Interview d’un philosophe (Jean-Yves Heurtebise) par un biologiste (Idriss Aberkane)
Cet article est dédié à mon professeur de philosophie de terminale : Alexandre Breton
Ci-dessus : Photo prise sur le chemin des Muir Woods au Nord de San Francisco, durant l’école d’été restreinte avec le Kozmetsky Global Collaboratory de l’Université de Stanford en 2008 sur le thème « Penser le Nouveau ». A gauche : Jean-Yves Heurtebise. A droite : Idriss Aberkane
Introduction :
J’ai rencontré Jean-Yves Heurtebise au cours de ma première année en tant qu’étudiant à Normale Sup’ et lors de mon année de recherche au département de mathématique à Stanford University (USA). Nous n’avons cessé de travailler ensemble depuis cette période. Jean-Yves Heurtebise a enseigné la philosophie et le français au lycée à Marseille. Il est docteur de philosophie et historien de l’art, maintenant chercheur à Taiwan (National Taiwan University) et rattaché au Centre de Recherche sur les Arts et les Langages de l’EHESS (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris). Il est également membre de la Society for Phenomenology and Media et de l’International Communicology Institute, toutes deux à Washington. Ses travaux très divers portent sur la philosophie des sciences et des technologies, les ponts entre les modes de pensée (philosophie anglo-saxonne et philosophie continentale, philosophie orientale et philosophie occidentale), le cinéma et la philosophie de l’esthétique. Dans sa thèse, il a proposé l’idée que la Vie était un processus et non une chose, un processus intelligent au sens non spiritualiste mais simplement étymologique du terme, dans le sens latin inter ligere, faire des liens, et que la liaison entre deux objets précédait les objets eux-mêmes (« link is first »). On lui doit un brillant Essai d’une géographie symbolique de la morale et une nouvelle théorie de la perspective en arts en cours d’élaboration. Récemment nous avons travaillé sur l’élaboration d’un nouveau média permettant d’organiser la connaissance en la spatialisant à travers le nouveau medium qu’est Internet, ceci avec pour but de mieux la transmettre (notamment pour la formation continue) et en ayant le moins possible recours au langage afin de dépasser les barrières linguistiques sur le web à l’heure où le mandarin notamment et un grand nombre d’autres langues que l’anglais s’y imposent de plus en plus. Ce nouveau média nous l’avons appelé « Merleau-Pontian Universe[1] » (comme nous avons lancé l’idée aux Etats-Unis, le nom « MPU » est resté).
Cet entretien a été réalisé sur Internet le 14 juin 2009 entre Paris et Pékin (où Jean-Yves se trouve jusqu’en septembre). Le but étant de faire se croiser les idées d’un philosophe et celles d’un scientifique, à partir d’ici en plus de mes questions, mon point de vue est exposé également en vert dans la marge à droite. Bonne lecture.
Quand on étudie le cerveau, le langage, c’est cette capacité (presque toujours située dans l’hémisphère gauche) dite « générative », c’est-à-dire capable de créer de nouveaux énoncés sans les avoir jamais entendus avant, que possèdent les Humains pour communiquer et surtout exprimer des notions abstraites. Plus encore, quand on étudie le cerveau, on sait que le langage est quelque chose de relativement artificiel : l’être humain n’a pas évolué pour exprimer le langage, c’est plutôt le langage qui est apparu spontanément dans son cerveau en recyclant des populations de neurones qui sont associées par exemple à la reconnaissance des formes pour les lettres et à la reconnaissance des sons pour les syllabes formantes. Stanislas Dehaene a écrit un très bon ouvrage à ce sujet « Les neurones de la lecture » paru chez Odile Jacob. Dehaene avait aussi remarqué et étudié les liens partiels qui unissent langage et capacités numériques… La pensée c’est déjà autre chose. Comme le langage elle possède un caractère génératif, mais s’il y a des aires spécifiques du langage dans le cerveau il n’y a pas d’aires spécifiques de la pensée. Par contre il y a un véritable concert cérébral, un concert changeant et fluctuant d’aires du cerveau qui par son harmonie crée la conscience, et dans cette conscience la pensée consciente, celle de tous les jours quand nous avons une idée en tête avant d’en parler. |
– En philosophie qu’est-ce que le langage ? qu’est-ce que la pensée ?
En philosophie la réponse à la question « qu’est-ce que c’est » n’est pas toujours la plus importante au sens où, en philosophie, il faut créer les conditions conceptuelles dans lesquelles la réponse à la question prend un sens . Penser en fonction de problèmes et non en termes d’essence, c’est l’apport d’Henri Bergson à la philosophie dans « La pensée et le mouvant ». Quand on parle du problème du rapport entre le langage et la pensée, on se demande dans quel sens et dans quel cas ce rapport est problématique, c’est-à-dire peut avoir un intérêt pour l’exercice même de la pensée. Donc il ne s’agit pas de savoir « qu’est-ce que la pensée » et « qu’est-ce que le langage » pour comprendre les rapports entre eux mais au contraire penser leurs rapports mutuels permettra de comprendre ce qu’ils sont. Les choses sont le produit de leur relation et leur définition découle de leur interaction.
