Par Marcel Brun
Décidément, la difficile situation faite aux enseignants débutants depuis la mise en place de la « masterisation » (recrutement des enseignants du premier et du second degré au niveau Master – bas+5) suscite beaucoup d’attentions. Ressources en ligne et ouvrages papier se multiplient. Celui signé en cette rentrée par Françoise Clerc, Sophie Genès et Nicole Priou chez Hachette Education fait partie de ceux qui sont utiles, en particulier parce que la structure de l’ouvrage s’appuie sur une articulation finement tissée entre des analyses expertes, souvent engagées, et environ deux cents « paroles » de débutants, du premier et du second degré, généralement courtes, récoltées dans les formations mises en œuvre par les auteures ou recueillies spécifiquement pour l’ouvrage.
Le principal intérêt de ces multiples points de vue est d’émailler l’ouvrage de paroles directes, souvent centrées directement sur les problèmes de métier, et ne s’embarrassant pas d’euphémismes : « C’est usant de travailler avec des élèves que rien n’intéresse », « les collègues ne viennent pas à vous, c’est à vous d’aller les chercher », « je ne supporte pas le poids des tâches administratives », « j’ai eu des trous noirs à l’entrée en classe »… Mais les paroles recueillies dépassent très souvent le sentiment d’impuissance : elles donnent vite à lire la trace visible des compétences professionnelles en construction chez les débutants, tiraillés entre les multiples défis quotidiens qu’ils doivent relever, mais capables d’analyses souvent lucides des raisons de leurs difficultés.
Le plan de l’ouvrage se cale globalement sur les différentes activités professionnelles que doivent combiner les enseignants dans leur travail : préparer le travail des élèves, organiser les apprentissages au cours de l’année, piloter le travail en classe et réagir aux imprévus, évaluer les apprentissages, faire face aux incidents critiques… Il aborde également la question des valeurs, avec un chapitre final consacré à l’éthique nécessaire. La question de la pratique réflexive du métier, elle, fait l’objet d’une trentaine de pages introductives, détaillant des outils et des modalités de travail possibles.
Membres de plusieurs réseaux associatifs et pédagogiques (Education et Devenir, Cahiers Pédagogiques…), les auteures ne font pas mystère de leurs engagements professionnels. Certaines des pistes qu’elles proposent s’ancrent résolument dans leur expérience de formation et de recherche. Quinze fiches synthétiques émaillent l’ouvrage, rassemblant les points de vue des auteurs sur l’éthique du formateur, l’évaluation, la motivation, l’autorité, le rôle des préparations de cours… Mais elles pondèrent généralement leurs propositions pédagogiques en soulignant la difficulté pour les jeunes enseignants à les mettre en œuvre : travaux de groupe, évaluation par compétences ou le « décalage entre le métier rêvé et le métier réel » est pris au sérieux, et la fatigue inhérente au travail du débutant est largement analysée.
Pour les formateurs qui le pourront, cet ouvrage pourra constituer notamment une mine d’extraits à piller pour induire des situations de formation avec leurs jeunes collègues. Cette importance donnée au « métier réel », sans doute pour partie consécutive à la forte médiatisation des difficultés d’enseignants débutants, peut donner l’occasion aux réseaux de formateurs de poursuivre eux aussi la réflexion sur leurs propres priorités de formation.
Utilisés en réseau avec d’autres ressources disponibles (par exemple la plateforme Neopass@ction de l’IFÉ (ex-INRP), ou l’ouvrage de B. Falaize présenté par le Café, cette nouvelle ressource pour la formation est évidemment tout à fait lisible par les débutants, qui pourront en faire un de leurs livres de chevets.
Il est d’ailleurs intéressant que questions très concrètes, comme l’utilisation du tableau et des instruments matériels de la classe, les relations avec les parents, la gestion du cours double ou l’aide aux élèves sont traités dans ces différents outils avec des préoccupations assez proches.
Et si par hasard le lecteur avait quelques points de controverse avec les options pédagogiques affirmées par les auteurs, l’espace lui est tout à fait donné pour trouver matière, notamment dans les nombreux contrepoints issus des paroles de débutants, pour discuter le métier comme il l’entend.
Comme elles l’écrivent dans leur chapitre introductif, « mener une réflexion sur sa propre pratique, ou participer à des analyses collectives dans le cadre d’un travail d’équipe » doit permettre de construire les conditions du développement des gestes professionnels considérés comme les plus efficients : « Aux professeurs, sur le terrain, de choisir ! »
Marcel Brun
Sur le site du Café
|