Par Monique Royer
Auteurs de textes publiés sur le net par le biais de l’aventure # tweetfemme, les élèves rochelais de la classe 1BPCT de Laurence Juin sont connus des utilisateurs du web 2.0 en pédagogie. Après avoir échangé avec eux sur Twitter, le Café Pédagogique est venu les rencontrer en vrai le temps d’un cours pour parler des réseaux sociaux, du lycée professionnel, de l’éducation, de la vie aussi.
Portraits twittés de femmes
Pour la deuxième année, Laurence Juin utilise twitter en classe comme outil d’apprentissage et d’expression. Cette année, avec les 1ère Bac Pro Comptabilité, elle a décidé d’élargir le cercle, d’aller encore un peu plus hors les murs par les voies du réseau. En mars, pour traiter le thème de la femme dans la société, elle choisit d’associer chacun de ses élèves à une twitteuse. La mission de l’élève : faire le portrait de sa correspondante ; la mission de la twitteuse : se prêter sans à priori aux questions de l’élève. L’expérience #tweetfemme était née, une expérience qui a fait de la 1BPCT du lycée rochelais Pierre Doriole, une tweet-pionnière connue et reconnue.
Vingt-sept femmes ont participé à l’expérience provenant d’horizons différents, choisies par Laurence Juin parmi les abonnées de son compte twitter. Sa classe est très hétérogène avec des élèves âgés de 16 à 24 ans, des profils et des centres d’intérêts différents, une aisance variable avec l’écrit. Le choix des correspondantes était important pour répondre à cette diversité d’autant que leur rôle était de donner les éléments suffisants pour que l’élève puisse produire son travail sans donner un avis sur la forme ou le respect de la consigne, rôle dévolu à l’enseignante. Les échanges étaient certes ouverts mais supervisés par Laurence Juin pour que l’expérience entre bien dans le cadre pédagogique défini au départ.
Laurence Juin m’a demandé de faire partie des tweetfemmes en tant que twitteuse pour le compte @cafepedagogique. J’ai accepté, curieuse de vivre de l’intérieur ce que tweeter pouvait apporter dans l’apprentissage. Mon binôme s’appelle Jean-Charles, un jeune homme de dix neuf ans qui dès le départ prend soin de me demander avec attention comment je vais et comment je twitte. Plusieurs outils étaient utilisés pour les échanges. La prise de contact s’est faite par Twitter, une brève présentation en 140 caractères respectant les contraintes de format de ce réseau social. Puis, le questionnaire pour le portrait était envoyé par mail. Les questions portaient sur les motivations à twitter, le choix de l’avatar, le réseau constitué ou encore la place des femmes sur Twitter. La twitteuse envoyait ensuite sa réponse également par courrier électronique. L’élève pouvait poser des questions par Twitter pour compléter son portrait qui, lorsqu’il était terminé, était publié sur Tumblr, un espace de publication en ligne.
Twitter pour imaginer
Pour beaucoup de binômes, les échanges sont allés au-delà de l’exercice vers de véritables conversations pour mieux se connaitre, savoir le temps qu’il fait ou se donner des nouvelles. Les échanges sur twitter devait comporter la balise #tweetfemme, permettant à tous de suivre le travail, au-delà même du cercle de la classe et de l’expérience. Les DM, messages directs uniquement visibles par l’expéditeur et le destinataire, ont vite fleuri pour donner aux échanges un caractère plus personnel. Vingt sept portraits ont ainsi été publiés reflétant la diversité des femmes interrogées, diversité dans l’âge, la profession, la localisation mais aussi la façon de twitter.
De chaque côté des binômes, l’expérience a été appréciée. Alors, Laurence Juin a décidé de la poursuivre pour aborder un autre thème du référentiel sur les contes et le merveilleux. Elle a demandé à chacun de ses élèves de choisir un portrait réalisé par un autre élève pour écrire un conte à partir des informations données. « S’inspirer du réel tout en étant irréel et au passé simple» précise Camille un des élèves de la classe. Le résultat, agrémenté d’images, donne une collection de contes où l’imaginaire côtoie le souci de rendre à l’autre l’attention qu’il a porté, le fruit d’échanges qui n’auraient sans doute pas pu voir le jour avec autant de spontanéité et de créativité ailleurs que sur un réseau social.
