Par François Jarraud
L’évaluation des enseignants est une question qui est au cœur de la modernisation du système éducatif. Elle a fait l’objet d’une riche réflexion entre équipes de chercheur lors d’un colloque organisé par l’INRP et le Centre Alain Savary. A coté du compte-rendu de ce colloque, nous publions ici les témoignages de quatre inspecteurs qui apportent des éclairages nouveaux.
1. Entre arbitre et entraîneur
2. L’évaluation des enseignants et les résultats des élèves
3. Affronter le dilemme entre l’arbitre et l’entraîneur
4. Piloter le système circonscription – Rémy Bobichon
5. Développer la controverse professionnelle…et réfléchir à une éthique de l’inspection. – Dominique Senore
Analyser l’activité enseignante et l’évaluer : quels enjeux, quels liens, quels compatibilités ? Autour de ces questions, l’INRP et le centre Alain-Savary invitaient les 2 et 3 avril 2009 trois équipes de recherche à partager leurs expériences avec celles de formateurs de terrain : conseillers pédagogiques, maîtres-formateurs, IEN.
Il en sort une riche réflexion commune que le Café vous fait partager. Par exemple, Jean-Claude Mouton, Laurence Espinassy et Christine Félix, de l’équipe ERGAPE de Marseille, insistent sur la nécessité de co-construction des gestes professionnels. Pour que ça fonctionne, il faut qu’il y ait un co-développement de l’expérience, dans lequel l’expert accepte aussi de remettre en cause son expérience. Sans quoi, il risque d’énoncer des bonnes pratiques idéales sans être entendable par le stagiaire. Une jolie piste au regard actuel des évaluations…
Le reportage du Café
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/inrpevalEnseignants.aspx
L’évaluation des enseignants et les résultats des élèves
Introduisant la journée d’études organisée par l’INRP et le Centre Alain Savary sur l’évaluation des enseignants, M. Bois, responsable de l’INRP, a, parfaitement et en une phrase, résumé un dilemme. Il affirme : « L’analyse de l’activité se préoccupe peu de l’évaluation et les spécialistes de l’évaluation se préoccupent peu de l’activité des enseignants ». Il s’agit là d’un problème clé. Dans un cas, la focalisation sur l’activité des enseignants, comme dans l’autre, la focalisation sur les résultats des élèves, l’institution fonctionne sur des paris dont il est facile de démontrer qu’ils sont perdus. Ajoutons à la complexité du dilemme l’évidence qu’il est impossible d’assurer simultanément les deux et qu’il faut donc faire un choix, notamment dans l’acte d’inspection. Ajoutons encore que des précisions préalables sont nécessaires : dans le premier cas, l’observation de l’activité des enseignants peut ne rien dire de l’activité réelle des élèves, et, dans le deuxième cas, il serait préférable de ne pas confondre ni l’évaluation du maître et l’évaluation des performances des élèves, ni le contrôle des résultats à des exercices et l’évaluation.
Cette simple phrase pose donc de sérieux problèmes qui mériteraient des réflexions collectives car nous sommes sur ce sujet, aujourd’hui bien plus qu’hier, dans une totale confusion que la tendance « moderne », voire snob, à la technicisation opacifie encore. Cette situation pèse sur l’image, la crédibilité, l’efficacité de l’inspection. Il est vrai que dans la masse des tâches imposées aux inspecteurs, l’acte d’inspection a beaucoup perdu de son importance en temps relatif et que le développement d’une évaluationnite contestable a transformé les inspecteurs en contrôleurs, les éloignant ainsi des deux pôles de l’alternative. Si l’inspecteur n’est ni spécialiste de l’analyse de l’activité des enseignants, ni spécialiste d’une véritable évaluation des performances des élèves, il glisse vers des fonctions administratives. Il faut reconnaître que ce glissement est cohérent avec le déni de la pédagogie que l’on observe dans les mesures régressives du pouvoir actuel et avec le slogan ultra libéral d’une évaluation illusoire par les résultats.
