C’est un peu l’histoire de nos ERS. Il y a des cas où face aux « sauvageons » tout espoir éducatif semble perdu et où le pouvoir politique ne parle que répression et enfermement. Dans ces cas-là il y a parfois des hommes ou des femmes qui inventent des démarches pédagogiques originales pour réinsérer dans le société des petits d’homme qui s’en sont éloignés. Ils le font dans un cadre institutionnel qu’il investissent et parfois subvertissent.
Dans « Pédagogues de l’extrême », Rémi Casanova et Sébastien Pesce présentent une douzaine de cas pris un peu partout dans le monde. A Roubaix, mais aussi en Inde, au Danemark, au Mozambique, en Argentine, au Portugal ou en Ile-de-France. Les publics sont différents. Les éducateurs aussi. Les méthodes également. Mais toutes ces expériences parlent très fort aux enseignants.
Elles disent que tous les enfants sont éducables. Qu’il s’agisse de voyous, de gamins abandonnés ou d’enfants victimes de handicap. Face à ces situations, on voit les éducateurs inventer un biais, une série de ruses, de méthodes aussi qui vont leur permettre d’amener les enfants à construire leur place dans la société. En ce sens ce livre apporte une grande leçon d’espoir aux enseignants. Il leur donne aussi des méthodes et des outils pour avancer et penser leurs pratiques. Un ouvrage fortement utile et qui se lit facilement. Quitte à le faire tourner ensuite un bon moment dans sa tête…
Rémi Casanova, Sébastien Pesce, Pédagogues de l’extrême. L’éducabilité à l’épreuve du réel, ESF Editeur, 2011, 200 pages.
Sébastien Pesce : « Quand on lit ces expériences, on est rassuré »
Sébastien Pesce montre l’intérêt de l’ouvrage : un livre plein d’espoir mais aussi plein de conseils pratiques pour faire évoluer nos représentations et nos pratiques.
Pourquoi cet intérêt pour les pédagogues « de l’extrême » ? Pourquoi s’intéresser à ce qui reste marginal ?
Evidemment il faudrait s’intéresser aux deux. Mais ce choix est théorique et opportuniste. Théorique parce qu’on aborde les questions d’éducation sous l’angle des situations difficiles; c’est fort à la mode de parler d’enfants difficiles. Du coup on a trouvé intéressant d’aller voir ce que font des enseignants confrontés à des situations vraiment de grande difficulté, de violence par exemple, et d’observer ce qu’ils sont capables de trouver comme solution. Si ces enseignants là y arrivent, alors pourquoi pas nous ? Et puis il y a eu une opportunité : celle de la rencontre avec ces témoins qui constituent le livre. On a trouvé leur expérience exceptionnelle. Or souvent ils n’ont pas la parole . On a voulu leur donner.
Dans le passé les pédagogues de l’extrême ont-ils joué un rôle important ?
Les expériences pédagogiques dont on parle le plus en formation c’est celles de personnes en situation normale. Freinet par exemple, ou même Fernand Oury. En revanche ceux qui se sont colletés à des publics vraiment marginaux, Freire par exemple, sont peu connus.
Quand on travaille ainsi sur les pédagogues de l’extrême, fait-on un ouvrage militant ou savant ?
Clairement c’est un ouvrage militant. On a eu envie de donner la parole à des gens qui agissent. C’est peut-être un message dur pour les enseignants. Il ne sous-entend pas que les enseignants ne font pas leur travail. Il réagit à un discours « abandonniste » qui laisse entendre que la situation éducative est tellement catastrophique qu’on ne peut pas y arriver avec tous les enfants. L’ouvrage est militant parce qu’il montre que justement on peut travailler avec ces enfants dont personne ne veut. Enfin l’ouvrage n’est pas savant parce qu’on a pris bien soin de vulgariser et de traduire dans une langue simple les expériences pédagogiques. Ce n’est pas théorique.
L’ouvrage dresse le portrait d’une douzaine de pédagogues de l’extrême. Or bien peu sont des enseignants. N’est-ce pas un problème ?
On a une enseignante dans une école indienne et les enseignants danois, qui sont tout sauf marginaux. Au Danemark l’idée c’est que les gens qui innovent se trouvent aussi dans le système. En Inde ça montre que malgré l’évolution générale du pays le système éducatif semble figé. Tout cela amène à s’interroger. Les pédagogues innovants peuvent -ils trouver place dans le système ? Il n’y a pas de doute pour la réponse : c’est oui. On sait qu’il y en a en France. Notre échantillon est biaisé parce qu’on s’est appuyé surtout sur des exemples étrangers.
L’ouvrage pose en principe l’éducabilité. Mais c’est quoi pour vous : une connaissance ? Une idéologie ? Une théorie ? Une croyance ?
C’est trois choses. Une certitude scientifique, un ensemble de savoirs mais surtout une posture. C’est un choix professionnel qui s’appuie sur l’expérience. Tant qu’on n’a pas admis cela alors on prend le risque d’aller dans le mur face aux échecs, de les attribuer à des facteurs personnels. En France on trouve souvent l’idée que c’est la faute au gamin instable , hyperactif ou doté d’une famille à problème, ou encore à l’institution. Parfois elle complique le travail mais elle ne l’empêche pas.