– le rapport entre le langage et la pensée, est-ce une question importante ?
Je ne sais pas si le problème est important, mais je pense important et crucial de poser la question de son importance. Pourquoi ? Parce que comme le disait Gilles Deleuze dans « Différence et répétition », en philosophie, c’est moins le problème de la vérité qui se pose, que celui de l’intérêt et de l’importance. Qu’est-ce qui définit l’importance d’un problème ? Un problème apparaît comme étant important en fonction de sa capacité à soulever des questions pertinentes et des réponses structurées. C’est aussi ce que disait Henri Poincaré dans « La science et la méthode » : la valeur d’une théorie, même en mathématique, ce n’est pas tant sa vérité, sa validité formelle que sa fécondité, c’est-à-dire sa capacité d’une part à embrasser le plus grand nombre de données de façon congruente et d’autre part de créer un nouvel élan pour la recherche. Le critère de fécondité c’est aussi un critère d’extensivité : la fécondité se révèle aussi par la capacité qu’auront les réponses au problème posé à excéder le cadre du problème originel. C’est à travers cet excès qu’un problème philosophique rejoint la réalité et que la philosophie rejoint la vie.
Il ne faut pas sous estimer l’impact que le philosophe a sur notre vie de tous les jours. Beaucoup de choses que nous faisons, de valeurs en lesquelles nous croyons, de méthodes et de technologies usuelles n’auraient jamais existé sans les grandes idées des philosophes qui les ont influencés très souvent à leur insu même.
Or il y a eu un mouvement au XXème siècle, le « positivisme logique » qui a sous-tendu l’idée que tout ce qui valait la peine en sciences comme en philosophie pouvait s’exprimer dans un langage formel, donc notamment que toute la pensée était exprimable dans le langage. Si ce mouvement n’avait pas existé, nous n’aurions probablement pas d’ordinateurs à l’heure actuelle. Ce mouvement continue à nous influencer, comme il influence l’Internet (où l’on fonctionne par mots-clés et par hypertexte) et l’enseignement : l’expression et le langage sont au centre absolu des modes d’évaluation éducatifs actuels. En juillet 1945 le Dr. Vannevar Bush publiait dans l’Atlantic Monthly un article qu’il avait intitulé « comme nous pourrions penser » (« as we may think ») dans lequel il prophétisait ce qui allait devenir notre « hypertexte » moderne, c’est-à-dire la capacité à accéder directement aux informations rattachées à un mot ou une phrase, aux informations derrière elles. Cette façon de faire des liens, il le disait dans son titre, devait changer notre façon de penser, notamment en étendant notre mémoire, d’où le nom de la technologie qu’il avait développée alors qu’il travaillait au projet Manhattan : le « MemEx » pour « Extenseur de Mémoire ». Le texte pouvait donc changer la pensée, et l’hypertexte amener une « hyperpensée ». C’est vrai que le langage influence la pensée car il influence déjà au moins la mémoire. Quand nous prenons des notes sur une feuille de papier nous y déposons des éléments dont peut se débarrasser un temps ce qu’en psychologie on appelle notre « mémoire de travail » ou encore « mémoire à court terme », celle que nous utilisions pour retenir un numéro de téléphone, et celle dans laquelle nous affichons vraisemblablement le sens des mots quand nous les lisons. Ainsi, l’invention de l’écriture, ne serait-ce que pour les mathématiques, a bien révolutionné la pensée parce qu’à partir du moment où on pouvait écrire on pouvait étendre nos capacités cérébrales en les externalisant, et donc étendre nos capacités de calcul. Le calcul ne devenait plus seulement mental mais littéral… Il y a une vaste littérature scientifique pour prouver que le langage influence la pensée, qu’un francophone pensera différemment d’un anglophone et sans doute plus différemment encore d’un mandarinophone… Le fait d’avoir beaucoup de noms différents pour dire « neige » chez les Inuits ou « sable » chez les sumériens appuie l’expertise conceptuelle beaucoup plus poussée que la nôtre que ces peuples avaient de la neige et du sable. Pour ma part quand je dois parler des expériences récentes qui isolent des influences bien précises du langage sur la pensée et le jugement je commence toujours par les travaux de Lera Boroditsky de l’Université de Stanford (qui est d’ailleurs une personne charmante !) : en 2001 elle publie un article intitulé « Est-ce que le langage forme la pensée ? La conception du temps chez les anglophones et les mandarinophones » Son expérience vise à montrer que les anglophones et les mandarinophones ont une conception différente du temps. Elle est maintenant controversée, mais en 2007 elle en réalise une autre avec notamment Jonathan Winawer du MIT où elle démontre quelque chose de très simple : en Russe il existe une distinction très nette entre deux nuances de bleu, les bleus plus clairs (« goluboy ») et les bleus foncés (« siniy »). Cette distinction fait que les russophones séparent plus facilement ces deux nuances de bleu dans un test de rapidité par rapport aux anglophones. Autrement dit, avoir deux mots différents affine leur perception même du bleu. La mise en évidence de cet effet explicite de l’influence de la terminologie langagière sur la perception de la couleur chez l’Humain a été suivie par la découverte même d’un effet implicite par Guillaume