Par Antoine Maurice
Ce mois-ci nous avons rencontré pour vous Bernard Dancoisne, professeur d’EPS au collège Paul Eluard de Noyon (60), il nous propose une démarche très intéressante, à partir de l’usage de la vidéo et de tablettes PC au service des apprentissages pour une classe de 4ème.
Qu’est ce qu’une classe mobile en EPS ?
Il s’agit d’une adaptation de la classe mobile telle qu’elle est utilisée dans les autres disciplines. Les deux points communs entre une classe mobile et sa déclinaison en Education Physique et Sportive (E.P.S.) sont la multiplication des ordinateurs et la mobilité avec un chariot mobile pour le stockage et la recharge des batteries des caméscopes et des ordinateurs. Le chariot a été entièrement repensé dans ses fonctionnalités et son agencement. Cet outil permet non seulement de se déplacer sur le lieu d’apprentissage des élèves sans se rendre dans une salle spécifique, mais encore il multiplie le nombre de postes informatiques.
Cependant, les contraintes en E.P.S. sont un peu différentes de celles des autres matières. C’est pourquoi on a préféré des tablettes à la place d’ordinateurs portables car elles sont très résistantes aux chocs, à la poussière et à l’humidité. De plus, les usages ne nécessitent pas un clavier. La puissance des machines choisies permet l’affichage, la capture, et le traitement des vidéos. Elles bénéficient d’une connectique autorisant le branchement de caméscopes. Une classe mobile en E.P.S. se différencie également par l’absence d’un logiciel de pilotage des ordinateurs. Le contrôle à distance des ordinateurs ne s’est pas révélé nécessaire jusqu’à maintenant. Chaque poste est autonome, mais il est possible de transférer les fichiers enregistrés sur d’autres ordinateurs ou sur le disque dur de grande capacité par l’intermédiaire de SDCard.
Comment cette démarche a-t-elle vu le jour ?
Au cours de l’expérimentation académique du logiciel Dartfish Team Pro au cours de l’année scolaire 2005-06, j’ai constaté que le feedback vidéo augmentait la motivation des élèves pendant leurs apprentissages et leur permettait de passer plus rapidement d’une étape à l’autre. J’ai essayé de multiplier le nombre de postes de capture pour que davantage d’élèves en tirent profit.
Le problème du déplacement du matériel, de son stockage, de la recharge des batteries s’est alors posé. J’ai défini le cahier des charges pour permettre la prise de vues sur trois machines, l’analyse et l’enrichissement sur trois autres postes et la diffusion avec un vidéo-projecteur et un TBI grâce à un ordinateur supplémentaire dédié à ces tâches. C’est à l’occasion d’une visite au salon Educatice que j’ai trouvé un chariot léger, modulable et suffisamment solide. Il a fallu que le constructeur du chariot s’intéresse au projet pour que celui-ci voie le jour.
Vous nous décrivez le matériel, mais quels usages avez-vous de tout ce matériel ?
Je distingue deux manières d’utiliser la classe mobile : soit il existe un retour sur la pratique motrice par la consultation d’un écran de contrôle (écran de l’ordinateur, vidéo-projecteur) sans création de fichier, soit il y a un stockage de vidéos sur le disque dur.
Pour le premier usage, l’utilisation du feedback vidéo se fait en direct (l’acteur se voit pendant qu’il agit) ou en léger différé (l’acteur se voit juste après l’action). Pour ces deux formes de feedback, les vidéos sont volatiles puisqu’elles sont stockées dans la mémoire de l’ordinateur et qu’elles disparaissent au fur et à mesure que la mémoire de l’ordinateur s’actualise. Aucun fichier n’est généré, ce qui règle le problème du droit à l’image.
Pour le second usage, il est possible d’apporter des plus-values à la vidéo avec des outils comme le ralenti, l’accéléré, l‘insertion de grilles de référence, de chronomètres, le suivi des mouvements des membres en mesurant les variations d’angles, la mesure de distances… Ces traitements nécessitent une formation pour les élèves puis un peu de temps pour le traitement des vidéos. Depuis le début de l’utilisation de la classe mobile (septembre 2010) et jusqu’à maintenant, j’ai privilégié l’usage sans enregistrement car il me semblait plus porteur de progrès moteurs dans l’immédiat. Nous commençons à basculer vers un usage des fichiers enregistrés.
Les TICE sont souvent perçus comme allant de pair avec une baisse du temps de pratique des élèves. Qu’en pensez vous ?
Il y a pour moi un parallèle entre l’installation du matériel et l’organisation d’un ou plusieurs ateliers avec de la vidéo. Après avoir trouvé une procédure épurée et efficace pour le fonctionnement retenu, une seule démonstration permet de former quelques élèves. Ces derniers seront eux-mêmes capables de réaliser à nouveau la mise en place logistique du feedback et de faire fonctionner l’atelier. Au fil des leçons, les contenus TICE sont développés selon les opportunités. On se rend compte, que le temps réellement consacré au développement de ces compétences validables pour le B2i n’est pas très important. Si l’on prend une image empruntée au monde de la finance, il s’agit, pour moi, d’un investissement. Les intérêts que l’on retire sont multiples : on ne constate aucune baisse de la motivation des élèves pour les apprentissages moteurs, on obtient une meilleure appropriation des critères de réalisation et de réussite en organisant des moments d’observation commentée et on parvient à un franchissement plus rapide des étapes d’apprentissage. Les bénéfices sont largement supérieurs à l’investissement initial.
