Pour démarrer fort, ça a démarré fort.
D’abord, parce que l’édition 2010 du congrès de la FNAME a encore fait le plein. Plus de mille présents, de toute la France.
C’est dire si la volonté de « faire corps » de ces « maîtres E » (enseignants spécialisés dans l’aide à dominante pédagogique, un des trois pieds des RASED – réseaux d’aide -) est forte.
Un sacré challenge pour Nadine Juhel, coordinatrice de l’équipe de l’association charentaise de maîtres E toute entière mobilisée pour la réussite technique de l’aventure.
Evidemment, les maîtres E sont là parce qu’ils se sentent menacés par la disparition des postes. Mais aussi, explique G. Toupiol, président sortant, parce qu’ils savent que c’est un des lieux où ils peuvent parler de leur métier, et réfléchir à son avenir. Pas facile quand chacun n’est pas sûr de son avenir personnel, devant les nouvelles suppressions de postes programmées… Conjonction du hasard, l’espace Encan, sur le port de La Rochelle, accueille aussi le festival du film d’aventure. Pas si loin, finalement, de l’aventure des maîtres E dans la tourmente de l’actualité.
Mais si ça a démarré fort, c’est aussi parce que les intervenants de la première journée ont fait l’unanimité, si on en juge par les réactions : « Moi, quand j’entends des psychologues et que j’ai l’impression que je comprends de quoi ils parlent, c’est que l’intervenant est bon… » signale une « modeste ».
Georges Felouzis a rappelé la dureté du rappel au réglement des chiffres de PISA qui témoignent des marges de progrès de l’Ecole primaire. Marie-Christine Toczek-Capelle a expliqué en quoi les situations scolaires pouvaient avoir « des effets redoutables », lorsque les « étiquettes » qu’on met sur les élèves les invitent malgré nous à tout faire pour s’y conformer, du fait des effets paradoxaux de la préservation de l’image de soi. Sylvie Cèbe a rappelé l’intérêt des prises en charge collectives (en petit groupe) pour explicitement « enseigner ce qui est prescrit par l’école », à l’aide d’outils pédagogiques particuliers qui permettent la mise en oeuvre de pratiques d’enseignement elles-aussi particulières, « ajustées aux caractéristiques cognitives, fonctionnelles et affectives des élèves dit « en difficulté ». Elle a illustré avec les outils qu’elle a mis au point, avec Roland Goigoux et Jean-Louis Paour, notamment pour apprendre à comprendre ou à catégoriser. Stéphane Bonnery a dynamité la salle avec des propos militants, en démontant la logique de l’élève « en difficulté » pour dévoiler la nature des difficultés, notamment pour les élèves qui connaissent mal les codes implicites de l’Ecole. « Mon fonds de livres a été dévalisé » constate avec plaisir la libraire rochelaise présente dans le hall accueillant les exposants. « J’ai bien reconnu mes Dylan et Vanessa » confirme une congressiste heureuse de se reconnaitre dans les propos de tribune
Evelyne Bouteyre : « la résillience est un processus »
Pour Evelyne Bouteyre, de son point de vue de psychologue, « on n’est que très rarement résilient tout seul ». Ce sont les aides et les cadres qui vont permettre, on non, que les personnes enclenchent le processus qui va leur permettre les interactions nécessaires. Elle rappelle que le mot, désormais passé dans le vocabulaire commun, vient de la physique et caracérise les matériaux capables de résister aux chocs, « et s’exprime en joules/cm2″…
Confrontés aux difficultés de la vie, certains contextes permettent aux individus de poursuivre leur développement personnel, malgré tout.
« La protection de soi est comme un airbag qui vous rend capable d’encaisser le choc des accidents de la vie. Comme le mousqueton et le baudrier en escalade, la protection est nécessaire même si on ne s’en sert pas, et on ne perçoit son rôle qu’en cas de choc »
Travaillant sur l’exemple des enfants de migrants, elle souligne l’importance du « choc culturel » lorsque les enfants se retrouvent brusquement confrontés à des modifications d’environnement tellement brutales qu’elles leur demandent une modification psychologique brutale, pour « comprendre » ce nouveau monde et retrouver de nouveaux repères.
L’enseignant doit-il être « tuteur de résilience » ou « faire de la prose sans le savoir ? ». La réponse reste entière, à l’issue de la présentation.