Thierry et ses collaborateurs. Ceux-ci démontrent en 2009 qu’il existe une influence inconsciente du langage sur la perception des couleurs au niveau préattentif. Leur étude porte sur le Grec où il existe aussi une distinction verbale nette entre bleus clairs (« ghalazio ») et foncés (« ble »). En général on a appelé « observation (ou « hypothèse ») de Sapir-Whorf » l’observation assez ancienne du fait de la « relativité linguistique », c’est-à-dire que la vision du monde peut changer selon la langue : « Le fait est que la « réalité » est, dans une grande mesure, inconsciemment construite à partir des habitudes linguistiques du groupe. Deux langues ne sont jamais suffisamment semblables pour être considérées comme représentant la même réalité sociale. Les mondes où vivent des sociétés différentes sont des mondes distincts, pas simplement le même monde avec d’autres étiquettes » Pour finir nous pouvons citer un dernier article, qui vient juste d’être publié en juin 2009 dans Cognition, écrit par Barner, Inagaki et Li. Dans cette belle étude on cherche à évaluer dans quelle mesure l’usage courant d’un langage basé sur les dénombrables et indénombrables, comme l’Anglais, amène à penser différemment les entités du monde par rapport à l’usage courant d’une langue comme le Japonais qui est plutôt basée sur la classification. Sa conclusion est qu’anglophones et nipophones ne séparent pas différemment les objets entre dénombrables et indénombrables mais que parler anglais, du fait de la fréquence de mots dénombrables qu’on emploie dans cette langue, induit à imaginer par défaut qu’un nom nouveau sera un objet dénombrable plutôt qu’une masse indénombrable. Une conclusion très intéressante de cette étude qui porte aussi sur la langue chinoise, c’est qu’il existerait un grand ensemble lexical universel, partagé par le Japonais, l’Anglais et le Chinois, mais que ce serait la syntaxe même de l’Anglais, entre dénombrable et indénombrables, qui permettrait aux anglophones de préciser cette distinction sémantique sur les quantités. Pour moi la pensée et le langage sont deux choses différentes qui s’influencent et se fécondent mutuellement. Mais si nous savons noter notre langage, nous ne savons pas encore noter notre pensée. L’existence d’un grand univers lexical dans l’article de Barner, Inagaki et Li va dans le sens platonicien que la pensée pourrait être l’affaire d’objets universels. Or si la pensée est bien universelle on pourrait l’exprimer d’une façon qui ne poserait pas le problème des langues qui est la traduction. Le langage est intersubjectif, c’est-à-dire qu’il repose sur un consensus historique presque totalement arbitraire (la lettre « A par exemple, était censée représenter initialement une tête de bœuf, Rimbaud y verra dit-on la forme d’un sexe féminin) si bien que « cheval » ou « horse » n’ont pas plus de légitimité pour dénoter la réalité cheval (réalité que nous n’avons que le langage pour nommer ici, mais une photo serait déjà une chose différente et émancipée de la barrière du langage). Peut-être que la pensée serait inter-objective, c’est-à-dire qu’il existerait un moyen de communiquer sa pensée sans aucune barrière linguistique, parce que cette communication serait fondée non pas sur un consensus arbitraire mais sur une appréciation de la réalité partagée de façon innée par tous les humains, reposant non plus sur le fait d’être français ou chinois, mais sur le seul fait d’être un humain… Stanislas Dehaene, Véronique Izard, Pierre Pica et Elizabeth Spelke ont déjà identifié une forme très forte d’interobjectivité en 2006 quand ils ont montré que des Indiens Mundurucu d’Amazonie, qui n’ont d’ailleurs pas de langage très distinctif pour l’arithmétique élémentaire et pas d’écriture, possédaient bien ce qu’Elizabeth Spelke appelle des « connaissances-noyau » (« Core Knowledge ») de la géométrie et de la topologie. Les tests que Dehaene et ses collaborateurs ont utilisés sont des tests visuels non verbaux qui représentent de la même façon des concepts de la géométrie (comme la symétrie, la connexité, le carré ou le triangle…) à des indiens Mundurucu qu’à des Américains ou des Français… |
Le problème du rapport du langage et de la pensée se pose quand on commence à se demander dans quelle mesure le langage aide ou n’aide pas la pensée à penser. C’est donc un problème éminemment pratique en ce qu’il concerne notre capacité de penser et que cette capacité de penser est ce qui permet à l’Homme d’inscrire sa présence dans le monde par le moyen de l’action. Enoncé en ces termes : » est-ce que le langage aide ou pas la pensée et est-ce que la pensée excède ou non le langage ? « , la question du rapport entre le langage et la pensée est à la fois une question très importante et en même temps souvent aussi un faux problème. Question importante d’abord dans la mesure où la plupart des philosophes ont tenté d’y répondre en fonction des enjeux et exigences qui étaient celles de leur propre système de pensée… Mais ce problème considéré abstraitement est dans une certaine mesure un faux problème. Faux problème dans la mesure où le langage et la pensée ne se situent pas au même niveau de réalité. Je veux dire qu’entre le langage et la pensée, il y a un peu, pour le dire métaphoriquement, la différence qu’il y a entre le fleuve et la nasse, entre le vent et le filet, on pourrait donc visualiser