Par François Jarraud
C’est la question à laquelle tente de répondre un rapport de l’Inspection générale, sous la plume d’Alain Séré et Alain-Marie Bassy. Leur rapport, très novateur, fait un état des lieux , y compris dans les usages du manuel par les élèves, analyse les effets de la numérisation de la société et des ressources éducatives et finalement fait des propositions pour « inspirer une nouvelle politique » scolaire. Ce rapport, qui arrive à un moment clé, fera date et ces recommandations pourraient avoir des conséquences, pas toujours positives, sur l’avenir de l’Ecole.
Venant après une expérimentation fort limitée des manuels numériques en collège, le rapport aurait pu s’y limiter. De cette expérimentation, les auteurs montrent les effets très limités. » Les apports déjà perceptibles correspondent, pour partie, aux attendus de l’expérimentation : poids du cartable, qualité des figures, des illustrations, intérêt et attention renforcés de la part des élèves, ouverture sur des pratiques pédagogiques renouvelées. Mais, sur ce plan, les quelques observations directes que la mission a pu effectuer donnent peu d’indices qui ne lieraient pas la pratique pédagogique de l’enseignant et l’exploitation du manuel numérique en classe. Autrement dit, si la démarche pédagogique reste frontale, l’utilisation du manuel numérique, avec projection à l’écran, renforce plus encore l’effet magistral et l’apport aux élèves est très faible. Par contre, dans le cas d’une pratique plus inductive, reposant sur une démarche qui associe le visionnement d’une illustration soutenu par un questionnement individuel, des analyses et des commentaires lors d’une mise en commun, une synthèse en appui sur le texte du manuel et enfin une évaluation par un court exercice ou un QCM animé, la plus-value est certaine ».
Le rapport a tenté de connaître les utilisations du manuel scolaire par les élèves. Et, là encore, le manuel numérique ne s’impose pas naturellement. « D’une part, des lycéens plus « techniciens », assez favorables au passage progressif au tout numérique et à la disparition de la structure traditionnelle du manuel, attirés par les aspects ludiques et conviviaux du nouveau medium et cédant volontiers à une pratique de groupe (dans et hors de l’espace scolaire). Ainsi voient-ils dans les ressources numériques une modalité d’enrichissement de leur pratique scolaire personnelle, le moyen de se distinguer et d’accroître leurs performances. D’autre part, des lycéens plus attachés au système qui a façonné jusqu’ici leur parcours et à des méthodes et des outils pédagogiques plus traditionnels ».
Le rapport aurait pu aussi s’en tenir là compte tenu de la minceur reconnue du marché du numérique éducatif dans son ensemble : 20 millions d’euros. Un chiffre important mais qui est à mettre en parallèle avec celui de l’édition scolaire (400 millions) et du soutien scolaire (2 milliards). Sachant qu’un manuel numérique, dans ses normes actuelles, coûte en production nettement plus cher qu’un manuel papier (on passe de 120 000 à 180 000 euros), on comprend que la frilosité des éditeurs fasse augurer un temps d’attente assez long avant la numérisation.
Mais les auteurs ont passé tous ces obstacles au terme d’une analyse qui situe le manuel numérique dans un cadre général : celui de la numérisation des pratiques des enseignants, un phénomène dont le Café est un exemple et que nos lecteurs connaissent bien. « Le changement profond qui affecte la production, l’échange et la diffusion de la ressource éducative, dans les cinq dernières années du vingtième siècle, procède moins de l’arrivée des technologies « informatiques » que de l’existence d’internet et des réseaux. Grâce à internet, l’offre de ressources susceptibles d’être utilisées à des fins pédagogiques est devenue rapidement pléthorique », note le rapport. » Cette facilité nouvelle d’accès aux ressources numériques comme d’échanges possibles entre enseignants via les réseaux conduit à une double modification : celle de la pratique de l’enseignant et celle des circuits de production et de diffusion. Comme le note Éric Bruillard « Que l’enseignant ait, depuis fort longtemps, une part dans la constitution des ressources qu’il propose aux élèves, qu’il les construise à partir de morceaux glanés sur différentes sources, est connu. […] Internet augmente considérablement les opportunités, d’une part via une offre pléthorique […], d’autre part dans des modalités collectives de conception ou de qualification de ressources. Les chaînes de production sont modifiées : du support livre, objet souvent sacralisé, portant les mentions de l’éditeur et des auteurs, aux différents supports électroniques facilitant échanges, réécriture, recomposition, une gamme de nouveaux possibles se fait jour ».
Voilà qui a amené les auteurs à concevoir le manuel comme « un système informationnel ». « Il ne s’agit plus seulement d’une mutation de support que le numérique rendrait adaptable, modulable, transportable, jusque « dans les nuages ». Mais en devenant « numérique », le manuel scolaire accède au statut de système informationnel ouvert, offrant, par sa logique applicative, de vastes possibilités de composition, de sélection, d’organisation de contenus et d’activités pour l’enseignement. Intégré à l’espace de travail du professeur, de l’élève, des parents, il décline, pour chaque profil d’utilisateur, des fonctions et des ressources adaptées. Il est un instrument de médiation pédagogique dont la mise en oeuvre est, en elle-même, un apprentissage des compétences appartenant à ce que l’on nomme la littératie. La diversité des fonctions et des usages du manuel produit des combinaisons variables (couple fonction/usage) selon les disciplines enseignées et le niveau d’enseignement considéré ».
Paradoxalement le retour de l’Etat ? Les recommandations des inspecteurs généraux poussent d’abord à la formation des acteurs aux usages du manuel numérique. Les auteurs poussent l’audace jusqu’à envisager une épreuve de maîtrise des ressources numériques au bac et à demander l’intégration de compétences nouvelles dans les masters de formation des enseignants et dans la formation des IPR. Ils ne vont pas jusqu’à demander une formation générale des enseignants s’en remettant aux nouvelles épreuves imposées aux examens… Surtout ils envisagent de modifier « la chaîne de prescriptions en matière de manuels, de ressources et d’outils pour l’enseignement ». Ce que l’inspection n’a pas réussi à imposer aux éditeurs papier, le numérique devrait l’amener par deux outils : le contrôle des canaux de diffusion (ENT par exemple) et la variation du taux de TVA sur les ressources numériques. Les auteurs imaginent d’élaborer des cahiers des charges pour les ressources numériques, de mettre en place des « instances de pilotage » composées par la Dgesco et l’Inspection générale, avec un Conseil national excluant totalement les enseignants. ON aurait ainsi « une liste limitée de critères qualitatifs permettant de déboucher sur une qualification « manuel scolaire » qui permettrait de bénéficier de la TVA à 5,5% plutôt que 19,6%. Les auteurs estiment aisni « renouveler le dialogue éditeurs privés et publics ».
Le fait que ce rapport, qui date de juillet, ait influé sur le « plan numérique » de Luc Chatel est certain. Il est certes dans la logique de l’institution que d’aller dans le sens de son affirmation. Mais il est aussi visible que tout dans les usages du numérique va dans une direction radicalement opposée à cette vision qui va du haut vers le bas. La réflexion sur le manuel numérique ne peut s’arrêter à une conclusion qui serait la suppression de la liberté de choix par l’enseignant de ses supports et de ses manuels et la limitation de la liberté éditoriale. Un événement très récent démontre si nécessaire que la révolution numérique ne sert pas les autorités étatiques.
Le rapport
http://www.educnet.education.fr/dossier/telechargement/rapport-[…]
Le plan numérique de Luc Chatel
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pag[…]
Premiers retours sur le manuel numérique
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/05/280510_Ma[…]
Sur le site du Café
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