Quels peuvent être les apports de la recherche dans l’observatoire francilien de la réussite scolaire et de la mixité sociale ? Les acteurs de terrain et les chercheurs peuvent-ils se mettre d’accord sur des propositions d’action ? Son Thierry Ly, doctorant à l’école normale supérieure, chargé par la région d’un rapport sur l’état de la recherche sur la mixité sociale dans l’éducation répond à nos questions.
Pourquoi avoir choisi les inégalités scolaires et la mixité sociale comme thématique de recherche ?
Par intérêt personnel. Lorsque j’étais lycéen, j’ai fréquenté le lycée Marx Dormoy à Champigny, qui accueille un public plutôt défavorisé, puis l’année d’après le lycée Hector Berlioz à Vincennes, en plein triangle d’or du Val de Marne. Cela a été un véritable choc culturel, qui n’a cessé d’avoir des conséquences et des répercussions sur mes activités. Entré à l’école normale supérieure pour y suivre un cursus de biologie, j’ai finalement opté pour une formation en histoire, sciences économiques et sociales. J’ai été responsable d’un projet de tutorat par des normaliens d’élèves de banlieue pour les aider à accéder aux concours des grandes écoles, et ai continué à travailler avec nombre de lycées, dans le cadre du dispositif régional Réussite pour tous. Je suis depuis longtemps passionné par ce thème et j’ai été heureux de pouvoir rejoindre l’équipe d’Eric Maurin pour y travailler.
Pour le lancement de son observatoire de la réussite scolaire et de la mixité sociale, la région vous a chargé de remettre un rapport faisant l’état des lieux de la recherche à ce sujet. Quels en sont les principaux points ?
Tout d’abord je constate que la massification du système éducatif n’a pas permis en France de réduire les inégalités sociales, mais qu’elle a eu un effet très positif pour tous les élèves concernant l’allongement des études et l’augmentation du niveau scolaire, et donc sur le bien-être matériel et moral. D’autres pays que la France ont réussi à réduire les inégalités avec la massification et ce sont ceux qui ont su éviter la ségrégation entre filières. Personnellement, je pense qu’un tronc plus ou moins unique tout au long du secondaire serait une bonne solution, mais je suis bien conscient que cela suppose de résoudre de nombreuses difficultés en amont, notamment la gestion de l’hétérogénéité.
J’ai essayé, plus que dans un travail de recherche, d’axer le rapport sur les problématiques intéressant directement la région, comme ségrégation scolaire ou carte scolaire. Mais j’ai aussi voulu donner une image aussi générale que possible de l’état de la recherche actuelle. J’ai évoqué les débats nationaux et internationaux, y compris sur des problèmes qui n’agitent pas le système éducatif français. Ce travail indépendant aidera, je l’espère, la région à formuler les appels d’offre sur les recherches à mener pour l’observatoire.
Ce travail était-il néanmoins en phase avec votre thèse ?
Complètement. Cela m’a obligé à réaliser un travail bibliographique de fond et m’a donné un regard global et plus structuré sur l’état général de la recherche dans le domaine. Cela a été un apport indiscutable que de dépasser le cadre de mes travaux spécifiques plus spécialisés, comme la discrimination dans les concours d’accès aux grandes écoles ou l’orientation à la fin de la seconde.
Quels sont selon vous les apports que l’observatoire pourrait attendre des chercheurs, alors que la région entend bien l’utiliser comme outil d’aide à la décision sur des politiques éducatives ?
La région n’est pas la seule à mettre en place un observatoire avec une problématique économique. L’observatoire de la vie étudiante, OVE, par exemple, distribue chaque année des prix et subventions. Je trouve très intéressant de vouloir lier davantage la définition d’une politique publique avec les avancées du monde de la recherche. Mais il n’est pas forcément simple d’établir un lien entre chercheurs et acteurs de terrain, car ils ne parlent pas la même langue. Les chercheurs ont une autre vision, s’intéressent à des réformes et des projets qui ne sont pas toujours ceux qui préoccupent les acteurs politiques, comme par exemple les débats internationaux sur la prime au mérite. Il y aura un travail à faire pour passer d’un discours à un autre. Les appels d’offres proposés par les collectivités sont parfois déconnectés des travaux de recherche et de la nécessité de publication. Il faudra être vigilant pour éviter ces déconnections et arriver à trouver des compromis.
Propos recueillis par Françoise Solliec