Pierre Périer : « école, parents, des principes pour une coopération équitable
« Depuis les années 80, on considère que les parents doivent « participer » aux activités de l’Ecole, et pointer du doigt ceux qui restent à distance. De plus en plus, les « consommateurs d’école » font l’actualité, mais beaucoup de partents se contentent de respecter l’Ecole (« pourquoi devrais-je y aller si on ne me demande rien ? »), voire restent « dominés », pour reprendre le cadre du modèle sociologique de P. Bourdieu. Pour Pierre Périer, la pression de l’Ecole sur les familles s’accroît : en cas de difficulté, on attend d’elles qu’elles « participent » aux efforts nécessaires à la réussite scolaire, parfois en « passant contrat », c’est à dire en transformant le modèle identitaire des enseignants comme des parents. De « parent », il faut passer au statut de « parent d’élève », à la fois allié, recours ou auxiliaire.
Mais parler de « familles populaires » lui semble réducteur, tant les évolutions sociologiques sont fortes, avec le renforcement des ghettos ou des tensions interethniques, dans certains quartiers. Les « variations contextuelles » rendent les analyses incertaines et provisoires.
Il relève le paradoxe des mots : le « parent » est un interlocuteur, mais la « famille » est un objet distant, voire hostile. Pierre Périer rappelle combien l’Ecole préfère le « parent idéal », modèle dont les familles populaires ou immigrés sont les plus éloignées…
« Pourtant, dit-il, je n’ai pas rencontré de familles populaires qui ne ressentent pas le besoin d’école, voire manifestent une attente démesurée, au risque de « décrochage parental scolaire » précoce, dès que le sentiment de « ne plus pouvoir suivre les devoirs » les submerge : ils ne savent plus expliquer de la même manière que la maitresse, ou expliquent que « les méthodes ont changé, avant c’était plus simple… ». Ces parents ont du mal à percevoir les étapes à franchir pour parvenir à ce qu’il y a à apprendre. L’horizon des possibles s’est ouvert, mais le chemin pour y parvenir reste obscur. le risque de « désenchantement » est réel.
C’est en donnant la parole aux parents des familles populaires que Pierre Perier prouve la pertinence de ses analyses. Il plonge la salle dans le réel avec un extrait d’un DVD coproduit par le CRDP de Rennes et Atd-Quart Monde, « Familles-Ecole et grande pauvreté », qui permet d’illustrer la montée du « sentiment d’injustice » : « Moi, dit une dame, j’étais dans la pauvreté, et je m’en suis sortie par mes enfants, pour mes enfants. Il y a aussi des enfants de personnes bien placées qui n’y arrivent pas. Mais je regrette, les paroles que nous entendons ne sont pas les mêmes. L’institutrice ne dit pas les mêmes mots, ne pose pas le même regard. A l’enfant des pauvres, on ne dit pas que ça viendra peut-être, on dit que c’est comme toute la famille… Et pire, ils discutent de nous sans nous en parler. Et au bout de trois mois on nous informe… On est quand même des parents, on n’attend pas trois mois pour nous dire, pendant qu’ils font leur petite enquête, de chercher ce qui est le plus touchant, chez nous, chez la mère surtout, jusqu’à nous blesser… Il y a deux bases, deux mesures. Mais on n’est pas bêtes, même si on n’a pas été à l’école… Quand il s’agit d’enfants, j’ai la réponse. Même quand on me met dans le bout de la table ovale, avec les 17 personnes qui vous regardent comme une bête curieuse, avec des drôles de regards qui vous disent qu’ils ont déjà fait leur choix… »
Donc, conclut Pierre Perier, dans un monde où ses perspectives d’identification aux parents deviennent de plus en plus faibles, du fait des difficultés sociales et du renforcement des inégalités, l’enfant ne risque-t-il pas d’être pris entre « domination et possession », aussi bien face à ses parents que face à l’institution scolaire, et être sommé de plus en plus tôt de devenir autonome, seul responsable de lui-même, même s’il faut pour celà dévier des normes prescrites ? « Moins on explicite en classe ce qui se passe, plus on fait jouer la connivence culturelle » précise le sociologue en réponse aux demandes de pistes concrètes de la salle.
Une belle planche d’appel pour l’intervention suivante, après le repas.