Pour la classe, l’expérience d’écriture sur le web et d’échanges n’était pas la première. Les élèves avaient déjà participé à un concours de poésie interclasses. La plupart d’entre eux utilisent fréquemment Facebook. Les correspondantes sont des utilisatrices averties des réseaux sociaux, certaines impulsent des échanges, d’autres sont journalistes. Il n’empêche, l’expérience twittemmes a permis aux uns et aux autres de se rendre compte un peu mieux de ce qu’identité et communication virtuelles signifient. Pour dresser les portraits, des élèves avaient affaire à une identité collective (c’est le cas pour le café pédagogique), à des twitteuses ne souhaitant pas révéler leur identité, à d’autres qui possèdent un double compte, un pour l’espace professionnel, un pour l’espace privé. Le type d’identité choisi a un impact direct sur le portrait produit mais aussi sur la communication développée par la twitteuse. Les élèves relèvent qu’une des twitteuses les plus extraverties, les plus drôles, agit sous une identité cachée. Les identités collectives sont beaucoup plus retenues puisque représentant non pas la personnalité de l’individu qui twiite mais un collectif et parfois une entreprise. Les tweets publiés entrent dans l’espace public, la maitrise de leur contenu et de leur impact s’avère impérative.
Réseaux sociaux, pour une meilleure image de soi
Les élèves de la 1BPCT connaissent ces nuances puisqu’ils en jouent aussi, cantonnant twitter à l’espace classe et préférant Facebook pour leur espace privé se préservant ainsi une sphère d’intimité. Les échanges plus personnels se sont aussi créés au sein de certains binômes. Les messages directs ont permis de se raconter sans être sous le regard des autres, des choses simples souvent : les vacances, la famille, les passions, les amis, son avenir. Laetitia, par exemple, a pu affiner son projet professionnel avec sa correspondante qui travaille au CDIJ. Tous les élèves n’ont pas eu ce type d’échange avec leur twitteuse. Certains ont eu du mal à passer outre le décalage horaire lorsque leur correspondante habitait de l’autre côté de l’Atlantique et à patienter pour lire la réponse à leur question. D’autres s’en sont tenus au strict travail demandé par manque de temps ou de motivation. Et puis, la disponibilité des femmes était variable. Peu importe, cette partie des échanges facultative et inattendue a montré le plaisir pris de part et d’autres à vivre l’expérience ensemble. Une twitteuse a envoyé à la classe des petites Tour Eiffel. Le matin de ma visite, la binome de Luziadell, twitteuse vivant en Colombie, avait reçu une paire de boucles d’oreille en remerciement pour le travail réalisé.
Les élèves semblent étonnés de cette attention portée, pourtant, pour celles qui étaient de l’aventure il n’y a rien de plus naturel tant les échanges ont été cordiaux et agréables. Car pour eux, l’image est importante. Eleves de lycée professionnel, ils se sentent dévalorisés dans le regard des autres, cantonnés sur une voie de garage. Julie, au milieu de la rencontre, me pose la question qui semble brûler les lèvres de plus d’un : « Vous pensez quoi de nous ? ». Derrière se profile toutes les inquiétudes liées à une orientation qu’ils n’ont pour la plupart pas choisie. Johann a beau les rassurer, leur raconter à nouveau son parcours particulier. Après un Bac Pro en électrotechnique et deux ans en intérim, il reprend ses études en Bac Pro compta, par goût et par choix. Il n’empêche, la difficulté à trouver des stages leur rappelle qu’ils n’ont pas emprunté la voie royale pour s’insérer facilement. Pourtant, les échanges avec leur tweetfemme, l’attention portée par les habitués du web 2.0 pédagogique sur leur travail a montré aussi que le regard posé sur les élèves en lycée professionnel n’était pas forcément négatif. A vrai dire, élève de lycée professionnel ou non, là n’est pas l’important, c’est la qualité des échanges et le résultat du travail qui ont séduit.
Derrière l’expérience qui semble d’évidence, il y a aussi des doutes, de la construction et des remises en cause. Pour que twittfemme réussisse, le travail mené par son initiatrice, bien qu’elle le taise, parait conséquent. Travail de construction en premier lieu pour respecter les attendus du programme, choisir les bons outils, repérer les interlocutrices ; travail d’animation ensuite pour expliquer aux unes et aux autres leurs rôles, relancer les silencieux ; travail de relecture et de correction enfin avant publication sur Tumblr. Les élèves bien que séduits par l’expérience ont interpellé leur enseignante, inquiets de ne pas suffisamment préparer leur épreuve du Bac de français. Référentiel à l’appui, Laurence Juin leur a montré comment ils avaient étudié les différents points du référentiel.
« On a travaillé sans s’en rendre compte » explique une élève. Rassurés, ils sont fiers aussi d’avoir contribué à une aventure nouvelle et réussie. Certains garderont des contacts avec leur binôme, la plupart savent que les rapports s’étioleront au cours du temps. Mais peu importe, les échanges ont permis de chaque côté du tweet de découvrir d’autres univers, de nouveaux horizons et de prendre confiance dans sa propre identité.
Le live tweet de Julie
Une des élèves de la classe a raconté en direct sur twitter les échanges.
http://fr.twitter.com/#!/search/tweetfemme
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