Assises FSU de la formation,
novembre 2009
« Penser la
formation, c’est penser la conception du métier… Mais
quelle conception ? »
Dans quelques jours, le 13
novembre, les deux ministres de l’EN et de la recherche vont
annoncer les décisions qu’ils vont prendre
à partir des groupes de travail, sans concertation avec les
organisations syndicales. La FSU appelle à une
grève le 24 novembre, y compris pour exprimer son opposition
à la réforme prévue. Mais à
l’intérieur de la
fédération, les syndicats semblent
divisés, entre le SNUipp et le SNESup, qui
réclament un concours à la fin de la
première année de M1, comme le SGEN et le
SE-UNSA, et les syndicats du second degré (dont le SNES),
qui penchent pour un recrtuement en M2.
L’organisation
d’une journée nationale sur la formation
était donc un défi pour ceux, SNEP en
tête, qui entendent poursuivre le travail pour
dépasser les rancoeurs et les débats internes. Seule
solution, inviter à la tribune des experts, pour
décaler le débat et prendre du recul. Les
militants qui avaient fait l’effort de passer un samedi
à Paris n’ont pas été
déçus du voyage…
Ouvrant les débats, Gérard Aschieri,
secrétaire général de la FSU, pose un
cadre qu’il veut serein.
Travailler sur la
réforme de la formation des enseignants, c’est
ouvrir un débat sur la conception de sa profession, le
devenir des IUFM, les conséquences sur
l’Université dans le cadre de la loi
LRU… «
Le débat est normal, tout ne monde n’a pas le
même point de vue, au sens premier du terme, ni les
mêmes intérêts »,
explique-t-il. Dans ce contexte, il met l’accent sur ce qui fait position
commune : volonté d’amélioration et
démocratisation du système éducatif,
obtention d’un master délivré par
l’université, rejet du projet gouvernemental
coupable de « dégrader la formation
professionnelle », demande d’une « autre
réforme ». Il insiste sur la
« question centrale » de l’avenir des
structures IUFM, l’augmentation de la sélection
sociale avec la supression de l’année de
stage…
« Ce qui fait
débat, c’est la place du concours, en fin de M1 ou
en fin de M2 ? Comment avoir un master de qualité, tout en
permettant aux étudiants de passer un concours
sélectif ? Faut-il faire se succéder dans le
temps formation disciplinaire et professionnelle, ou les
intégrer au risque de mélanges explosifs ? Toutes
les questions sont imbriquées, c’est ce qui fait
la complexité de la construction de la
réponse… ».
D’autant plus que certains métiers, par exemple
les PLP, n’ont pas actuellement de filière
universitaire de niveau master…
C’est au tour des invités de prendre la parole. Un
plateau de choix est rassemblé, dont les propos vont secouer
la salle…
• Quels sont les gestes
professionnels d’un enseignant ? Comment les faire
acquérir en formation initiale ?
Pour Dominique Bucheton,
de l’Université Montpellier 2 (IUFM), « le «geste
professionnel » de l’enseignant, c’est ce
qu’il fait en direction de ses élèves,
avec des intentions, des convictions, des valeurs, en
s’inscrivant dans un collectif de travail qui cherche
à gagner en efficience pour gagner en démocratie.
Mais cet « agir enseignant est un produit complexe, fruit de
multiples préoccupations qui s’enchainent
à une vitesse prodigieuse, avec les prises de
décision « à jet continu » et
des réajustements constants. « Je suis pour dire
que nous ne savons pas encore assez travailler ces questions, notamment
les logiques d’action et les valeurs des enseignants. Le
métier est à réinventer, à
transformer. »
Comment ces gestes
s’apprennent-ils ? «
Dans l’action et dans la conceptualisation, on le sait. Mais
on ne réfléchit pas comme ça
à son métier. Il faut s’y outiller. Les
étudiants ne font pas les liens entre les
différentes dimensions théoriques du
métier. Les résistances ne sont pas que dans
l’institution, elles sont aussi dans nos métiers
et dans nos têtes ». L’agir enseignant
est aussi quelque chose qu’il faut protéger.
