Les aides apportées dans l’ordinaire de la classe : comment celles-ci peuvent avoir parfois un effet contreproductif.
Ateliers de Jeanne Dion et Odette Bassis
Dans ces ateliers les participants ont décortiqué comment comprendre ce que les élèves ne comprennent pas. Quels obstacles ? Quels leviers ?
Analyser la nature des erreurs des élèves pour comprendre ce qu’elles disent du sujet :
A l’école, si on produit une tâche, c’est pour apprendre (et non pas l’inverse). Et en produisant, on tâtonne, on se trompe, on recommence, on fait des erreurs. C’est normal, on est en train d’apprendre ! Ça, c’est le préalable, posé par Jeanne Dion, qui, ensuite, d’entrée de jeu, divise le groupe en deux sous-groupes pour analyser des erreurs d’élèves en maths (calcul d’opérations) et en français (orthographe du futur des verbes). La consigne est de repérer les erreurs, de trouver des types d’erreurs et d’analyser leur nature, en confrontant les argumentations au sein du groupe.
Certaines erreurs de calcul d’additions ou de multiplications par exemple sont dues à un défaut de mémorisation, une non-maitrise de procédures automatisées.
D’autres erreurs sont repérées comme étant :
– des erreurs sur les retenues (oubli de la retenue, placement erroné de la retenue dans une colonne, comptage du résultat et ajout de toutes les retenues en même temps…) : une classe d’erreurs qui montre que les élèves ne comprennent pas les groupements de nombres, la base décimale
– des erreurs dans la position des chiffres (dans les opérations posées en colonnes) parce que les élèves n’ont pas compris l’écriture positionnelle des chiffres dans la numération décimale (dont la numération des nombres entiers n’est qu’une petite partie).
Proposer des aides méthodologiques aux élèves?…
De retour en grand groupe, Jeanne Dion aide les participants à réfléchir ensemble. Une fois repérées et analysées les erreurs des élèves, que fait-on pour les aider?
En calcul d’opérations par exemple, on met les chiffres dans des colonnes « hermétiques », on attribue une couleur pour chaque position (c/d/u), on fait accéder au résultat étape par étape, on oralise (je pose 2 et je retiens 1)…
Mais certaines des aides simplifient la tâche en de multiples sous-tâches qui empêchent les élèves d’en comprendre le sens global, d’autres détournent l’attention des élèves sur des tâches annexes, d’autres encore qui enferment les élèves dans ce qui n’est qu’exécution.
« Tout ce qu’on a cru aidant ne l’est pas forcément. », dit Jeanne Dion.
En entraînant les élèves à des procédures mécaniques, ceux-ci peuvent effectivement les appliquer et réussir la tâche demandée. En leur fournissant des aides d’ordre méthodologique, on ne leur donne pas d’explication sur la notion qu’on veut leur apprendre.
… ou leur donner des explications sur les concepts enseignés
L’essentiel est que les élèves comprennent le « pourquoi » de ce qu’ils apprennent, qu’ils accèdent aux concepts derrière les mots ou les techniques.
L’élève, quand il apprend, passe par des ruptures épistémologiques et construit son savoir comme l’humanité au fil de l’histoire a construit le sien. C’est en donnant une dimension anthropologique au savoir, en expliquant la genèse des savoirs, que l’enseignant donne des clés pour comprendre le monde et s’inscrire dans l’humanité.
Les adultes apprenants que sont les participants à l’atelier, font des découvertes aujourd’hui et manifestent (bruyamment pour certains!) leur bonheur de comprendre enfin! « Cela change tout dans le rapport au savoir », disent-ils.
Explications en orthographe, où le futur simple ne l’est pas!
Mais quand Jeanne Dion explique aux participants redevenus apprenants le temps de ces ateliers, les raisons socio-historiques des terminaisons du futur, différentes de tous les autres temps, alors tout s’éclaire!