Christophe Touny et Colette Catteau : « les malentendus, encore… »
« Qu’est-ce qu’il y a à faire, qu’est-ce qu’il y a à comprendre ? « C’est autour de cette question que Christophe Touny et Colette Catteau cherchent, eux aussi, à comprendre en quoi les pratiques scolaires peuvent favoriser – ou entraver- les apprentissages.
Dans leur modèle, un savoir instrumental n’est pas un savoir savant. Même quand tout le monde semble être « au travail » dans la classe, certains ne comprennent pas la même chose, et à force que « ça se passe mal », on arrive à des blocages. ils illustrent, eux aussi, avec le cas emblématique de Mohamed : caractérisé comme « moyen » par l’enseignant, cet élève prend volontiers la parole, se précipite sur ce qu’il y a à faire et a souvent fini le premier. Mais dans le détail, on voit que ses évaluations de fin de grande section montrent qu’il n’a pas toujours les mots pour expliciter les objets de savoir. Il pense que les « syllabes sont des mots mélangés qu’il faut remettre en ordre ». C’est le signe qu’il confond la tâche et le but de la tâche. Lorsqu’on dit « il faut coller les mots pareils », pas sûr que l’élève sache quel critère de mise en ordre il va falloir utiliser (travail phonologique ou sémantique, notamment). A force de « faire ludique », on ne sait pas forcément ce qu’il faut faire pour réussir.
Pour les orateurs, certains dispositifs pédagogiques contribuent à renforcer les difficultés de certains élèves, par exemple lorsque l’enseignant pense que la situation d’atelier va elle-même permettre l’apprentissage, par une simple « mise en présence » des protagonistes. Ils invitent les enseignants, ordinaires ou spécialisés, à expliciter, à préciser les enjeux d’apprentissage comme les techniques et procédures à utiliser.
« Décidement, enseigner est un métier qui s’apprend, conclut Thouny. Pas sûr que la tentative de suppression de tous les lieux où les professionnels tentent de construire du recul et de la réflexion sur leur métier soit un bon signe ». La salle applaudit devant l’appel à la « révolution », au sens du changement de point de vue sur la nature des difficultés des élèves : « transformer, plutôt qu’adapter, disons-nous au GFEN… Pour qu’ils s’y mettent, ne confondons pas l’activisme et l’activité. »
Laurent Lescouarch : « comprendre les difficultés multiples des élèves, dans la complexité des situations de travail scolaire. »
« Peut-on modéliser les pratiques de maîtres E, et comprendre réellement quelle est leur spécificité professionnelle ? » C’est la question que veut traiter Laurent Lescouarch, avec la volonté de différencier les différentes aides présentes à et autour de l’école. Comment « aider à prendre conscience des pratiques pour accompagner le changement des pratiques professionnelles » ?. Citant les propos de Jean Houssaye, il indique que le pédagogue tente de réorganiser les théories au service de l’action. Encore faut-il que les théories de référence soient présentes dans la formation des professionnels.
Second a-priori : les techniques ne valent que si elles sont compatibles avec des valeurs. « Si on vous dit que le dressage est efficace, pas sûr que les enseignants aient envie de le mettre en oeuvre« …
L’accompagnement, un nouveau Graal ?
Comme le mot « compétence », ce mot est tellement mis à toutes les sauces qu’il ne veut plus rien dire. Or, explique Lescouarch, un modèle idéologique qui ne dit pas son nom, il faut déconstruire les « allant de soi » qui prônent comme « naturel » que la solution soit dans l’individualisation. Aujourd’hui, les dispositifs d’aide se succèdent à grande vitesse, sans jamais être évalués. La logique de « différenciation » des programmes de 2002 est aujourd’hui remplacée par une logique « palliative ». La difficulté scolaire devient un trouble, et les orthophonistes remplacent les pédagogues.
Dans l’accompagnement à la scolarité, dispositif interministériel à la périphérie de l’école, les dispositifs d’aide sont sociologiquement centrés vers certains types d’élève, du côté de la compensation sociale, voire du maintien de la paix sociale. Rien ne définit a priori la compétence de ceux qui interviennent. La confrontation des différentes types d’aides, dans les mêmes lieux scolaires, peut susciter chez les élèves des incompréhensions sur la spécificité de chaque moment, du point de vue de l’élève.