quelque peu poétiquement la pensée comme une pure puissance, un simple courant, et le langage comme un filet qu’on jette au beau milieu de ce courant, l’ensemble de nos proies formant ce que l’on va appeler la réalité. Le langage comme moyen de capturer la réalité, cela signifie que, pour une part, le langage a été inventé ou aurait été inventé comme le suggère Nietzsche dans » Le Gai savoir » pour permettre à l’Homme en communiquant avec ses semblables d’imposer sa marque à une nature qui le dépasse. On pourrait dire en premier lieu que le langage est un moyen de perception au service de l’action. Le langage a donc une valeur fondamentalement pragmatique, ce qui ne signifie pas qu’il n’aurait qu’une fonction utilitaire. Le langage est une sorte de perception articulée et il y a deux faces de la perception : la perception qui va de nous jusqu’au monde et qui est un auxiliaire de l’action (la perception est perception d’un monde sur lequel on doit pouvoir agir pour survivre) et la perception. Le problème du rapport entre le langage et la pensée c’est le problème de savoir si ce filet qui nous permet de capturer la réalité exprime ou non toute la puissance de la pensée. Ce qu’on peut dire c’est que d’une part la pensée a besoin du langage pour s’exprimer mais que le langage en lui-même n’exprime pas le tout de la pensée. C’est à travers le langage (faculté orale articulée de communiquer) que l’on pense mais que ce n’est pas dans la langue (système de signes relatif à un peuple, une civilisation, etc.) que l’on pense. La langue illustre le rapport spécifique, qu’à travers le langage, les hommes ont au monde, en fonction de leur environnement. Dire ce qu’on voit pour mieux voir ce qu’on dit : c’est la fonction pragmatique du langage qui sert à nous guider dans le monde et que les différentes langues actualisent en fonction d’un environnement géographique et historique toujours singulier.
Mais cette distinction entre langage, langue et pensée n’est pas selon nous la plus cruciale pour résoudre le problème qui nous occupe ici, maintenant. Il faut mettre à jour encore un autre niveau de réalité. Si l’on revient sur cette idée de la pensée comme puissance et du langage comme filet, il nous semble important de noter l’existence d’une sorte de réalité intermédiaire entre le langage et la pensée, réalité intermédiaire qui prend la forme de ce qu’on nomme en philosophie les catégories. La notion de catégorie est très importante dans l’histoire de la philosophie et en sciences humaines, d’Aristote à Philippe Descola en passant par Emmanuel Kant, Charles Sanders Peirce, Ernst Cassirer et Gilles Deleuze. Elle a beaucoup évolué. Chez Aristote, la notion de catégorie semble vouloir épouser les formes du langage et établir une sorte de grammaire mentale, fondée sur les divisions de la langue grecque, qui a pour but de lever l’équivoque du sens. Chez Kant, le rapport au langage n’est plus premier : les catégories sont des notions abstraites à travers lesquels notre entendement classe les objets du monde a priori. Par exemple, tout ce que l’on peut dire du monde, eu égards à la quantité, relève soit de l’unité, soit de la pluralité, soit de la totalité. A partir du vingtième siècle, on assiste à un nouveau changement dans la définition des catégories. Chez Whitehead dans » Procès et Réalité « , les catégories visent à rendre compte de la totalité de l’expérience. Chez Cassirer, les catégories deviennent des formes symboliques, c’est-à-dire des schèmes de perception possible, culturellement construits. Cette idée, en passant à travers le structuralisme de Lévi-Strauss aboutit chez Philippe Descola à une définition des catégories comme expression d’un mode singulier de relation au monde. Chez Deleuze, enfin, ce schème perceptif global se précise en différents types d’images ou signes, qui sont comme autant de lentilles à travers lesquelles on perçoit le monde. C’est à travers cette notion de catégories que le problème du rapport entre langage et pensée prend son sens. En effet, les catégories se situent entre la pensée comme puissance et le langage comme filet : c’est la pensée qui devient filet sans être encore langage, c’est le langage qui est pensant sans être l’expression d’une pensée. Si la pensée est une puissance, les catégories seraient les gradients de cette puissance, et le langage l’expression de ce gradient en fonction d’un but propre à l’intérieur d’une langue définie. Les catégories sont des prismes qui à la fois diffractent la pensée et polarisent le langage. Penser les catégories comme réalité intermédiaire est important car cela signifie que le rapport entre langage et pensée est médiatisé par le rapport entre pensée et catégories d’une part et le rapport entre catégories et langage d’autre part. Le problème n’est donc même plus de savoir si le langage limite ou non la pensée et la pensée excède ou non le langage. Car les deux faces de la solution possible au problème ainsi posé sont erronées. Soit on dit que la pensée excède le langage et que le langage limite la pensée mais on oublie alors que toute pensée est déjà pensée catégorisée, expression d’une manière de se rapporter au monde. Soit on dit que la pensée se réduit au langage mais par là on réduit la puissance du langage, et on oublie qu’il est l’expression d’une perspective sur le monde, qui est moins sémantique que sémiotique.