On nous a enseigné et on a enseigné la formation du futur à partir de l’infinitif du verbe auquel on ajoute les terminaisons du verbe avoir. Mais pourquoi ? « C’est comme çà », nous a t-on répondu; on apprend la règle et on l’applique.
Jeanne Dion raconte… et l’auditoire est sous le charme.
En latin, le futur est simple ; dans les langues celtiques, il est composé. La langue est un moyen de résistance à l’envahisseur… Les populations celtes ont résisté aux romains par la langue et la forme celte du futur a perduré. Le futur que nous connaissons a été fabriqué par contraction de cette forme.
Exemple : on a glissé de « j’ai à étudier » ou plutôt « à étudier, j’ai » à « j’étudierai »
Et vous pouvez vérifier, « çà marche » pour tous les verbes! Sauf quelques cas qui s’expliquent – lire le livre de Jeanne Dion et Marie Serpereau, « Faire réussir les élèves en français de l’école au collège », paru chez Delagrave en 2009.
Des obstacles contenus dans la situation même d’apprentissage (ou d’évaluation)…
Odette Bassis, quant à elle, propose à la réflexion du groupe, des situations de l’évaluation CM2 qui a eu lieu en janvier dernier.
Par exemple l’exercice 18 que voici :
Un spectacle musical avec cinq artistes est proposé au directeur d’une école. Il faut payer les artistes 50 euros chacun. Il faut aussi payer leur déplacement, soit deux cents euros au total. Il n’y a pas d’autres frais.
L’association de parents d’élèves donne une aide de 110 euros et la mairie accorde une autre aide de 240 euros.
Si les 102 élèves de cette école assistent au spectacle, quelle participation financière pourrait être demandée à chaque élève pour payer la dépense restante ?
Les participants prennent conscience que les obstacles sont contenus dans l’exercice lui-même, sous forme de « pièges » : nombres écrits tantôt en chiffres, tantôt en lettres, l’expression « au total » (qui n’en est pas un!…), les nombres 110 et 240, plus grands que le 50 servant au calcul… des pièges pour les élèves qui ne sont pas en connivence avec les pratiques de l’école.
L’utilisation de situations apparemment concrètes, issues de la vie quotidienne, empêchent les élèves de comprendre qu’on est bien dans un apprentissage scolaire, dans un langage particulier (celui des mathématiques).
Tout de même des leviers pour agir…
« Le principal levier est de s’attaquer aux savoirs », disent ensemble Odette Bassis et Jean Bernardin qui proposent, dans l’exercice du quotidien de la classe, de réfléchir à quelques principes de base, comme :
– Créer des situations d’enseignement-apprentissage qui soient des situations-impasses (sur lesquelles les élèves vont buter) et non pas de fausses situations-problèmes (qui n’ont pas besoin de réflexion pour être résolus)
– Passer d’une logique de questions avec réponses connues d’avance (O Bassis les appelle avec humour les « QRCA »), la pédagogie du cours dialogué, à une logique de questionnement avec travail intellectuel (en interagissant avec ses pairs, l’élève va se construire son savoir)
– Rendre les objets de savoir insolites pour amener les élèves à les questionner (comme dans Brecht : « considérer le réel comme insolite »)
Un petit « encart » théorique dans le déroulé de l’atelier permet (au passage) de rendre hommage à Jean-Pierre Astolfi disparu il y a peu de temps. Celui-ci cernait la différence entre l’information (objet extérieur au sujet), la connaissance (objet intériorisé par chaque individu) et le savoir (résultat d’un effort d’objectivation, fruit d’un processus intellectuel)…
Petit dialogue « volé » à la porte à l’heure de la fin.
« C’est bien le rôle de l’école de permettre à l’enfant de s’émanciper et de devenir citoyen », disait l’un. Et l’autre… « Oui, la pédagogie, c’est politique ».
Belle conclusion pour une journée forte.
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