Texte et illustrations par Frédérique Yvetot
Les 20 et 21 mai dernier, s’est tenu, à Lyon, le Forum des Enseignants Innovants et de l’Innovation Pédagogique (FEIIP). Ce forum réunissait divers enseignants qui exposaient différents projets réalisés dans les établissements scolaires. Parmi les participants, Michèle Sillam, enseignante de mathématiques à la retraite, présentait ses ateliers de philosophie au collège. De la philosophie au collège ? Oui. Mais voyons de quoi il est question…
Des ateliers de réflexion
Les objectifs des ateliers
Pour nous expliquer les trois objectifs fondamentaux des ateliers de philosophie AGSAS-Levine ou ateliers de réflexion sur la condition humaine (ARCH), Michèle Sillam cite le livre « L’enfant philosophe, avenir de l’humanité » de Jacques Lévine.
Tout d’abord, ces ateliers visent à « faire participer les enfants aux grands débats sur les questions essentielles à la vie et à la civilisation. Dans ces ateliers les enfants deviennent co-responsables des problèmes de civilisation en acquérant la position de sujets producteurs de pensées ». Le deuxième objectif est de « faire l’expérience de sa propre capacité à produire de la pensée sur des questions importantes pour l’humanité. L’atelier de philosophie est le lieu d’une double expérience : celle de la pensée qui s’élabore « en écho » à celle des autres et celle du sujet qui se découvre capable de produire de la pensée». Enfin, il s’agit « d’apprendre non seulement à extérioriser, mais à intérioriser la pensée. Les ateliers de philosophie permettent, non seulement aux élèves, mais aussi aux enseignants, d’explorer les rapports entre la pensée et le langage. Ce qui se passe dans le silence est aussi essentiel que ce qui se formule. Ceux qui ne parlent pas sont actifs par ce travail sous terrain de la pensée qui se fait en écho à ce qui se dit».
Dans ces ateliers de philosophie, on n’y enseigne pas à réfléchir, mais on y propose l’expérience de la réflexion… jolie nuance.
Déroulement
Comment cela se passe-t-il ? Tout commence par une banale affiche, collée sur une porte ou un mur, invitant les élèves à venir faire de la philosophie. Puis le jour J, « Les élèves poussent les tables et mettent les chaises en rond. Une table est installée à l’extérieur du cercle. C’est celle qui me servira à me poser et prendre des notes, histoire de m’occuper pendant qu’ils parlent et que je les écoute. En fait, je me fais « oublier », je ne les regarde pas car certains nouveaux, sont encore sur le modèles scolaires : ils sollicitent et cherchent mon regard pour savoir s’ils ont dit des choses justes. Les plus habitués, m’oublient complètement. […] C’est un atelier au cours duquel, dans un premier temps qui dure 10 minutes très exactement, les enfants réfléchissent sans que l’enseignant, qui reste en dehors du cercle, n’intervienne. La parole est régulée par un bâton de parole et la réflexion se fait à partir d’un mot. Il n’y a aucune obligation à prendre la parole et on insiste tout particulièrement sur le fait qu’en philosophie on admet qu’il y ait différentes façons de penser. Enfin, les enfants sont invités à faire l’effort de réfléchir d’une autre place que celle qu’ils ont les jours en adoptant la place d’une personne du monde. Après les dix minutes, l’enseignant entre dans le cercle et pose juste une question : « comment s’est passé l’atelier pour chacun d’entre vous ? ». Là, il peut reformuler, ou faire expliciter ce qui se dit. Cette 2ème partie dure aussi une dizaine de minutes, voire un quart d’heure. […] Les ateliers sont enregistrés et retranscrits sur du papier. Seules les paroles, dans l’ordre dans lequel elles ont été prononcées sont retranscrites. Ces retranscriptions sont affichées sur les parois vitrées du CDI. Face à l’extérieur. Souvent on trouve des élèves ou des enseignants qui s’arrêtent pour les lire. On y amène un camarade pour lui montrer la ou les phrases qu’on a dites et ainsi, le camarade est pris d’une envie d’essayer l’atelier. C’est par ce « bouche à oreille » que la philosophie se répand ».
Tout simple me direz-vous, et bien non. Michèle Sillam explique qu’il est nécessaire d’avoir été formé à la méthode et à ses fondements pour animer un atelier de philosophie AGSAS-LEVINE. « Il faut un certain état d’esprit car l’enseignant n’y est plus enseignant et l’élève n’y est plus un élève. Je veux dire par là qu’il n’y a pas d’objectifs directement scolaires, car il n’y a aucune évaluation. C’est un acte totalement gratuit. On n’attend rien, on donne. »
Le blog du Café Pédagogique tenu lors Forum des enseignants innovants
http://cafepedagogique.net/communautes/Forum2011/default.aspx
Le blog de Michelle Sillam
http://sillamichele.typepad.com/mon-blog
Le site de l’association AGSAS
http://agsas.free.fr/spip
Du côté de la doc
Mais pourquoi présente-t-on ces ateliers ici ? A priori, rien à voir avec les professeurs documentalistes, mis à part le fait qu’ils se déroulent au CDI, espace agréable, modulable et ouvert le midi ! Et bien, certaines profs docs se sont investies dans ces ateliers. Mathilde Bernos est l’une d’entre elles, elle a assisté aux ateliers de Michèle Sillam et en a aminé avec l’assistante sociale de son établissement.
