Jean-Jacques Calmelet est inspecteur de l’éducation nationale (IEN) et chargé de mission « enseignement des mathématiques » par l’inspecteur d’académie du Nord.
Evaluations nationales CM2 (et un peu de mathématiques !).
L’agitation et les réserves régulièrement relayées dans vos colonnes à propos des évaluations nationales sont cette fois alimentées par le ministère lui-même : l’alchimie qui organise l’argumentation ministérielle, y compris celle de la DEPP, met du plomb dans la vraisemblance des informations des deux années de cet exercice !
Pour autant, l’argumentaire des chroniques diverses que vous relayez ne me paraît pas plus fiable… Je ne vise pas les commentaires, l’étude des chiffres, chacun peut les entendre, mais je mets en cause la démagogie de certaines approches et justifications de la thèse du faux, du nul et non avenu !
Le point de vue historique, devrait inciter à la distance. Depuis la mise en œuvre des « évaluations nationales » (89) ce sont toujours les enseignants qui ont fait passer le protocole, qui l’ont corrigé, qui ont fait remonter les résultats… Leur honnêteté (le bachotage, le « bidouillage » des chiffres…) est-elle davantage sujette à caution aujourd’hui … comme celle des IEN (le « trafic des résultats») ?
A-t-on des éléments, scientifiques, permettant ce type d’allégations ?
Pour revenir sur le fond, en évoquant les seules mathématiques, on parle de la difficulté supérieure des exercices proposés cette année :
Dans le détail, chacun est-il allé comparer le niveau précis de chaque item au libellé correspondant des programmes ?
Quelqu’un connaît-il les résultats comparés des différents champs : les chiffres retenus portent globalement sur des quartiles ; qu’en est-il du détail des champs disciplinaires ?
Histoire encore : je tente d’analyser quelques informations des différentes évaluations nationales depuis leur origine ; j’ai quasi systématiquement observé un grand écart entre l’attente du niveau en math de fin d’école élémentaire et les résultats obtenus. « On » s’en est peu inquiété. J’y reviendrai plus loin
Dans de nombreuses interventions lues dans vos colonnes, il me semble observer que les représentations (des connaissances, de l’enseignement…) supplantent les connaissances elles-mêmes (est-il scandaleux de demander à des GS de partager 6 bonbons entre trois élèves… de demander au CE1 de faire des équipes de 5 dans une classe de 22 élèves… c’est-à-dire « d’approcher la division… »).
Le problème, pardon, LE problème, ce sont les « programmes » – 2008 – Voilà le, LE mal !
Certes, je m’interroge sur quelques aspects ; mais je crains de n’avoir pas la compétence pour les juger. Ni mathématicien, ni chercheur… Mon âge et mon expérience me permettent de dire que je n’avais jamais abordé à certains niveaux certaines connaissances… Et alors ? Cela peut-il être constitutif du « bon sens » ?
Je dénie cette vision. J’ai simplement, rapidement regardé ailleurs, comment on enseigne les maths ailleurs… Asie, pays anglo-saxons, pays de l’Est… les cultures sont très diverses ; ce n’est pas un jugement, juste une distance. Mais l’idée que le « bon sens » relève de l’expérience des praticiens m’inquiète, m’afflige… Et je suis un praticien. L’idée de programmes, d’une évaluation issus de concertation entre praticiens, en se référant aux principes de la démocratie participative est ici une hérésie, un dévoiement !
Du point de vue scientifique. Je rappelle que la culture des enseignants du premier degré est relativement limitée en mathématiques (une minorité a eu une formation universitaire à dominante scientifique) ; la formation professionnelle initiale en mathématiques est très restreinte dans le cursus actuel (et quelques projections du nouveau recrutement des enseignants ne rassurent pas quant aux « évolutions » de la formation !).
Remarque : sans doute, ne serait-il pas inutile d’interroger par ce biais la permanence d’écarts sensibles entre l’attendu et le réalisé (qui ne date pas des évaluations 2009 ou 2010). Il y a un manque considérable de formation en mathématiques. Je rappelle que l’essentiel de la formation continue repose sur les IEN et leur équipe de circonscription (18h de formation sont dues à chaque professeur d’école) : eux-mêmes sont originaires, très majoritairement, du corps des PE et partagent donc le même type de formation initiale et de culture.
S’il est légitime de s’interroger sur les évaluations, il est prioritaire de s’interroger sur l’enseignement de cette discipline.
Même si elle peut être populaire, l’idée de confier la conception des programmes ou des évaluations aux enseignants est une grave déviance ; se targuer de démocratie dans ce débat, de la démagogie ! Les enseignants, les usagers doivent-ils ordonner le parcours scientifique des apprentissages, des programmes et des supports des évaluations ? La science se fonde-t-elle sur la majorité ? Je ne le pense pas, pas plus qu’il ne me semble légitime que la science et les contenus de son enseignement soient confiés au politique. Les programmes ne doivent pas être davantage une question de ministre qu’une question d’enseignants ou d’usagers.
Je crois l’évaluation nécessaire. Je crois cependant que c’est sur l’enseignement des mathématiques à l’école que nous devons porter notre attention et que l’institution doit s’interroger (à la fin du master, certains étudiants auront abandonné les mathématiques depuis la 1ère…), sans qu’on se trompe de méthode, sans qu’on trompe par la méthode !
Il ne s’agit pas de prôner un retour à « la dictature des maths » (cf. « le monde de l’éducation ») mais bien de cibler les priorités… Le thermomètre, les évaluations, mérite sans doute des ajustements, mais c’est une chimère qui devrait moins agiter que les questions fondamentales de l’enseignement des mathématiques à l’école primaire.
Jean-Jacques Calmelet
IEN – Marcq-en-Barœul
académie de Lille
PS. J’aurais bien aimé ajouter une hypothèse pour tenter d’expliquer (partiellement) la baisse des résultats, nouvelle baisse : si les programmes 2008 n’ont pas réduit les 5 heures de mathématiques (augmentant ainsi son quota – 5/24ème au lieu de 5/27ème !), le passage à quatre jours a pour conséquence directe la perte d’une séance de math chaque semaine, même en ajoutant, ici ou là, des « petits morceaux », on fait 4 séances au lieu de 5 : voilà la réalité, donc moins de math, moins de temps pour aborder les notions, moins de temps pour l’entraînement, moins de notions abordées… de moins bons résultats. CQFD…