Par Jeanne-Claire Fumet
C’est avec l’enthousiasme communicatif de la passion qu’Isabelle Duflocq, directrice d’école d’application de l’IUFM de Créteil, est venue présenter son expérience d’atelier philosophique auprès d’élèves de maternelle lors du Café de Pédagogie vivante, mercredi 20 octobre au bar du Lucernaire à Paris. Les enfants de maternelle peuvent-ils réellement penser, voire philosopher ? Aux questions et aux préventions légitimes qui peuvent s’élever devant une telle proposition, elle a su opposer les arguments pesés et réfléchis d’une pratique solidement étayée du point de vue des sciences de l’éducation et de la philosophie.
Premières interrogations à propos d’une initiation aussi précoce : est-ce vraiment de la philosophie?
« En réalité, précise Isabelle Duflocq, la question ne s’est pas posée en ces termes au départ. Nous avons été sollicités par Jean-Charles Pettier, professeur de philosophie à l’IUFM de Créteil, qui concevait des fiches pédagogiques pour la revue Pomme d’api et qui souhaitait les mettre en application auprès de classes de jeunes enfants. En nous interrogeant sur cette idée, nous avons rencontré un réel besoin de sens, chez les petits comme chez certains enseignants, et nous avons cherché comment y répondre à travers la mise en œuvre des ateliers de réflexion. Il y avait aussi une forte demande institutionnelle, pour nous, école d’application, vouée à l’innovation et à la découverte, qui étions confrontés à l’exigence d’innover pour ne pas disparaître. La question de savoir si allions faire de la vraie philosophie, ou même de la philosophie tout court, n’était pas notre préoccupation. Mais les plus sévères critiques que nous avons rencontrées tenaient à cette question de légitimité au regard de la philosophie.»
Les difficultés de mise en place : un grand moment de solitude…
« Lors des premières expériences, on peut croire que tout va fonctionner d’emblée, que les enfants vont s’interroger et réagir spontanément. Il n’en est rien. Au début, c’est plutôt le silence. Mais on instaure progressivement des règles d’échange dont le respect va créer un climat de confiance et de sécurité. D’abord, chacun apprend à lever la main, à céder la parole à ceux qui n’ont encore rien dit, à écouter sans se moquer. Il faut du temps pour s’écarter des anecdotes, des exemples, des répétitions, des remarques sans liens. Mais peu à peu, les enfants acquièrent le sens de l’à propos et commencent à user de « parce que » de « toujours » et de « jamais » ; on n’entre pas encore dans l’universel, mais déjà le raisonnement s’ébauche. Surtout, ils découvrent que toutes les réponses sans recevables, qu’elles peuvent être discutées dans le groupe, parce qu’il n’y a pas de « bonne » réponse attendue qui réglerait la question. »
Autre chose qu’un groupe de paroles.
« La spécificité de l’atelier tient dans la manière dont s’organisent les échanges. Dans les groupes de paroles, on s’interroge sur la vie de la classe, on analyse les événements du quotidien et on essaie de résoudre les problèmes concrets. Dans l’atelier de réflexion, on ne traite pas les questions « à chaud », dans l’improvisation : on aborde des sujets qui ont été préparés à l’avance, que l’on nourrit au préalable de lectures choisies pendant la classe. Avec l’aide de Jean-Charles Pettier, nous nous préparons en réfléchissant aux questions afin d’éviter toute réponse prête à l’avance qui pourrait fermer la discussion. C’est une véritable aventure pour l’enseignant comme pour les élèves, une vision très différente de la relation pédagogique. Par l’observation du travail du groupe, on prend aussi conscience de tout ce que l’on ne voit pas habituellement : le langage du corps, l’équilibre qui s’opère et que l’on organise entre grands parleurs et petits parleurs; on découvre à quel point chaque élève, même le plus discret, joue un rôle et a pleinement sa place au sein du groupe pour faire progresser la réflexion générale. »
Pour quels effets sur les enfants ?
« En deux ans, on constate une incroyable évolution dans l’attitude intellectuelle des élèves. Ils gagnent en maturité de réflexion, en pertinence de questionnement, leur rapport aux apprentissages en est changé. Le besoin de comprendre s’affirme, parfois au risque d’une mise en cause de la parole de l’enseignant… Il est donc important de dissocier le moment de l’atelier, bien symbolisé dans l’espace et le temps, des autres moments d’apprentissage, où les acquisitions requièrent davantage d’acceptation. Mais la démarche de questionnement, l’importance de penser par soi-même, leur est désormais familière. Ils sortent du carcan de la pensée familiale pour découvrir qu’ils ont eux-mêmes une capacité de penser. »
Une expérience à généraliser?
« Ce genre d’atelier demande beaucoup de travail et de préparation. Sa réussite est aussi fondée sur l’investissement et la motivation personnelle des enseignants. En faire une obligation institutionnelle ne serait vraiment pas souhaitable. Le livre que nous publions n’est pas un mode d’emploi clé en main : il permet de découvrir et de se familiariser avec une démarche au départ peu évidente, pour inciter peut-être ensuite à s’interroger et à se former pour une pratique personnelle. Mais autant il est utile de partager cette expérience à plusieurs, d’échanger, de confronter les styles et les méthodes, autant une généralisation pourrait engendrer des dérives ou des maladresse dommageables. »
Un livre :
Jean-Charles Pettier, Pascaline Dogliani et Isabelle Duflocq, Apprendre à penser et réfléchir à l’école maternelle, Editions Delagrave, 2010 – 119p.
L’article du Café sur le livre :
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/10/Tro[…]
Et maintenant un film :
Pour découvrir « Ce n’est qu’un début », le film tourné par Ciel de Paris sur le travail des enseignants de l’école d’application Jacques Prévert du Mée sur Seine,:
http://www.cenestquundebut-lefilm.com/enseignants
Sortie en salle : le 17 novembre.
L’article du Café sur le film :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/l[…]
Sur le site du Café
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