Ce qui peut poser éventuellement problème, c’est le traitement didactique des contenus TICE, l’articulation des critères de réalisation et de réussite avec la conception des prises de vues. Après quelques essais, la régulation intègre dans l’organisation des tâches d’apprentissage l’alternance des rôles et la circulation des élèves qui doivent passer hors champ de la caméra. Malgré cette apparente complexité, lorsque les différents ateliers sont fonctionnels, l’enseignant gagne en disponibilité pour se déplacer et intervenir d’un atelier à l’autre.
Sans vouloir prendre le contrepied de votre question, il me semble qu’il est possible de gagner du temps de pratique en faisant analyser les vidéos en dehors des horaires d’E.P.S. Les vidéos doivent être enregistrées puis diffusées. L’arrivée de l’E.N.T., depuis la précédente rentrée scolaire, aurait pu faciliter cette analyse. Malheureusement, le volume de stockage restreint et l’absence d’une brique vidéo ne permettent pas cette avancée attendue.
Le dernier argument que je peux avancer est une répartition de la formation aux TICE sur l’ensemble des quatre années passées au collège. Il me semble nécessaire de diluer ce temps de formation pour qu’elle soit intégrée. Cette programmation des contenus rendra possible l’organisation de séquences d’analyse avec la comparaison, la superposition de vidéos pendant le cours sans nécessiter beaucoup de temps.
A propos de l’utilisation de la vidéo, vous parlez de continuité entre le gymnase et la maison ! Vous pouvez nous expliquer ?
Jusqu’à maintenant, j’ai choisi de privilégier le feedback vidéo en différé sans enregistrement. Pour les quelques fichiers qui ont été enregistrés, il s’agissait de vérifier si l’observateur était efficace. Il devait déclencher l’enregistrement uniquement si les critères de réalisation ou de réussite étaient observés. Cette méthode me permet de n’avoir qu’un nombre restreint de vidéos à gérer. Nous allons maintenant pouvoir prolonger le travail en classe par l’utilisation d’une plate-forme vidéo (dartfish.tv) que nous allons tester cette année. La classe est abonnée à une chaine de vidéos qui lui est réservée sur cette plate-forme. Chaque élève de cette classe peut insérer plusieurs commentaires dans les vidéos aussi bien à la maison qu’à l’occasion d’un passage au CDI. Chacun des commentaires est associé à une image dans la vidéo. L’abonné peut également commenter les prestations de ses camarades. Les observations déposées sont accessibles à tous les abonnés, si l’administrateur de la chaine l’a autorisé. Un débat s’instaure entre les différents élèves. Ces échanges favoriseront l’appropriation des critères retenus, un apprentissage à la lecture critique et la mise en projet pour la séquence suivante. La formation à l’utilisation de cette plate-forme est assurée par des didacticiels qui sont diffusés par la messagerie de la chaine de vidéos. Cette messagerie informe automatiquement les abonnés d’un dépôt d’une vidéo le concernant. L’intégration de cette plate-forme par l’intermédiaire de l’E.N.T. est en cours de développement afin d’en simplifier la connexion.
Vous évoquez dans la vidéo, les difficultés rencontrées pour stabiliser les apprentissages des élèves ! Quelles sont vos pistes ?
Les feedback vidéos avec un délai très court mettent en résonance les informations kinesthésiques et visuelles. Ils font aussi réfléchir les élèves à ce qu’ils font et comment ils le font. En conséquence, les élèves apprennent plus vite. L’analyse décalée dans le temps de l’action des vidéos avec des outils de mesure (temps, distance, angle…) permet de comparer les mouvements du même acteur et ainsi d’objectiver le niveau de stabilisation des apprentissages. J’ai eu des difficultés pour comparer deux vidéos d’une même élève. Ce qui m’a permis de les discriminer a été le cadrage et non la motricité. L’étude objective avec les chronomètres intégrés dans ces deux séquences m’a fait découvrir que les mouvements étaient presque identiques dans leur durée, leur accélération. C’est bien un apprentissage stabilisé qui a été mis en évidence car la motricité est analogue dans des conditions similaires. Je n’ai pas de réponse actuellement pour savoir si cette logistique permet de stabiliser les apprentissages.
A travers cette expérience, quel est votre regard aujourd’hui, sur les TICE en EPS ?
Cette expérience me permet de confirmer que l’on peut déléguer aux élèves toute la logistique associée à la gestion des TICE à condition qu’ils aient été formés et que l’on leur fasse confiance. L’évolution des Techniques Usuelles de l’Information et de la Communication est en train de passer d’un usage destiné à faciliter le travail de l’enseignant (avec des documents préparés par traitement de textes, des outils pour simplifier les calculs) à une informatique favorisant les apprentissages moteurs et sociaux des élèves. Des pistes de réflexion sont explorées, bien qu’encore insuffisamment, avec tout ce qui tourne autour de l’interactivité (TBI, boîtiers de vote) et des jeux sérieux. Je vois deux axes à développer dans l’immédiat : la capacité de stockage dans les E.N.T. et la présence d’outils qui autorisent le traitement de vidéos au sein des E.N.T. Des solutions existent déjà et répondent en totalité à ces deux évolutions. Pourquoi ne pas intégrer les plate-formes dédiées à la gestion des vidéos à nos E.N.T., comme le sont déjà l’I.N.A. ou le site.tv par exemple ? L’ajout de ce type d’outils complémentaires aux E.N.T. pourrait constituer un atout pour les utlisateurs que sont les élèves et les enseignants.
Présentation du matériel
http://eduscol.education.fr/eps/animation/CRrassemb2010/cr[…]
Utilisation en cours
http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/temoignages/usages[…]
Sur le site du Café
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