Focaliser sur les résultats
L’inspecteur qui, suivant l’air du temps, conditionné par le formatage institutionnel, ne se préoccupe que des résultats des élèves, fait le pari qu’en éclairant le maître sur les résultats de ses élèves, celui-ci va prendre conscience de ses propres faiblesses, de la nécessité de revoir ses outils de programmation à moyen terme et de préparation à court terme, de l’intérêt de tenter de modifier ses pratiques. Cet inspecteur se trompe complètement. Certains de ses collègues en ont conscience mais « fonctionnent » comme des fonctionnaires obéissants, d’autres se complaisent dans le règne de l’apparence et recherchent même la sophistication des procédures, détériorant alors, généralement, leur relation aux enseignants qui ne comprennent plus leurs discours. L’inspecteur peut, comme c’est de plus en plus souvent le cas, exploiter les résultats des évaluations nationales, étudier cahiers et livrets, procéder lui-même à des contrôles rapides comme le conseillait le ministre dans une rencontre avec les inspecteurs à la Sorbonne, s’inscrire avec zèle dans la culture de l’évaluation, analyser les faiblesses avec le maître, établir une feuille de route… Rien n’y fait. Le maître ne changera pas ses pratiques en profondeur. Rien ne l’y aide d’ailleurs. Parce que, pour changer les pratiques, il ne suffit pas de savoir que les élèves ont des lacunes ou des faiblesses. Il faut être prêt à changer, à remettre en cause ses convictions, sa formation, ses habitudes, sa bonne conscience. Il faut avoir des idées et des exemples de pratiques alternatives diversifiées. Il faut être prêt à se former, à expérimenter, à échanger, et cela ne se décrète pas. Des recherches/actions conduites à l’INRP au début des années 80 ont prouvé par exemple, à la suite d’observations « armées » (enregistrements, image et son, décryptage, chronométrage des temps de parole, analyse du type de discours, etc) qu’un maître apprenant qu’il utilise 90% du temps de classe pour lui-même, qu’il parle trop, qu’il ne suscite que des échanges maître/élève par un jeu de questions fermées inductrices, ne parvient pas pour autant à réduire son temps de parole et à modifier ses modes de communication dans le groupe classe (questions non inductrices), à développer les échanges directs élève/élèves. En réalité, ce maître considère en général, et l’on ne peut l’en blâmer, qu’il a fait ce qu’il a pu et qu’il n’est pas responsable de l’échec scolaire. Il accepte volontiers l’idée de soutien ou de remédiation car elle n’affecte pas ses choix personnels. Le constat le conduit alors non pas à un changement en profondeur de ses pratiques mais à l’organisation du soutien (1) . On observe d’ailleurs que l’essentiel du temps donné au soutien dont on fait à tort l’apologie est consacré à faire la même chose avec un groupe de 4 ou 5 que ce que l’on fait avec un groupe de 25, la seule différence résidant dans la possibilité d’individualiser les explications magistrales, le modèle pédagogique choisi étant le même. En toute bonne foi, l’enseignant pense que pour garantir la réussite d’un apprentissage, il faut accroître la quantité d’explications et d’exercices d’application auxquels il faudra ajouter des devoirs avec l’espoir que les parents renforceront l’apprentissage. Tous les experts en pédagogie savent que l’efficacité, parfois apparente à court terme de cette pratique, ne peut pas être réelle et durable si les processus de construction des savoirs et des compétences n’ont pas fait l’objet d’activités préalables aux exercices (2) . Pour reprendre la formule de Georges Gauzente, il est impossible de remédier ce qui n’a pas été « médié ». « Médions » donc d’abord ! La satisfaction des élèves à avoir un contact privilégié pendant quelques minutes avec l’enseignant pendant le temps du soutien tel qu’il est conçu aujourd’hui, ne saurait pas non plus occulter les problèmes pédagogiques fondamentaux du temps scolaire normal… dont plus personne ne parle.
Aujourd’hui, les évaluationnistes, dans l’état actuel des conceptions de l’évaluation, se fourvoient donc complètement. La détermination de feuilles de route indiquant les pourcentages à améliorer n’est que vanité et tromperie. M. Nembrini, DGESCO au ministère n’est pas sérieux quand il prétend, comme il l’a fait en commentant les inutiles évaluations au CM2, que la connaissance des résultats aux évaluations actuelles permet au maître de comprendre les raisons des échecs des enfants. La photographie d’un résultat ponctuel à un exercice dont le principe est contestable ne permet pas, dans le domaine des apprentissages, de formuler un diagnostic et encore moins de proposer une thérapie pédagogique pertinente. Un thermomètre est trop fragile pour être utilisé comme un levier.