– Selon la philosophie analytique » les limites de mon langage sont les limites de mon monde » ; comment le comprendre ?
Je pense que cela correspond à la deuxième face du problème que je viens d’évoquer. La pensée analytique a cherché à rendre compte avec le maximum de précision et de rigueur l’aspect proprement descriptif du langage. Par exemple Wittgenstein dans le « Tractatus Logico-philosophicus » liait l’exigence de vérité à la possibilité d’une description complète d’un système. Mais justement, comme devait le montrer plus tard le logicien Kurt Gödel, la description complète d’un système n’est pas possible à partir des seules données du système lui-même, autrement dit il y a une incomplétude de la descriptivité. Incomplétude qui fera dire à Wittgenstein ensuite, dans son livre » De la certitude » : « Toute vérification de ce qu’on admet comme vrai, toute confirmation ou infirmation prennent déjà place à l’intérieur d’un système. Et assurément ce système n’est pas un point de départ plus ou moins arbitraire ou douteux pour tous nos arguments ; au contraire, il appartient à l’essence de ce que nous appelons un argument. Le système n’est pas tant le point de départ des arguments que leur milieu vital.[2] » Donc toute certitude est certitude à l’intérieur d’un système donné qui a une réalité presque biologique. En ce sens la sémantique trouve une sorte de fondement biologique et l’on rejoint la notion de fécondité évoquée à propos de Poincaré. Le système qui sert de référence serait comme le placenta où grandissent les propositions et qui ne s’incarne lui-même dans ces propositions que pour être à la fin rejeté hors d’elles. De même qu’un embryon finit par naître dans la rencontre avec un autre milieu nourricier, de même les propositions tirent une vie nouvelle de leur appui sur d’autres systèmes. Si le langage n’est pas une description complète du système pensé c’est parce que la production de nouvelles pensées par le langage lui-même crée une extension, une variation, une différenciation de ce système. Parce que le langage lui-même a aussi une fonction créatrice (c’est ce que nous indiquions en posant un rapport perceptif qui va du monde au sujet). C’est la raison aussi pour laquelle il serait réducteur de définir le langage comme simple moyen d’expression de la pensée, que ce moyen d’expression soit adéquat ou non. Comme le montrait l’écrivain allemand Heinrich von Kleist dans son texte » Comment les idées viennent en parlant » c’est aussi à travers le langage qu’on produit des idées. Le langage c’est bien une manière de créer des idées quand le langage devient un processus même et non plus une sorte d’inventaire. Il y a une fonction descriptive du langage qui fait que ce qu’on dit n’excède jamais ce qui est présent à un moment donné en fonction de tel ou tel besoin. Mais quand le langage ne sert plus simplement à communiquer ce que l’on sait déjà, il prend la puissance de la pensée. C’est ce langage là qu’utilisent et forgent les grands poètes et littérateurs et c’est cette capacité à penser à travers les mots qui a fait les grands orateurs, qui ont, pour le meilleur ou pour le pire, conduit l’histoire de l’Humanité.
– Puisque tu évoques l’Histoire, peut-on dire que l’Histoire est conditionnée par la marque du langage ? Ou bien si la pensée était supérieure au langage, serait-il possible d’avoir une sorte de » post-Histoire » où toutes ces choses de la pensée insaisissables par le langage deviendraient exprimables pour la toute première fois ?