Envoyer des stagiaires face à des
élèves n’importe comment,
c’est développer de
l’émotivité sans donner les moyens de
se « développer professionnellement ».
Pour les jeunes enseignants comme pour les
élèves, il faut, pour se
développer, faire l’expérience d’une première réussite, faute de quoi on risque de provoquer rupture et
désistements. Nous devons donc penser la formation avec de
nouveaux dispositifs, filés, accompagnés,
questionnés, parlés en collectif pour apprendre
à nommer les situations. »Comment l’Université
professionnalise-t-elle ?
F.
Artigue, Président de l’Association des directeurs
d’Instituts universitaires professionnels (IUP),
engage la salle vers des horizons décapants, en faisant des
parallèles saisissants…
«
L’Université cherche depuis longtemps à
professionnaliser, d’abord les ingénieurs, dans
des institutions spéciales, puis dans les IUT. Mais former
des professionnels ne se fait pas avec des enseignants chercheurs purs
et durs. Il y a eu jusqu’à 300 IUP en France,
notamment en génie civil, banque, communication, en
alternance, avec le souci d’être en
adéquation avec les besoins de l’emploi. Mais
faute de les avoir protégés, ils ont presque
disparu avec le retour de l’Université «
traditionnelle » qui a repris le pouvoir avec le LMD, qui a
réclamé des formateurs «
habilités » ayant fait des publications pour
former nos étudiants, ce qui était totalement
décalé. On a cassé ce
système, déqualifié les masters
professionnels au profit des master recherche… Quand un
ingénieur fait un pont, il doit croiser de multiples
entrées de savoirs, de cultures, de
savoir-faire… Les enseignants du
supérieur n’ont-ils pas accompagné le
ministère dans ce démantèlement, en
réclamant l’universitariation à tout
crin sans se préoccuper des contenus professionnels
à construire, à tisser pour parvenir à
former des professionnels efficaces ? ». La
salle applaudit, un ange passe…
Patrick
Rayou, université Paris 8, en ajoute une
couche, dans la dentelle… Il a la lourde
responsabilité de répondre à la
question «
Quelle articulation entre les divers formateurs ? Quel lien avec le
terrain ? Quelles évolutions nécessaires dans la
formation de formateurs ? »
Il retourne la question
posée : «
des formateurs pour quels formations ? Il ne peut y avoir de formation
professionnelle que par alternance, et les solutions en
découlent. Le potentiel de l’IUFM est
considérable, et pas toujours assez connu de
l’IUFM lui même qui est carent pour «
disciplinariser » son savoir professionnel pour faire
« genre professionnel ». Les savoirs-faire des
enseignants-chercheurs, mais aussi tous les autres formateurs. Les
« séminaires de mémoires »
pourraient être l’occasion de renforcer la culture
professionnelle croisée des formateurs. On manque de
recherches contextualisées en éducation.
Mais
un des drames de la formation, c’est que
l’alternance ne permet que trop peu de rencontres entre les
différents lieux de l’alternance.
Conséquence : les étudiants
s’installent dans une séparation entre la
« théorie » et la « pratique
», entre le centre et le terrain, entre les formateurs du
haut et les formateurs du bas… Etre formateur en
même temps que chercheur, c’est une des conditions
pour mettre les mains dans le cambouis…
Comment
diffuser les
résultats de la recherche en éducation ?
Cela touche les savoirs
à enseigner et les savoirs pour enseigner. Si on pense en
terme de tache d’huile, ça ne marche pas : les
savoirs de la recherche ne peuvent intéresser le terrain que
s’ils sont traduits, mis en actes dans la formation,
re-problématisées en des termes qui concernent
les praticiens.