Cette conception de l’inspection qui peut plaire aux « jeunes cadres dynamiques » avec ses aspects technicistes, ses tableaux et ses pourcentages ne peut pas contribuer l’amélioration de la réussite scolaire. On pourrait tout aussi bien effectuer ce type d’inspection hors de la classe puisque ce qui s’y passe n’a pas vraiment d’importance… On fixe la feuille de route comme le banquier au démarcheur, sans tenir compte des contextes et des aptitudes de ce dernier.
Focaliser sur le maître
L’inspecteur qui, malgré l’air du temps et les injonctions qui descendent chaque jour des tuyaux d’orgues de l’administration, épuisé par l’accumulation des tâches administratives persiste héroïquement à faire le choix de l’analyse de l’activité du maître peut, lui aussi, en toute bonne foi, se jeter dans un pari perdu. La tendance à considérer l’activité du maître comme le centre de l’action pédagogique est extrêmement forte. Elle est traditionnelle, elle est quasiment dans nos gènes. C’est celle que l’on apprend naturellement, c’est celle que les enseignants apprennent pendant les stages, conformément au « modèle applicationniste » (3) persistant dans la formation (avec les classes et les écoles d’application, le terme « application » étant très significatif). C’est celle qui correspond à la conception classique de l’école et au modèle pédagogique de la transmission. On observe les décisions et attitudes du maître. Le déroulement chronologique de la séquence est alors essentiel. On le confronte à la fiche de préparation qui est généralement le déroulement prévu. On s’assure que le maître réalise ce qu’il a prévu et qu’il le contrôle. On s’intéresse à la qualité de la relation avec les élèves, à la discipline, au climat de classe … mais on regarde surtout ses outils : fiches de préparation, programmations, progressions, répartitions, tableaux d’évaluation. Si l’on regarde les cahiers des enfants, c’est pour contrôler la régularité du travail du maître et non pour comprendre les difficultés d’apprentissage de l’élève. Cette focalisation sur l’activité du maître est également contreproductive. Elle empêche de voir les élèves. Il arrive d’ailleurs aussi que le maître, contraint par sa fiche de préparation et angoissé par l’inspection, ne les voit pas non plus, sauf quand ils se mettent à chahuter. Il n’y a pas grand-chose à dire sur des déroulements de séquences stéréotypés. Les rapports d’inspection relevant de ce type de pratiques sont d’ailleurs plutôt pauvres. La contestation et les conseils qui ne sont en fait que des critiques déguisées ne peuvent porter que sur la comparaison de la préparation et de sa réalisation ou sur des questions de logique ou de pertinence disciplinaire ou sur des détails pratiques. L’entretien peut se dérouler sans rien perturber et sans espoir sérieux de changer quoique ce soit. Quand le maître décide de réduire le temps d’enseignement collectif frontal pour constituer des groupes, pour prendre en compte l’hétérogénéité des élèves, pour favoriser le travail en équipe, l’observation de ses comportements, de ses interventions, des activités qu’il a prévues pour chaque groupe, l’observation devient plus intéressante. Même si elle reste centrée sur le maître, elle ne peut alors éviter de se porter sur les activités des élèves…
On évoque souvent dans ce cadre de l’observation de l’enseignant la notion d’effet-maître (comme celle d’effet-établissement), une notion floue, impossible à objectiver. Elle peut être dangereuse dans la mesure où elle n’est fondée que sur des impressions. Elle peut être ambiguë. Elle repose en fait sur la conception du maître au centre du système, transmetteur de ses savoirs. Elle est de l’ordre de ce que Luc Ferry appelait le talent. Il prétendait – et on constate aujourd’hui que Xavier Darcos s’inscrit dans la même pensée- que pour enseigner, il suffit de maîtriser les savoirs et d’avoir un peu de talent. On n’est pas loin de la séduction, de l’importance du look, du charisme. Les grilles d’observation qui ont pu sévir longtemps dans les écoles normales et qui ne sont pas disparues comportaient dans le même ordre d’idées, des items relatifs à la tenue du maître, à sa voix… Il ne manquait que le jugement dont personne ne peut nier la réalité mais qui n’est jamais affiché, du charme et de la beauté. Il est pourtant vrai que tout inspecteur expérimenté entrant dans une classe est capable de « sentir » en quelques minutes si la classe « fonctionne » bien. Mais ce jugement est très subjectif.