Je pense que cette question est importante parce qu’elle va nous permettre d’évoquer ce que l’on n’avait pas encore évoqué, notamment le rapport du langage à l’écriture. Le langage dont nous avons parlé jusqu’ici se distingue de l’écriture. C’est le langage qui a précédé et qui peut-être suivra ce moment de l’évolution humaine que l’on appelle l’Histoire. Le langage en effet peut être conçu comme une fonction qui n’est pas étrangère au monde animal même le plus rudimentaire. La réponse tactile d’un pseudopode d’une amibe par exemple, c’est déjà une question-réponse dont l’interlocuteur est l’environnement. Remarquons que chez Descartes le caractère foncièrement humain du langage est lié au caractère purement mécanique du corps : le corps étant assimilé à un ensemble de réflexes dont la machine horlogère ou hydraulique, à l’époque de Descartes, semblait la meilleure illustration. Mais aujourd’hui on peut se demander si la machine n’excède pas de toutes parts le mécanisme cartésien et par là même aurait en quelque sorte acquis une certaine capacité de » vie » et de » pensée « . On pourrait comparer le processus automatique par lequel un antivirus va consulter sur Internet la banque de donnée permettant de s’actualiser pour identifier les virus et alerter l’utilisateur, à l’action rudimentaire du pseudopode dont nous parlions. Ce qui signifierait qu’il y a une sorte de « pré-Histoire » de la machine, qui partage avec l’Homme aujourd’hui une forme de coévolution. Le problème du rapport du langage et de la pensée, c’est donc aussi quelque chose qui concerne le rapport de l’Homme à l’animal et de l’Homme à la machine. Or ce qu’on constate aujourd’hui, c’est qu’aucune de ces catégories n’existe de façon étanche. A certains égards, on peut considérer la machine comme un animal qui a pour milieu nourricier l’Homme et dont le développement nous est inconnu. Et donc finalement le problème du langage et de la pensée concerne aussi la manière dont l’Homme cherche à se définir lui-même, c’est-à-dire à la fois comme être rationnel par rapport au vivant et comme vivant par rapport à la machine. Or cette définition rassurante que l’homme se donne de lui-même, comme pour se donner du courage pour affronter un environnement périlleux et calmer l’angoisse d’une existence qui possède la conscience de sa vanité, se fissure : d’une part la machine peut avoir un comportement plus » rationnel » que l’Homme (c’est la machine qui maintenant calcule pour nous – et le terme de calcul fait partie du concept originel de raison) et d’autre part l’Homme peut agir de façon plus mécanique qu’une machine (si comme le disait Freud la pulsion de mort est liée au principe de répétition, principe proprement mécanique, alors on peut dire que l’homme en inventant l’arme automatique s’est donné à lui-même les moyens de ne pas penser).
– Tu es aussi historien de l’art. J’ai une question simple : peut-on d’Homme à Homme transférer l’art visuel par le langage ? peut-on transmettre la Joconde en parlant ?
Merci pour cette question car en philosophie, et pas simplement en philosophie, les choses les plus sérieuses peuvent prendre la forme de l’humour et il y a une part d’humour dans cette question. Si l’humour est plus important et présent en philosophie qu’on ne le pense généralement, c’est parce que l’humour c’est quelque chose qui a un rapport à l’inattendu et la philosophie c’est forcément quelque chose d’inattendu. La philosophie, comme par définition, nous apporte ce que l’on n’attend pas. Or, généralement, quand quelqu’un nous apporte ce que l’on n’attend pas, on est déçu. Or c’est dans cette déception même que la philosophie révèle aussi son caractère surprenant et sa valeur de don. Prenons un exemple. Le marché de la revente des cadeaux de Noël sur Internet nous montre que le cadeau ne correspond pas toujours à ce qu’on veut. Donc en tant que chose, il déçoit. Mais finalement l’absence de la chose qui déçoit, paradoxalement, nous aurait encore plus déçu. C’est donc bien que ce qui nous importe, c’est qu’on nous a donné quelque chose. Donc la philosophie, de ce point de vue prend la forme du don, c’est-à-dire aussi de la surprise. Pourquoi ? Parce que l’inattendu, la surprise, l’imprévisible finalement, c’est aussi ce qui caractérise la créativité. Et une des formes importantes, singulières, de la créativité, c’est évidemment l’art.
Par là on peut revenir à ta question et comprendre, dans quelle mesure l’art peut être ou n’être pas quelque chose qui se transmet. Là encore, il faudrait distinguer deux choses : « La Joconde » comme un tableau qui a sa place aujourd’hui dans le musée du Louvre, résultat d’une histoire qui commence avec l’invitation de Leonard de Vinci par François 1er et son installation au clos Lucé près du château d’Ambroise Donc » La Joconde » comme tableau est une propriété qui se transmet et qui se conserve puisque la transmission n’a d’intérêt que si elle permet la conservation et une grande partie de l’Histoire des moyens de transmission est indexée sur l’évolution et l’augmentation de la fidélité de la conservation. Il y a évidemment un autre aspect du tableau qui est l’objet d’une autre transmission. C’est la transmission non du tableau comme produit fini mais la transmission du désir, de l’énergie, de l’émotion, qui a amené à créer ce tableau et cette transmission n’est jamais l’objet d’une propriété. Cette transmission n’est la propriété de personne mais est l’appropriation potentielle de tout le monde. Car c’est l’énergie, le désir, l’émotion qui ont produit le tableau suscitant l’émotion esthétique d’un spectateur qui peut produire un nouveau tableau (ou un nouveau poème, une nouvelle musique, etc.) A nouveau on remarque que le critère de fécondité passe par une extensibilité des domaines d’application : si le cloisonnement des différents arts permet une meilleure description des items nommés » œuvres « , la puissance de l’art excède le champ des disciplines artistiques. Comme disait Antonin Artaud : » On peut brûler la bibliothèque d’Alexandrie. Au-dessus et en dehors des papyrus, il y a des forces : on nous enlèvera pour quelque temps la faculté de retrouver ces forces, on ne supprimera pas leur énergie »[3]. Et c’est aussi avec humour ce que disait Salvador Dali qui, lorsqu’on lui demandait si un incendie se déclarait dans un musée, quelle œuvre il voudrait sauver, répondait : » le feu, il faut sauver le feu « .
