C’est
par un hommage appuyé à son complice G. Charpak,
émigré de l’Est qui disait « tout devoir »
à
l’école primaire française, qu’Yves
Quéré
présente la genèse de l’aventure de la « Main
à la
Pâte » dont il fut, avec P. Léna, un des
instigateurs.
Avant de faire décoller son auditoire matinal vers un
périple épistémologique d’une grande
saveur.
« L’eau bout à 100 degrés ». Pour
passer de la leçon
écrite au tableau à la démarche
expérimentale, passer des faux savoirs à la
construction
d’une situation d’apprentissage,
« c’est à la fois facile et
difficile pour l’enseignant », parce que ces conceptions
heurtent certaines convictions
des enseignants.
Ne faut-il pas de matériel coûteux, demande la
salle ? « Pas
de boite noire,
pas de matériel technologique sophistiqué. Des
bouts de
ficelles pour faire des pendules, des balances Roberval, des
chronomètres et des thermomètres me semblent bien
suffisants pour que l’école primaire fasse ce qu’elle a
à
faire : aider à chercher des petits bouts de
vérité, dans un monde dominé par le
relativisme,
le « à chacun son point de vue ».
Y-a-t-il des « littéraires » et des « scientifiques » ? Y.
Quéré s’insurge : « Il y a des gens qui ont
accès à la culture, et d’autres a qui elle fait
défaut ».
Il invite à regarder l’étymologie du mot : cult-
relie au
sacré, mais aussi à ce qu’on cultive, comme une
graine
qui s’ouvre au contact de la lumière, qui part de rien et
qui
arrive à presque tout. Mais -ure lui semble presque plus
important : il s’adresse à l’avenir, à ce qui va
advenir.
La science est donc un
constituant de la culture, pas un élément
exogène.
Il faut sans doute remonter aux origines de l’histoire humaine pour
comprendre comment, dans le cerveau humain, s’est produite
l’association entre un son produit par la voix et un objet. C’est
l’origine de la science : une dénomination progressive de la
nature, la faculté d’ordonner l’immense chaos de sa
complexité. Nommant les objets, l’espèce humaine
devient
capable de distinguer des sous-ensembles de plus en plus fins.
Après les substantifs, viendront les qualificatifs, les
comparatifs, les verbes pour décrir les actions, l’adverbe
pour
en préciser les modalités, puis la phrase qui les
articule et les recompose dans de multiples sens. Progressivement, on
distinguera les phrases à l’intérêt
local et
circonstancié, à l’intérêt
relatif (« ce
matin, je vais à la chasse »), et celles qui, bien que de
même nature grammaticale, valent pour
l’éternité :
« la pierre tombe » est une phrase de science, valable ici et ailleurs,
hier et aujourd’hui, même si la science ne va avoir de cesse
que
de l’améliorer, de la théoriser, d’abord comme
Aristote
en pensant que la pierre lourde tombe plus vite que la pierre
légère, puis comme Galilée qui, en
engageant des
expériences comme un dialogue avec la nature,
découvrit
que la pierre légère et la pierre lourde
arriveraient en
même temps en bas de la tour de Pise, et qu’elles tombent de
plus
en plus vite. Progressivement, les phrases s’allongent et deviennent
complexes, à tel point qu’il devient nécessaire
d’inventer un nouveau langage, universel et condensé, les
mathématiques. La phrase de la science se résume
désormais à h= t2.
A tel point qu’elle permet d’inventer un futur de croyance : « la pierre
tombera ». En tout cas, sur notre Terre. Pour les autres banlieues,
à repréciser en contexte. Parce qu’i pourrait
aussi
advenir qu’au fur et à mesure qu’on connaisse de mieux en
mieux
le monde, on s’aperçoive que l’amphore qui recueille les
gouttes
de la connaissance ne fasse pas que se remplir, mais se dilater… On
ne peut donc enseigner la science sans relation avec le langage, et
inversement. Et ce qui fait sens de l’Ecole.
Evidemment, reste la question de la langue accessible à
l’enseignant, sa capacité à avoir le
réflexe de
faire le lien entre le problème concret et la
théorisation de la situation, à travailler sur
ses
propres représentations des savoirs et de son histoire…