La recherche de l’objectivité est à l’évidence une exigence dans les procédures d’évaluation du maître. L’observation des déroulements de séquences est objective mais elle n’apporte rien d’exploitable dans la perspective de l’amélioration des pratiques professionnelles. La tentative de caractériser « l’effet maître » est à exclure. Il ne reste qu’une possibilité, qui n’est pas prévue dans le dilemme cité en introduction, celle de s’intéresser aux apprentissages eux-mêmes… et donc aux élèves.
Nous y voilà enfin ! Les élèves ! Que font-ils ? Les enseignants enseignent, mais les élèves apprennent-ils ?
Focaliser sur les apprentissages
Cette question qui semble quand même fondamentale ne trouvera pas de réponse ni dans les camemberts, les graphiques et les statistiques, ni dans l’observation d’un déroulement de séquence immuable et sans intérêt. Elle exige que l’on observe les élèves, leur activité réelle, physique, non verbale, verbale, sensorielle, intellectuelle, mentale. Quelles situations et quelles tâches le maître a-t-il prévues pour les élèves pour que ceux-ci travaillent, agissent, analysent, comparent, classent, rangent, expriment de vraies pensées, décrivent leurs essais, raisonnent, démontrent, expérimentent, produisent, induisent, déduisent, posent de vraies questions, cherchent ? Comment exploite-t-il les réactions, représentations, procédures des élèves ? Comment programme-t-il les situations suivantes pour multiplier les rencontres avec un même objectif dans des contextes différents ? Comment fait-il pour ne pas passer à l’exercice d’application et au contrôle trop tôt dans le long processus d’apprentissage ? Quels problèmes rencontre-t-il ? Sait-il les formuler et les analyser ? Est-on capable de l’aider à le faire sans jugement de valeur ? Si le maître apparaît dans cette série de questions, ce n’est plus lui qui est au centre, mais ce sont les élèves dans les activités qu’il permet. C’est sur la base de problèmes identifiés précis que l’on pourra engager un dialogue sur les choix pédagogiques, sur le choix des situations d’apprentissage, sur les représentations du maître, sur sa capacité à changer, à améliorer l’intelligence de ses pratiques, à expérimenter de nouvelles situations et de nouvelles organisations. Alors nous ne sommes plus dans les camemberts, ni dans la description superficielle, ni dans la critique facile et la recommandation sans effet, nous sommes dans la pédagogie et nous faisons le pari de l’intelligence. Il ne s’agit plus de prescrire ce que nous serions bien incapables de faire nous-mêmes, ce que, pour un certain nombre d’entre nous, nous étions bien incapables de faire quand nous faisions l’école. Il s’agit de comprendre et d’accompagner, de réfléchir ensemble, sans dominer et sans infantiliser l’autre.
Cette observation des apprentissages et de leurs conditions dépasse l’observation des résultats et celle du maître. Elle exige du temps (4) , elle ne peut pas se réaliser en faisant simultanément d’autres choses : le contrôle de la paperasse, la recherche de la petite bête, la préparation mentale de la critique… Elle exige de la confiance. Elle modifie le rapport inspecteur/inspecté en développant la notion d’accompagnement.
C’est ce type d’observation qui peut permettre d’espérer les transformations de pratiques professionnelles qui seules peuvent garantir une amélioration de la réussite scolaire. Placer l’acte d’inspection au niveau des apprentissages. Faire des inspecteurs les spécialistes non pas des statistiques sophistiquées et des incantations vaines, mais des apprentissages. C’est le véritable enjeu aujourd’hui. C’est peut-être même une piste pour la survie du corps …
L’école et les inspecteurs demain
Comment s’engager dans cette direction aujourd’hui alors que tout est orienté vers le mirage de l’évaluation par les résultats ?