Pour revenir à la question, la réponse se situerait quelque part entre ces deux domaines de réalité (entre l’énergie de création qui se transmet par le moyen de l’émotion et l’œuvre qui se transmet par le moyen de sa conservation). Ce qu’on peut transmettre de » La Joconde » en parlant c’est d’abord forcément autre chose que » La Joconde « , donc de ce point de vue là on ne peut pas la transmettre, parce qu’on transmet des mots, pas des couleurs, du sens pas de la matière. Mais ce qu’on peut transmettre de la Joconde en parlant, c’est à la fois un ensemble d’informations indiquant » j’ai vu la Joconde « , c’est-à-dire » je suis allé au Louvre à Paris » donc une description de notre activité mais ça peut être aussi le récit d’une émotion qui peut dépasser la parole sans dépasser le langage en devenant écriture. Dans le premier cas, on cherche finalement à transmettre à l’autre personne un ensemble d’informations de nature à la fois personnelles et narcissiques en même temps que sociales, à savoir : » regarde, je suis assez riche pour aller en voyage à Paris » ou » regarde, je suis un homme éduqué, j’aime l’art « . On peut remarquer finalement que cette première forme de transmission aujourd’hui n’a même plus besoin de parole : elle prend la forme d’une photo. La photo de la personne à côté de l’œuvre d’art c’est la manifestation visuelle de ce discours. Par rapport au problème du rapport entre le langage et la pensée, cela signifie que la différence entre le langage et la vision ne doit pas consister en une simple différence de médium (d’un côté les mots et de l’autre l’image) mais de façon plus essentielle elle implique une différence de valeurs et de niveau de réalité. Et c’est cette différence de valeurs qui apparait dans la deuxième fonction de la transmission où le langage excédant la parole traduit une émotion qui, sous forme de délai, c’est-à-dire de temps, peut prendre la forme d’une nouvelle œuvre.
Ajoutons encore ceci. On a dit tout à l’heure que le rapport entre le langage et la pensée passait par la médiation des catégories : entre le langage comme filet et la pensée comme pure puissance, on trouve le prisme des catégories. De même ici, entre cette pure puissance de créer et l’objet œuvre, on peut penser un stade intermédiaire qui nous permettrait de ne pas rester dans une sorte de dichotomie romantique. Cet intermédiaire, au niveau de l’art, c’est l’histoire des formes qui nous la donne. Je veux dire par forme la rémanence d’une certaine manière, maniera. De même que, en philosophie, les catégories ne sont pas des systèmes abstraits de classification des idées des modes fondamentaux d’expression des idées, comme les couleurs primaires de la palette de la pensée ; de même, en art, les manières sont des modes d’affections distincts d’une même sensibilité. Entre la pluralité des œuvres et l’unicité de l’énergie créatrice, il y a donc des manières différentes de sentir. Par exemple, l’expressionisme n’est pas simplement un courant artistique qui désigne l’art allemand du début du XXème siècle avec Die Brücke et Der Blaue Reiter mais c’est plus foncièrement une sensibilité artistique commune à différents artistes, à différentes époques et chez qui la traduction plastique du réel passe par l’expression d’une sorte de ligne de torsion, comprimant dynamiquement l' » énergie vitale » qui traverserait la » Nature « .
Parlons maintenant des » Univers Merleau-Pontiens » dont nous sommes en train de développer un prototype, avec l’ingénieur et chercheur Kévin Lhoste, qui pourrait être appliqué à l’enseignement et être très fonctionnel en classe, notamment pour former des classes virtuelles et échanger de la connaissance en recourant le minimum au langage, afin de pouvoir entre autre réaliser le rêve de former des classes internationales où les élèves ne parleraient pas la même langue et se comprendraient malgré tout… Dans la conférence à Stanford le 31 mai 2007 où j’ai utilisé ce terme pour la première fois j’ai défini un univers Merleau-Pontien comme un environnement virtuel explorable qui respecte trois critères : 1) avoir le minimum de ou aucun texte, 2) résister aux habitudes et 3) faciliter l’exploration et l’errance. Les MPU ont beaucoup d’autres fonctions et caractéristiques mais ils sont encore difficiles à maîtriser car ils introduisent une nouvelle façon non seulement d’écrire mais de penser, et en ce sens ils cherchent véritablement à étendre le concept d’hypertexte à la pensée toute entière, tout en permettant de la transmettre et de l’éditer collectivement sans se heurter à la barrière du langage. Un des points centraux des MPU est qu’ils se basent sur une sémiotique, c’est-à-dire une science du signe, fondée sur ce qu’en psychologie cognitive on appelle des « affordances » c’est-à-dire des signes qui appellent l’action, exactement comme le manche d’une poêle est un signe pour un singe qui n’a même jamais vu de poêle qu’il peut l’attraper par là. Une affordance est le signe saillant qu’on peut effectuer une action sur un objet, et ce signe est non seulement émancipé de la barrière du langage, mais il est en quelque sorte perçu plus rapidement qu’un mot.
