Un atelier : « construire le tableau à double entrée dès la maternelle. A quelles conditions ? »
C’est à partir d’une de ces situations-défis éditée dans l’ouvrage d’Odette Bassis « Concepts-clé et situations-problèmes, Hachette, 2004 » que Sylvie Chevillard propose de fabriquer un jeu de cartes de figures de clown avec 3 critères : visage long/allongé, sourire rigolard/mine déconfite, chapeau melon/triangle/haut de forme. Travail individuel d’abord, puis mise en commun. Certains ont douze cartes, d’autre seize, ou six.. « Alors, tu as fait comment ? » Certains ont « dessiné spontanément, en ajoutant des cheveaux pour donner de la vie ». « J’ai un vieux truc de maths modernes qui m’est remonté, j’ai fait un arbre, je n’en reviens pas moi-même… » Certains dessins n’ont pas de chapeau. « Après tout, on peut ne pas avoir de chapeau… » D’autres ont essayé le tableau à double entrée. Mais comment faire avec trois critères ?... On prend conscience des différents cheminements. Entre ceux qui s’attendent à jouer aux cartes, et ceux qui voient dans la situation un problème mathématique, les priorités d’action ont été bien différentes.
Et avec les jeunes enfants, comment cela se passe-t-il ? Les animatrices engagent une seconde phase de la démarche, par deux. Cette fois, il faut fabriquer des maisons à partir de murs et de toits. « Toutes les maisons possibles avec les deux critères » précise-t-elle. Au risque d’une activité rapidement débordante. Il faut une nouvelle consigne : « chaque maison doit être unique ». Des tableaux à double entrée apparaissent progressivement. Une mise en commun s’impose : on comprend que la tâche est différente selon qu’on privilégie l’activité mathématique ou plastique. D’où l’utilité que chaque enfant ait bien eu l’occasion d’avoir une activité personnelle avant le travail en commun…
On pense faire la même chose, mais on ne fait pas la même chose… Les critères mathématiques eux-mêmes peuvent varier. Certains classent, d’autre rangent : mais ranger les jouets n’est pas « se ranger » : se mettre les uns derrière les autres n’est pas classer ensemble ce qui va ensemble. « Souvent, en maternelle, on se contente de faire remplir des tableaux à double-entrée, et pourtant les enseignants de cycle III déplorent que leurs élèves n’aient pas acquis ce qu’est une abscisse et une ordonnée ».
« C’est peut-être parce que les élèves ne font pas le lien entre l’activité réalisée et l’outil universel qu’est le tableau à double entrée. » explique S. Chevillard. L’enseignant est le garant que l’objectif de construction de savoir soit le plus partagé possible, et réduire les malentendus, en ajustant les consignes au fur et à mesure des observations qu’il fait dans la situation de travail.
Elle montre des exemples de productions d’élèves, qui montrent les cheminements, les traces qu’on va pouvoir saisir de l’activité de chacun. Elle insiste sur les verbalisations nécessaires, à chaque étape, pour permettre de confronter les manière de faire. En atelier ou en grand groupe ? « Au moins en demi-classe pour susciter la richesse des échanges. En atelier, la réflexion et les échanges risqueraient d’être un peu secs ». « Et le rôle de l’enseignant est important pour étayer les échanges oraux, préciser le vocabulaire. Etre avec tous les enfants permet de voir que des enfants qui étaient très en retrait dans la première phase se mettent à intervenir dans les échanges, avec une grande jubilation »...
« Mais dans la phase de grand groupe, faut-il continuer à faire manipuler ? » demande un participant de l’atelier. La réponse est nette : « On suspend le faire, forcément. Les enfants se mettent beaucoup plus à distance s’ils observent le travail de l’autre. A un moment donné, on montre des productions affichées et on en parle, on lit, on met ensemble ce qui va ensemble, on cherche les critères, on argumente devant les autres, on nomme, on théorise, on généralise. C’est là qu’on change de registre, qu’on parle davantage de carrés et de triangles que de murs et de toits… Et ensuite seulement on se remet à faire, à l’identique pour s’entrainer ou en changeant un critère… Pour que l’enfant fasse le lien explicite avec le tableau à double entrée qu’il verra à l’entrée de la cantine… »