Il faut oser dire que bien
des savoirs de formation s’élaborent au sein de la
formation elle-même. Ces savoirs d’action sont trop
peu captés, mis en forme. On ne recueille pas encore les
savoirs de métiers des débutants, et on a
l’impression que chaque génération les
réinvente. Les entrants dans le métier peuvent
être aussi leurs propres formateurs, pour peu qu’on
les y encadre. Les enseignants débutants se
méfient des savoirs surplombants, et les mémoires
de futurs master peuvent avoir toute la richesse universitaire possible
pour être de véritables moyens de se former par la
recherche, pour peu qu’on les diffuse et les traduise.
Former des formateurs par des
masters de formation de formateurs, c’est urgent, pour faire
du cadre national et développer le métier de
formateur en le professionnalisant, en l’inscrivant dans les
collaborations professionnelles nécessaires…
Quel tronc commun de formation et
quelle formation spécifique ?
Pour Christian Orange,
de l’Université de Nantes (IUFM), les IUFM avaient dans leur
projet la
mise en place de culture commune, ce qui est resté
globalement un échec.
Les équipes qui
tentent aujourd’hui de construire
l’organisations des masters mettent en forme plusieurs blocs
pour repérer
ce qu’il y a à faire en formation (didactiques,
savoirs de
l’enseignant…), au risque de passer à
côté de la culture professionnelle
partagé des enseignants. Il faut se demander ce que veut
dire «s’y
connaître en enseignement
» ou en éducation, pour
repérer les
compétences critiques de l’enseignant. La culture
professionnelle n’est pas que de la technique,
c’est aussi une expertise critique sur ce qu’est
l’enseignement et l’éducation. Cela ne
peut exister que s’il y a un projet pour l’Ecole.
De
la salle, on appelle
à défendre et à mieux
élucider les savoirs-faire des médiateurs que
sont les maîtres-formateurs, à les qualifier par
un master de formateurs, voire à imaginer un
doctorat professionnel comme au Québec.
On s’oppose à la stagiarisation sauvage sans
articulation avec la formation, on pointe le risque de transformer en
formation
continue ce qui relève de la formation initiale. Une
responsable locale du SNES invite les militants syndicaux à
s’emparer des questions professionnelles pour engager le
débat avec les jeunes enseignants pour «
créer du collectif ». On reparle du
contenu et des modalités du
concours…
Jean-Pierre
Kahane
apporte le soutien de l’académie des
sciences, qui
dans son récent avis, demande de « positionner
soigneusement la formation professionnelle »
avec autant de
respect que celle des médecins et des avocats, et demandant
de renforcer les licences pluridisciplinaires pour les futurs
professeurs des écoles, de prérecruter des
allocataires dès la L2, mais aussi de recruter
dès la fin du M1 pour permettre la gestion des flux des
candidats aux stages dans les établissements.
Un intervenant
résume avec emphase : «
Nous vivons un
moment très difficile avec la casse de la formation, mais
jamais nous n’avons jamais eu autant de contenus de savoir
pour comprendre ce qui se passe dans les classes. Il faut retrousser la
chemise ! (sic)».
C’est
l’heure du repas. Cet après-midi, trois ateliers
vont poursuivre le travail. Dans l’atelier «
Recherche et formation », le didacticien Yves Chevallard
invitera la salle à ne pas se laisser duper par les
Diafoirus qui tentent d’importer des « savoirs en
stock » sans prendre en charge les «
difficultés concrètes » des
enseignants, et donc à développer la recherche
« organique » sur les métiers de
l’enseignement.
En fin de
journée, la FSU publiera un appel au
gouvernement
à «
développer et transformer la
formation ». Et les militants retourneront dans
leurs
départements et leurs instances, mesurant un peu plus
l’ampleur des questions à traiter dans les
collectifs auxquels ils participent… sans attendre de leurs
« ennemis » qu’ils leur donnent les
outils qu’ils ont besoin de forger avec les enseignants pour
«
développer leurs métiers
»… Finalement, le pari des
organisateurs aura
été positif. Si ça se trouve, une
journée comme ça, ça peut construire
des suites…
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