En renforçant « l’apprendre à apprendre » aux contours incertains, ou le « ludique » dans l’accompagnement à la scolarité, ne renforce-t-on pas les malentendus entre le scolaire et le non scolaire ? La forme scolaire déborde du temps scolaire pour abonder le temps péri-scolaire, on demande aux « accompagnateurs » des compétences expertes d’enseignant ou de travailleur social, sans aucune formation spécifique.
« Ne risque-t-on pas de glisser vers un modèle cantonnant l’école aux savoirs fondamentaux, et à rejeter les autres disciplines à la périphérie ? »
La différenciation, un autre malentendu ?
Dans le cadre scolaire, nombre de dispositifs se centrent sur le renforcement (PPRE…), d’autres sur les projets (IDD dans le second degré) ou sur « l’apprendre à apprendre ». Les enseignants sont tiraillés entre ces logiques, entre l’accompagnement de l’élève et l’accompagnement de la personne, avec les limites de leur modèle identitaire et de leur formation professionnelle. Les « aides méthodologiques » sont dans toutes les prescriptions sur le travail de l’enseignant. « Ce n’est pas la spécificité des maîtres E, même si c’est mis en oeuvre très différemment dans les classes. Mais l’aide personnalisée risque de renvoyer vers le dispositif spécifique les moments d’aide, et non dans l’ordinaire de la classe ». L. Lescouarch insiste sur le fait que la pédagogie différenciée ne se confond pas à l’individualisation des parcours, sauf à empêcher les enseignants de dormir…
Pour différencier au quotidien, on peut travailler sur la variation des consignes ou de la tâche, sans avoir à repenser tous les supports.
« On a longtemps cru à la pédagogie du détour, en pensant qu’on apprenait aussi à lire en faisant des parcours d’orientation. Mais le problème est qu’on n’a jamais rien prouvé des transferts en matière d’apprentissage, et le modèle a donc de fortes limites. »
Alors, que reste-t-il aux maîtres spécialisés ?
Ils peuvent être une ressource pour les enseignants, pour les aider à trouver les situations de différenciations dans les classes. « Mais cela ne peut pas être le coeur du métier ». Il fait rire la salle en lui demandant « quelle est la spécificité de votre prime de maître spécialisé ? » Pour lui, c’est d’abord de donner des réponses à des questions pour lesquels les enseignants se sentent démunis. Donc, au-delà de l’adaptation didactique, c’est leur capacité à comprendre la nature de la difficulté de l’élève qui est en jeu, dans le domaine de la cognition ou du rapport au savoir, dans l’explicitation des enjeux du scolaire, voire de la construction de l’enfant, pour lui permettre d’évoluer et d’entrer dans son satut d’élève, pour le champ de la rééducation. « Du coup, tous les cadres théoriques (psychologique, sociologique, psychosociale, ergonomique…) à notre disposition contribuent à éclairer le regard des spécialistes et à comprendre les multiples difficultés dans la situation réelle de travail scolaire des élèves et des enseignants, pour peu que les professionnels y aient été formés ».
Un an de recherches et d’investigations.
La dernière partie du colloque, samedi, est consacrée à la présentation de plusieurs recherches mises en oeuvre par des équipes de maîtres E, en collaboration avec des équipes de recherche.
50 maîtres E interrogés, 639 élèves passés à la loupe, avec l’ambition de répondre à une question : quelles sont les caractéristiques des élèves pris en charge par les maîtres E ? Le groupe de recherche piloté par André Ouzoulias tente de synthétiser les réponses :
– Jean Ferrier avait déjà montré que les enfants nés « en fin d’année » avaient plus de chances de redoubler, et que les enseignants devaient faire attention à ne pas se laisser guider par les seuls élèves les plus âgés.
Les résultats de l’enquête présentée confirment, même si l’effet est moindre que prévu : c’est surtout chez les redoublants que l’effet est massif. Les enfants nés au dernier trimestre sont fortement surreprésentés dans les prises en charge.
Socialement, l’ampleur de la corrélation entre la prise en charge et la catégorie sociale d’appartenance, si elle n’est pas une surprise, est d’une telle importance qu’elle interpelle : les enfants d’ouvriers, d’employés (CSP3) ou d’inactifs (CSP4) forment les gros bataillons des prises en charge (voir graphique ci-contre : en vert, le poids sociologique de chaque catégorie, en orange le poids des élèves de cette catégorie dans les élèves pris en charge). La langue d’origine ou la taille de la fratrie semblent paradoxalement avoir moins d’effet.
