Par François Jarraud
Pourquoi un syndicat s’empare-t-il de la réflexion sur l’outil informatique à l’école, dans et hors la classe ? Ce sont des outils au service de la réussite des élèves, explique Thierry Cadart, secrétaire général du SGEN, et on doit se poser la question de leur impact sur le pilotage du système éducatif. « Le numérique élargit le champ des possibles », mais il n’est pas tout.
En introduction, Thierry Cadart explicite les objectifs du colloque du 18 mai « Le numérique. Quelle école ? Quels enjeux ? » : formuler des revendications assez précises et les porter dans la campagne électorale à venir. Les deux tables rondes de la journée doivent permettre d’aller plus loin dans la réflexion, pourtant déjà préparée par un blog, un dossier et un 4 pages largement diffusé.
Tout au long de la journée, des clips vidéo d’interviews vont donner des exemples d’usages en situation : professeurs des écoles, de collège ou de lycée, directeur régional adjoint de l’ONISEP, etc. Ils mettent en lumière les activités, les modifications de relations, l’évolution des fonctions. Ils sont accessibles sur le blog du colloque, dans la catégorie témoignages.
Les intervenants des tables rondes, animée la première par François Jarraud, la deuxième par Patrice Bride, rédacteurs en chef des Cahiers pédagogiques, complètent ces témoignages. Ainsi Marie-Pierre Dubois, personne ressource en collège et professeur de mathématiques décrit la mise en place, en 5 ans, d’un véritable réseau (150 machines aujourd’hui), offrant des servces quasiment équivalents à ceux d’un ENT autour du logiciel Pronotes (saisie informatique des absences, messagerie, cahier de textes électronique notamment). Elle estime que sa charge de travail a beaucoup augmenté avec ce dispositif et elle la ressent comme plus technique que pédagogique, même si elle continue à accompagner bien volontiers les collègues qui ont besoin d’aide. La circulaire instituant les fonctions de professeur référent et la possibilité d’une prime annuelle de 400 € sont un premier pas dans la voie d’une reconnaissance longtemps attendue.
Michèle Dreschler, IEN dans l’Indre, chargée de mission pour la maternelle, décrit la mise en place d’un dispositif de formation hybride (présentielle et à distance) qui habitue les enseignants à la recherche et à la mutualisation de ressources. Pour sa partie présentielle, la formation se déroule in situ, autour de prirités de travail définies avec les participants. Utilisant, dans la partie formation à distance, des techniques de formation quasi informelle (forums de discussions), avec un fil rouge, le dispositif connaît néanmoins quelques difficultés techniques (problèmes d’équipement et de débit en particulier) et suppose pour l’IEN une bonne gestion des compétences, pour savoir qui sera capable d’apporter de la ressource.
La forte volonté politique de faire se développer les TICE dans les lycées franciliens, depuis plus de 10 ans, a été rappelée par Jean Bravin, chef du service des équipements à l’unitée lycée de la région Ile-de-France. L’ENT Lilie, actuellement déployé dans les 470 lycées, est un des outils au service de la réussite des élèves. Il a été choisi « open source » pour des raisons d’égalité territoriale, afin que l’investissement de la région puisse profiter à ses départements les plus pauvres. Cependant la mise en place de Lilie, pourtant le fruit d’un projet commun de longue date avec les 3 académies, met en lumière divers dysfonctionnement entre l’Etat et les collectivités : développement de produits concurrentiels (Sconet), problème de la maintenance qui devrait être transférée aux collectivités sans compensations …
Pour Albert Ritzenthaler, secrétaire national du SGEN, le colloque illustre un foisonnement d’idées et de débats, mais aussi des difficultés et des inquiétudes : surcroît de travail, injonctions verticales du ministère … L’ENT apparaît moins comme un réseau social qu’un outil imposé freinant les initiatives. L’intelligence collective, la collaboration sont indispensables pour faire avancer le système éducatif, alors qu’on constate un déficit énorme de dialogue social. Dans cette question du numérique, en complémentarité avec d’autres acteurs, le SGEN agira sur son terrain, celui de la défense des personnels.
L’après-midi, Marie-Pierre Cadario, professeur des écoles, désormais chargée d’enseignement spécialisé fait part de ses constats sur l’utilisation des TICE. C’est un important facteur de motivation des élèves et de valorisation de leur travail. Elle insiste cependant sur le fait que les TICE doivent être intégrées dans un dispositif et non une fin en soi.
Pour Laurent Souchard, inspecteur de l’enseignement agricole, l’utilisation de ce type d’outils « met l’élève au centre ». Pour construire son savoir, l’élève doit pouvoir avoir accès à de multiples sources. L’école pour tous n’est pas un concept que l’on maîtrise bien et il y a lieu de s’interroger encore longuement dessus et de multiplier les situations d’apprentissage, en se libérant des façons de penser traditionnelles.
Caroline d’Atabekian, professeur de français en collège, estime que les apports des TICE sont maintenant bien connus (motivation, apports individualisés, élèves davantage acteurs, favorisent la pédagogie de projet, etc.) C’est aussi un véhicule qui favorise l’innovation, à regarder les sitations de pédagogie innovante. Elle regrette qu’en français, la grande majorité des enseignants utilise l’outil dans des situations d’apprentissage disciplinaire et utilisent très peu les possibilités de développement de connaissances culturelles. Il faut par ailleurs pousser les élèves à dépasser leurs usages de loisirs pour arriver à des usages plus adultes de développement. Peut-on éduquer à la société humaine ? à la société du numérique demande Guillaume Touzé, secrétaire fédéral du SGEN.
Ce colloque a été longuement préparé, remarque Michel Bézard du CRDP de Paris, en tant que « grand témoin », par un blog, un dossier, des témoignages videos. Il affirme la préoccupation syndicale et on n’y a pas entendu de critiques réelles contre les TICE. On a beaucoup parlé d’usages qui se construisent collectivement au sein de la communauté enseignante. Il est à espérer que ce colloque se prolongera par de l’écrit, qui viendra répondre aux questions soulevées aujourd’hui, ou à d’autres.
Anousheh Karvar, secrétaire nationale CFDT, spécialiste des questions de formation initiale et continue, a applaudi « la démarche critique et réflexive » sur la manière dont les outils modifient les pratiques, adoptée dans le colloque. Elle estime qu’au niveau de la production, notamment de livres, on est dans un univers de complémentarité entre le papier et le numérique, ce qui est satisfaisant. L’architecture d’utilisation d’Intenet, où tous les utilisateurs ont potentiellement la même valeur et les mêmes droits, ce qui en fait un espace particulièrement créatif, pourrait cependant être modifiée si des groupes privés d’opérateurs décidaient de faire un double système de distribution : autoroutes pour les personnes riches ou reconnues, voies départementales pour les autres … A surveiller donc avec grande attention, conclut-elle !
Le blog du colloque
http://blog.sgen.net/numerique
Sur le site du Café
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