles sont claires et les élèves les connaissent, mais au vu des résultats scolaires et de l’épanouissement des jeunes, les enseignants se sentent récompensé de leur investissement.
Parfois regardés comme des originaux, des hurluberlus, ces enseignants s’efforcent de faire partager leur passion et leur enthousiasme, mais aussi leurs questionnements. Ils associent à leur démarche cette métaphore : « Le Boléro de Ravel, au fur et à mesure des années, nous enrichissons nos pratiques grâces à l’intégration de nouveaux outils, comme les instruments qui arrivent donnent de plus en plus de force à la musique. Nous sommes plutôt dans une approche systémique de notre métier. »
Avec ces pratiques, on peut comprendre comment l’utilisation d’outils technologiques nouveaux n’est pas un gadget à coller sur une réalité, mais plutôt un fait de culture dont il faut mesurer l’intérêt dans un contexte d’apprentissage professionnel afin de leur donner toute leurs pertinences. L’originalité de la démarche est ici de mettre le numérique au service d’une amélioration des apprentissages des jeunes. Pas le numérique seul, mais le numérique dans une véritable problématique pédagogique que l’on cherche à résoudre.
Bruno Devauchelle
Liens :
Le site de présentation du projet tablettes et enseignement
http://lesartsoutilles.jimdo.com/veilles/2011-2012/par[…]
Le site de l’établissement
La page facebook du groupe
https://www.facebook.com/pages/Les-Arts-Outil[…]
Le site du lycée partenaire : Lycée du Gué-à-Tresmes
http://caccia.ecoles.officelive.com/default.aspx
Sur le site du Café
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