Plusieurs indicateurs montrent l’écart de résultat entre les garçons et les filles, avec un plus grand nombre de garçons « faibles lecteurs ». Comme l’indique Jean-Louis Auduc dans « Sauvez les garçons« , la « fracture sexuée est parfois plus importante que la fracture sociale, tant les « manifestations comportementales » peuvent être une source de prises en charge, puis d’échecs.
Autant de raison, pour ne pas amplifier les effets des ségrégations sociales, de ne pas rester « indifférent aux différences« , pour reprendre les mots de Bourdieu.
Une seconde recherche : le rôle d’une première compréhension de la graphophonologie au niveau de la syllabe
Les enquêteurs ont fait passer un prétest à 650 élèves en fin de GS pour mesurer leur capacité à segmenter des mots réguliers en syllabe. Les résultats amènent à créer quatre groupes :
– 1. ceux qui sont hors de la tâche, qui ne répondent pas ou ne comprennent pas ce qu’il y a à faire, qui confondent les lettres et les syllabes, ou qui semblent ne pas avoir de manière stable de répondre à la tâche
– 2. ceux qui font les premiers pas vers le principe syllabique (peu d’erreurs,
– 3. ceux qui semblent appliquer une règle précise (représentation de la syllabe par la consonne initiale)
– 4. ceux qui ont une première compréhension stable de l’idée de graphophonologie.
Lorsqu’on fait passer un premier post-test à ces différents groupes en début de CP, deux mois plus tard, on voit les confirmations des catégories, et quelques évolutions qui marquent la réalité d’une certaine « maturation » liée au temps. Mais en fin de CP, si la plupart sont devenus de « bons lecteurs », on retrouve un peu plus de 15% d’élèves en difficulté. Quelle relation entre l’entrée et la sortie ? La plupart des élèves en difficulté viennent des catégories 1 et 2.
A. Ouzoulias conclut : « De ces études, nous voyons que la nécessité d’un enseignement progressif et systématique de la conscience syllabique sort renforcé, comme étape importante des capacités d’analyse avant l’entrée dans les « phonèmes », pour leur permettre de dépasser les malentendus, mais aussi pour favoriser une analyse parallèle sur l’oral et sur l’écrit, travailler progressivement à la connaissance du nom des lettres, repérer les régularités… Ecrire rend les analogies plus évidentes que si on reste simplement à l’oral ».
Mais au-delà, peut-on mesurer des « effets-maîtres », avec des progressions supérieures à celles des autres classes ? Certains enseignants sont-ils plus « équitables » que d’autres, au bénéfice des plus faibles ? Dans la recherche, cinq classes se distinguent favorablement, et six négativement. Un chantier d’exploration à ouvrir ? Avec un nouveau protocole ?
Quels savoirs-faire de métier pour les maîtres E ?
Avec l’aide du laboratoire PAEDI (Clermont-Ferrand), une groupe de quatorze maîtres E cherche à devenir un « collectif de travail » pour mieux comprendre les pratiques des maîtres E. Ils ont accumulé des données en filmant les pratiques, en rassemblant des traces d’activités professionnelles pour mieux comprendre comment se met en oeuvre le métier. Le échanges et les débats au sein du groupe font partie des matériaux de travail qui permettent de faire émerger la professionnalité, ce qu’on fait, mais aussi ce qu’on pourrait faire ou ce qu’on ne fait plus… « C’est à travers les tensions qu’on peut mieux saisir le métier » précise Serge Thomazet, « beaucoup plus que par ce sur quoi nous sommes d’accord a priori… » Trois tensions semblent saillantes :
– le maître E est-il davantage un expert qu’un collègue ?
– quelle est la part du travail formel et du travail informel (les discussions, les échanges de récré ou de salle des maîtres…)
– comment chacun arbitre-t-il entre les différentes dimensions de ce qu’il a à faire, entre les différentes prescriptions ?
« Nous avons analysé le métier à grain moyen : pas trop distant pour ne pas se perdre dans les généralités, ni trop serré pour ne pas tomber sur des gestes professionnels trop spécifiques, qui ne peuvent être la propriété spécifique des maîtres E. C’est quand on reste dans cet entre-deux qu’on voit la spécificité du métier de maître E« .
Un métier qui se déplace, ou un nouveau métier ?