On est frappé par la part du sport et de l’EPS dans ces pédagogies. Comment l’expliquez-vous ?
C’est d’autant plus frappant que l’EPS fait partie des disciplines, avec les arts, laissées de coté. Or c’est un outil privilégié par les pédagogues particulièrement face aux problèmes de violence. Ca dit quelque chose de la place du corps. Notre conception pédagogique a longtemps ignoré le corps, par angoisse, ou plus récemment par manque de connaissances. Or dans ces expériences, le corps est une clé d’entrée dans des apprentissages qui ne sont pas sportifs mais sociaux. C’est un vecteur pour entrer dans une micro société. Ca nous éclaire aussi sur la mécanique des apprentissages. Le corps sert aussi à la conceptualisation. On le voit bien dans l’article de P Mohl : la place du corps dans la classe est très importante.
Quels grands enseignements peut-on tirer de ces pédagogies extrêmes ?
Le premier c’est que quand on lit ces expériences, on est rassuré. Les enseignants sont parfois dans des situations de difficulté et de souffrance. Ces histoires rassurent et permettent de retrouver une motivation. Le second apport est plus concret. Le livre apporte des petites techniques simples même si on s’est bien gardé de faire un livre de recettes. Mais il y a des descriptions de pratiques qui méritent d’être retenues. Par exemple comment au Mozambique Anne-Cécile Manicom met en oeuvre son projet. Elle réunit des adultes et met en place des outils d’observation où les adultes sont responsabilisés. Elle fait des réunions régulières des adultes pour réaliser un journal télévisé où ils présentent leurs réflexions. Elle a eu l’intuition de dédramatiser la situation et de rendre convivial ce moment. Du coup elle embarque les adultes dans la construction d’une posture réflexive sur leurs pratiques de formation. Un autre bel exemple c’est l’école danoise. La salle de classe est confiée aux élèves qui l’aménagent. L’idée que le groupe existe qu’il investit le lieu c’est simple et ça peut être dupliqué. Et ça change tout.
Comment passer de la pédagogie de l’extrême à la pédagogie dans l’institution ?
D’abord l’institution, c’est nous. C’est le collectif et pas seulement les patrons du système. Il est donc impensable d’être contre l’institution. Et dans cet espace on a encore beaucoup de liberté. Le message c’est de dire qu’on peut être critique envers l’institution mais qu’on ne peut pas exister en dehors d’elle. On peut faire des choses très bien en envoyant tout balader. Mais pas longtemps. Si on veut que l’innovation soit entendue et relayée et qu’elle existe véritablement il faut travailler avec l’institution. C’est ce que font nos pédagogues de l’extrême. Si Freinet n’avait pas collaboré avec le système éducatif officiel, dans la formation des enseignants par exemple, il n’y aurait pas des milliers d’instits Freinet aujourd’hui.
Quels conseils peut-on donner aux enseignants qui font face à un public difficile ?
Le premier conseil c’est celui de Freinet : ne jamais être seul. Il faut parler de son travail avec quelqu’un ou des camarades. Car si on veut expérimenter, il ne faut aps tomber dans le laboratoire et traiter els élèves en cobayes. C’est important de parler avec quelqu’un qui motive ou freine selon les cas. Il ne faut pas non plus hésiter à penser sa pédagogie comme un bricolage. Il faut être modeste, ne pas chercher à tout révolutionner. Il faut être plein de principes mais pas dogmatique. Il faut toujours travailler dans un cadre de sécurité psychique et physique pour les enfants. Par exemple garder les repères horaires. Il faut accepter que ce qui marchait hier ne marche plus demain. Par exemple remettre en question l’aménagement de la salle de classe si l’on voit qu’il ne fonctionne plus aussi bien.
Quand l’on veut résoudre des difficultés il faut toujours respecter trois règles. Prendre le temps d’établir els faits : ça évite les explications idéologiques si fréquentes dans l’enseignement. En confrontant les interprétations on a plus de chances de pouvoir agir efficacement. Il faut inviter à analyser y compris le cadre spatial par exemple de la classe. Quand on fait cela il faut passer à l’action avec modestie avec une expérimentation d’un temps suffisant pour évaluer et faire évaluer.
Dans la situation actuelle , ce livre a-t-il un avenir ? N’allez-vous pas à contre-courant ?
On est depuis des années dans une situation où dans la société entière le débat pédagogique a disparu. Jamais on n’ a eu autant de recherches, d’outils de réflexion et de média spécialisés. Et jamais la pédagogie a aussi peu existé dans le champ politique. On parle de moyens, de recrutement , pas de pédagogie. On va donc à contre-courant.
Mais il se passe quelque chose d’inquiétant qui peut tout changer : la décentralisation de l’Ecole, sa libéralisation. On va vers des territoires éducatifs autonomes avec le danger de disparition de l’éducation nationale. Avec un peu de chance, cela va ramener le débat pédagogique au niveau local. On peut ainsi rêver au retour du pédagogique.
Propos recueillis par François Jarraud
Présentation du livre