En effet même si sur une porte il est écrit « tirez », si la configuration de sa poignée nous semble appeler le mouvement de la pousser, nous ferons l’erreur d’essayer de la pousser malgré tout. Une éducation universalisée basée sur le signe et sur l’action au-delà du langage, voilà le genre de technologies que la collaboration entre philosophes de l’art et neurobiologistes pourrait faire aboutir un jour. |
– Gérard Jorland de l’EHESS a dit à un séminaire sur Merleau-Ponty quelque chose qui me plaît beaucoup : « l’éthique est supérieure à la sémantique ». Il y a un ordre entre l’éthique (science de la valeur, par exemple bien et mal), la sémiotique (science des signes, par exemple danger ou pas) et la sémantique (science des sens, par exemple vrai ou faux), ce qui m’a incité à « inventer » la notion d’« Univers Merleau-Pontien », sur laquelle nous avons travaillé ensemble (cf. photo à San Francisco), comme une nouvelle façon d’organiser la connaissance en la basant notamment sur l’action et l’exploration. Qu’as-tu à nous dire à ce sujet ?
Je pense que ce nouveau média, les « Univers Merleau-Pontiens » (Merleau-Pontian Universes, « MPU ») nous le percevons différemment en fonction de nos deux parcours : toi en tant que neurobiologiste/neuropsychologue et moi en tant que philosophe, avec pour point commun entre nous deux un intérêt pour l’écriture poétique. Si tu évoques cette notion d’Univers Merleau-Pontiens, et que l’on peut ici en parler, c’est parce qu’elle se rapporte au problème entre le langage et la pensée et qu’elle permet d’en donner une illustration très concrète. Comme on a pu le mettre à jour dans la rencontre avec des ingénieurs lors de notre école d’été au Kozmetsky Global Collaboratory de Stanford en 2008, le point de départ du problème est effectivement un problème éthique. Le problème du point de vue de l’éthique, c’est qu’il y a comme une dichotomie entre le monde de l’action et le monde de la pensée, qui fait que l’on dira soit que nos pensées nous rendent impuissants (syndrome d’Hamlet – réfléchir détruit notre volonté), soit que nos actions nous rendent stupides (syndrome de Rambo – obéir annihile notre intelligence). C’est cette dichotomie qu’il faut renverser, qu’il faut dépasser, si l’on veut en même temps que notre pensée trouve une puissance qu’elle emprunte à l’action et que nos actions trouvent une profondeur et une perspective qu’elles empruntent à la pensée. Donc l’Univers Merleau-Pontien comme média, c’est l’idée finalement à la fois technologique et philosophique de rendre visible le processus même de la pensée. Notre idée, c’est que la pensée ne s’oppose pas à la vie ou l’action car fondamentalement penser c’est agir sur les idées ; penser c’est se mouvoir, se diriger à l’intérieur d’un paysage mental qui prend forme lui-même à la lumière de nos idées. Il y a donc comme une puissance tactile de la pensée qui manipule des idées, comme un enfant manipule au hasard, au « feeling » des objets afin de trouver, d’inventer une nouvelle configuration permettant l’expression d’une nouvelle fonction. Et l’émerveillement, que certains grands philosophes dont Platon disent propre à l’activité de penser n’est pas l’attitude passive de la contemplation. C’est la manifestation de cette joie d’avoir réussi à produire un système qui est comme vivant. Dès lors, pouvoir visualiser de façon technologique, graphique, les idées, c’est permettre une nouvelle conscientisation du savoir, faire passer le savoir dans la vie : imaginer que nous pourrions nous mouvoir dans un univers où le savoir prendrait la forme d’un paysage, errer dans le dédale sans impasse d’une connaissance que l’on peut voir, toucher, manipuler, transformer. L’idée ce serait de créer par le biais d’un dispositif technologique, informatique nouveau de nouveaux parcours dans le paysage de la connaissance permettant de rendre celle-ci active et vivante.
[1] http://www-csli.stanford.edu/events/Coglunch/Abstracts/aberkane-2007-05-31.shtml
[2] Ludwig Wittgenstein, De la Certitude, § 105, traduction J. Fauve, Gallimard, 1971
[3] Cf. Antonin Artaud, Œuvres complètes, tome IV, Le théâtre et son double, p. 11-13, Gallimard, 1978.