Entre aide personnalisée et aide thérapeuthique, quelle place spécifique pour l’aide spécialisée ? Entre l’aide directe, en présence d’élèves, et l’aide indirecte, à visée plus lointaine (conseil aux enseignants), comment mesurer l’efficience ?
Entre enseignant des classes ordinaire et conseil pédagogique, quelle place, quel rôle pour le maître E ?
« On demande au maître E de l’empathie, une capacité à trianguler les échanges, à reproblématiser les situations, à analyser les besoins, à mettre en place des techniques d’aide, parfois par des « détours »… »
Mais de plus en plus, les publics « à aider » enflent. De nombreux dispositifs et intervenants menacent de le « déclasser » le métier d’enseignant, spécialisé ou ordinaire, dans une prescription ministérielle de plus en plus à court terme, voire pûrement médiatique.
Mais pour Pascale Ponté, le métier change sans changer complétement. Il est « reconfiguré » : des pratiques « anciennes » persistent mais changent de sens. Devant le sentiment de « réorientation du métier », on réutilise ce qu’on sait faire : porter attention, se décentrer pour collaborer avec d’autres professionnels dans des situations « non-menaçantes », pour reprendre les termes de Marie-Christine Toczek dans la même salle, en passant du « traitement de la difficulté » à la prise en charge collective de la difficulté par les différents acteurs de la situation (enseignants, parents, personnel de santé…) « Autant de choses qu’on fait parfois « sans y penser »… Et « en y pensant », on prend mieux conscience des tensions dans les métiers des uns ou des autres. « Les objectifs du métier ne changent pas : c’est la réussite de tous les élèves » rappelle le groupe de la tribune. L’action en direction des élèves toujours présente. Mais les gestes professionnels doivent s’adapter à de nouveaux contextes, avec des « grains différents ». Cela n’est pas spécifique aux maîtres E : « tous les métiers changent, et Sisyphe porte sa pierre. Mais elle devient plus forte que son destin par la conscience des gestes qu’elle construit. Le flou a le mérite de ne pas arrêter la pensée et de favoriser le mouvement. »
Oser faire, oser dire…
Un comité scientifique pour ne pas penser seul…
Pour finir la journée, la FNAME a invité des membres de son comité scientifique à poursuivre le débat initié à Dôle l’année précédente. Christine Brisset file la métaphore du réseau, conducteur d’énergie, vecteur de partage d’outils et de ressources pour évoluer ensemble. Elle rappelle le rôle de la prévention, du travail en maternelle. Dominique Brunelle raconte comment elle intègre dans son travail de directrice d’école d’orthophonie le travail de connaissance mutuelle et de formation avec les réseaux de l’éducation nationale. Damienne Delmon, présente à la tribune pour la FNAME, rappelle le « chacun a sa place, chacun a sa place » qui avait conclu dles travaux de l’an passé à Dôle. Véronique Boiron souligne la force du mouvement entre singulier et collectif, insiste sur la force de « l’activité intellectuelle partagée », de la mise en mots qui permet de prendre de la distance avec ce qu’on fait parfois « à l’intuition ». Elle souligne la nécessite des cadres de formation qui permettent de s’approprier les repères théoriques nécessaires, dans les différentes disciplines. Serge Thomazet souligne la multiplicité des réseaux différents (travail à l’interne du RASED, avec les maîtres « ordinaires », les parents, les professionnels de santé…) et la force du travail de recherche-action ou de formations inter-métiers pour gagner en intelligibilité sur son travail.
Il revient à Gérard Toupiol, président sortant, le mot de la fin : dans les crises, comme celles que nous traversons aujourd’hui avec les attaques dont sont victimes les RASED, comme d’autres, le métier est malmené, mis en danger. « Mais nous devons trouver les ressources pour le régénérer. C’est à celà que la FNAME s’est attaquée depuis quelques années, en travaillant collectivement à définir des orientations ». Il ne doute pas que la route va se poursuivre, parce que la FNAME a pris le temps de s’installer en profondeur dans cette ambition.
La salle applaudit longuement avant de prendre un dernier bol d’air devant le port noyé dans la brume. « Merci de nous aider à repartir au boulot avec plus de forces et plus de perspectives, pour affronter la tempête et trouver les ressources pour cela… », viennent témoigner les participants, l’un-e après l’autre…