Être spécialiste de la philo ?
« Quand j’ai commencé, j’étais un peu inquiète : je n’ai pas une grande culture philosophique. Je pensais qu’il fallait absolument que je prépare chaque séance, en me documentant. Je commençais par des recherches de définitions, expressions, citations… J’essayais de lire aussi des infos sur le thème du jour dans les livres de philo que je pouvais avoir. Mais en fait, ce travail n’est pas directement utile : l’atelier ne dépend pas de la connaissance de l’adulte qui l’anime, mais de sa capacité à mettre les élèves en confiance, à leur donner les moyens de penser par eux-mêmes. « Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse », leur rappelle-t-on en début de séance. Ils adorent cette phrase et la mémorisent très vite ! Ce n’est pas un cours de philo, mais un atelier de réflexion et d’expression de sa propre pensée. Nous ne sommes pas là pour juger de leur pensée ou pour suggérer que d’autres réponses seraient meilleures. […] Il n’y a donc pas de connaissance préalable à avoir. […] Quel que soit l’animateur de l’atelier philo AGSAS-Lévine (il existe d’autres approches), qu’il soit professeur documentaliste ou professeur de discipline, le principe est le « silence de l’enseignant ». Ce silence est important : c’est une manière d’aider l’élève à prendre confiance dans sa capacité à penser, une façon de lui faire comprendre qu’on le sait apte à réfléchir par lui-même, à partager ses propres opinions. Pour une fois, la parole juste n’est pas nécessairement celle de l’enseignant : sur des questions d’ordre philosophique, chacun peut s’exprimer. Personne n’a de réponse absolue. L’adulte est là pour poser le cadre, qui permet le bon déroulement de l’atelier ».
Un espace de parole pour tous les élèves
« Il est très important qu’à l’école, tous aient la parole, tous soient pris en compte. Ce qui est intéressant, dans les ateliers philo, c’est justement qu’ils soient ensemble et non séparés en fonction du niveau ou du comportement. Les jeunes s’enrichissent les uns les autres, par la diversité de leurs points de vue. Ce ne sont pas nécessairement les meilleurs élèves qui vont le plus prendre la parole, faire preuve de plus de maturité… […] À mon avis, les élèves n’ont pas suffisamment d’espaces de paroles dans le cadre scolaire et même en dehors : nous n’avons malheureusement pas le temps, entre deux cours, les parents n’y sont pas toujours disposés non plus. Or, les adolescents ont beaucoup de choses à dire. Comment peut-on se consacrer pleinement à son « travail d’élève », si on se sent envahi de questions sans écoute, sans réponses ? Le fait d’entendre que l’on n’est pas le seul à se poser des questions me paraît important, même si l’atelier n’est pas là pour apporter des réponses toutes faites, ou répondre à des préoccupations trop précises, puisque l’on se place en tant que « citoyen du monde ». Cela aide aussi l’élève à se construire une image plus positive de lui-même : même si en cours, il peut se sentir en échec, lors des ateliers, sa parole est encouragée, écoutée, considérée. […] Oser parler, s’exprimer devant les autres, libère de tensions éventuelles, de préjugés. Ces échanges favorisent l’écoute, le respect de la parole de l’autre. Apprendre à intérioriser et extérioriser sa pensée limite, à terme, l’agressivité. […] L’échange ne se cantonne pas aux murs du CDI (ou de la salle de classe), il se poursuit au-dehors. Et c’est ce qui m’intéresse. On a planté là quelque chose qui va germer. Je pense qu’il est important de ne pas tout contrôler et que certains effets se font ressentir à plus ou moins long terme et ne se mesurent pas dans le cadre exclusivement scolaire ».
La Construction de la pensée
« Ce que j’observe, c’est l’évolution d’un atelier à l’autre : les élèves osent davantage prendre la parole. Celle-ci est plus construite, plus élaborée (phrases plus longues, remarques plus étayées…). Et dans le « deuxième temps », ils sont aussi plus sensibles à la manière dont les idées sont venues, à l’attitude des uns et des autres au cours de l’atelier… Je sens une maturation de leur pensée au fil de l’année. Il y a une différence assez nette entre ceux qui fréquentent l’atelier depuis le début de l’année et ceux qui arrivent en cours de route. Des élèves de 6ème ont été impressionnées l’année dernière, en voulant nous rejoindre au printemps. Elles ne se sentaient pas à la hauteur, me disant : « mais madame, les autres ils disent de si belles phrases ! ». Je les ai rassurées, en leur expliquant que les autres avaient un certain entraînement et qu’au début, ils étaient aussi décontenancés qu’elles et avaient parfois du mal à s’exprimer aussi».
Faire de la philo en classe
« L’atelier fait partie de la partie « ouverture culturelle » et « éducation à la citoyenneté » de la politique documentaire de l’établissement. Il s’inscrit dans les activités proposées par le Foyer du collège. Avec ma collègue assistante sociale, nous avons envisagé de le proposer aussi aux professeurs principaux, en intervenant ponctuellement dans les classes, à la demande des collègues. Nous n’avons pas encore eu le temps de mettre en place cette action, mais elle nous semblerait intéressante à envisager. […] Je n’ai que ma petite expérience d’atelier philo dans le cadre d’un club, avec des élèves volontaires. Je suppose que la mise en place au sein de sa classe, pour un prof principal par exemple, est plus délicate, qu’elle peut prendre un peu de temps avant qu’un déclic ne se produise. Il faut donc un peu de patience et de persévérance, avant de ressentir des effets positifs. Je pense cependant que quelle que soit la formule, avec sa classe ou un club, c’est une expérience très enthousiasmante, tant pour les élèves que pour les adultes ».
Les petites manies des professeurs documentalistes…
« En tant que prof-doc, je n’ai pas pu m’empêcher d’apporter ma petite touche… Il est fréquent que je propose des lectures avant de se séparer. J’ai pour cela enrichi le rayon « philosophie » du CDI. […] Je présente aussi des fictions (romans, contes, BD…) qui abordent le thème du jour. Généralement, il y a toujours quelques élèves qui se laissent tenter… Je leur ai aussi constitué une petite pochette, dans laquelle ils peuvent réunir les feuilles des séances. Certains les emmènent chez eux pour les montrer à leurs parents. D’autres préfèrent la laisser sur place et la récupèrent en fin d’année ».
« Pour le choix des thèmes […] l’actualité est aussi une autre source d’inspiration… ou en tous cas, j’essaie de faire coïncider les thèmes avec le calendrier : « la paix » à l’occasion du 11 novembre, « la santé » pour la journée mondiale de la santé, « l’environnement » pour la semaine du développement durable, « la télévision » pendant la semaine de la Presse… etc. Je me suis fait un petit calendrier des journées et semaines thématiques, qui me sert aussi bien pour le club, que pour les expos de documents ou autres animations du CDI ».
« Avant d’animer des ateliers philo, j’avais déjà un « Club Paroles », au cours duquel il nous arrivait de préparer des sondages (sur le racisme, les devoirs…). Il est possible que je reprenne l’idée : animer un atelier philo sur un thème et constituer ensuite avec les élèves du club un petit sondage à l’intention des autres… »
Et si vous n’êtes toujours pas convaincu…
« Cette heure est bien souvent la meilleure de la semaine ! On en ressort tous avec un grand sourire. Les élèves ont l’air de l’attendre avec impatience. Ils sont très enthousiastes, très participatifs. Même ceux qui ne parlent pas reviennent d’un atelier à l’autre et attendent ce moment. Pour moi, c’est une heure magique. […] C’est vraiment l’occasion d’accéder à leur manière de penser et de les observer en train de réagir aux pensées des autres. C’est passionnant pour l’adulte d’assister à ces séances. J’ai coanimé la plupart des ateliers avec l’assistante sociale, qui était aussi enthousiaste que moi et nous avons parfois invité d’autres adultes, après avoir demandé aux élèves leur accord. Je pense que tous ont été agréablement surpris de les découvrir dans ce contexte. […] Lors des ateliers philo, le rapport n’est plus le même et je ressens vraiment ce plaisir de tous à y participer. […] La découverte et la mise en place de ces ateliers m’ont redonné l’envie d’y croire, d’essayer, d’innover… car j’ai pu constater leurs effets positifs sur les élèves… et sur moi ! Je pense que l’expérience d’apprendre, aussi bien que celle d’enseigner, ne peut pas se dispenser d’une notion qui ne me semble malheureusement pas suffisamment prise en considération à l’école : la notion de plaisir ! Oui, il est possible d’éprouver du plaisir à être ensemble, d’échanger dans le cadre scolaire. Des petits dispositifs tous simples à mettre en place, comme les ateliers philos, peuvent nous y aider, profs comme élèves ».
Sur le blog « Le Bateau Livre » de Mathilde Bernos :
Quelques pistes pour monter un atelier philo
http://lebateaulivre.over-blog.fr/article-36002401.html
Un exemple d’atelier
http://lebateaulivre.over-blog.fr/article-club-paroles-sur-le-bonheur-39610545.html
La pochette élève
http://lebateaulivre.over-blog.fr/article-une-pochette-pour-le-club-paroles-39679753.html
Sur le portail de ressources « La Toile du CDI » : le calendrier des journées et semaines thématiques
http://www.netvibes.com/latoileducdi#Calendrier
Sur le site du Café
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