D’abord en remettant à plat toute la conception de l’évaluation (5). Ce problème conduira inéluctablement à la remise en cause des programmes. On ne peut évaluer sérieusement, si l’on veut bien distinguer l’évaluation du contrôle classique, qu’un petit nombre de compétences par année scolaire. Il faut donc concevoir des programmes plus légers, plus intelligents, avec des compétences-noyaux qui pourront être considérées comme des indicateurs de performance au-delà d’une seule discipline. Il faudra donner une vraie place à la transversalité. Rappelons ce que j’ai écrit dans de nombreux textes antérieurs sur l’évaluation et qui est inspiré des travaux récents de l’UNESCO : l’évaluation d’une compétence, c’est l’observation de la capacité à mobiliser ses savoirs et ses compétences pour réaliser une tâche ou résoudre un problème dans des situations porteuses de sens. On est loin de la réussite à un exercice, de la réponse à une question fermée, du contrôle de la mémorisation à court terme ou de l’efficacité d’un dressage.
Ensuite en apprenant à analyser les apprentissages. Comment l’élève apprend-il ? Il est quand même étonnant que l’on puisse persister à ne s’intéresser qu’à la logique disciplinaire et à la qualité de la transmission sans se préoccuper des élèves et de leur cerveau. L’élève n’est pas un vase qu’on emplit ni un sujet que l’on dresse. L’école démocratique s’inscrit dans la perspective de l’émancipation de l’homme.
Enfin, en travaillant à ce problème qu’il est impossible de continuer à ne pas poser : mettre en relation les résultats des élèves avec les pratiques qui les produisent. Cette cécité obstinée sur un problème évident, logique, simple, fondamental, est étonnante. A force de l’ignorer, les inspecteurs risquent fort de perdre toute crédibilité. Certes, tout est fait pour qu’ils l’ignorent. En leur donnant l’illusion de piloter (sans les moyens (6) ), en supprimant leur formation comme on supprime celle des maîtres, en les transformant en contrôleurs de la mise en œuvre de mesures régressives imposées sans concertation, en suscitant le développement de l’autoritarisme, en leur faisant dire que tout ce qu’ils ont fait et fait faire jusqu’alors, depuis les premiers temps de la « rénovation pédagogique » des années 70, est nul, en les dévalorisant tout en faisant miroiter la perspective de quelques lentilles… Ont-ils encore le droit de penser ?
L’avenir des inspecteurs… L’avenir de l’école… L’inquiétude est bien légitime. Le refus des mirages, la résistance à la régression en marche et la force de proposition sont des devoirs. Sortir de l’anesthésie et du règne de l’apparence est une urgence. Le pari de l’intelligence des élèves, des professeurs et des inspecteurs pourrait être la voie de l’espoir.
Pierre FRACKOWIAK
Lire
Sur le site du café pédagogique
Les trous noirs de l’évaluationnite
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/03/FrackLestrousnoirs.aspx
Sur le site de Philippe Meirieu
Je suis content, je pilote
http://www.meirieu.com/FORUM/frackowiak_inspection.pdf
Sur le site d’Eveline Charmeux
L’évaluationnite, le malheur de l’école
http://www.charmeux.fr/evaluer.html
Notes
1- Ce fonctionnement est par ailleurs plus confortable, car il ne met pas en cause le choix des pratiques. Il responsabilise l’enfant qui ne travaille pas assez et ses parents qui ne font pas leur travail. C’est une constante de l’idéologie libérale qui nous gouverne de transformer les victimes en coupables
2- Il faut 3 types d’activités pour organiser les apprentissages : – type 1 : des situations dans lesquelles l’élève construit son savoir par une démarche active. Pédagogie de résolution de problèmes. Tâtonnement expérimental. Recherche. Métacognition. Expression/communication… – type 2 : des situations de réinvestissement, de fixation, d’entraînement – type 3 : des situations de contrôle et d’évaluation. On estimait que près de 90% du temps était consacré aux activités de types 2 et 3 jusque dans les années 60. La rénovation pédagogique engagée au début des années 70 (tiers temps pédagogique, activités d’éveil, nouvelles instructions pour le français) a permis des progrès considérables dans l’accroissement du temps consacré au type 1. Aujourd’hui, les instructions de M. Darcos rompent avec l’évolution qui se développait. En quelques mois, on peut détruire 30 ans d’évolution. La conception des programmes, les discours officiels, la pression de la hiérarchie intermédiaire font que l’on retourne à la situation des années 60. Il faudrait pourtant que le type 1 réussisse à occuper au minimum 50% du temps si l’on veut vraiment améliorer la réussite scolaire.
3- On oppose au modèle applicationniste le modèle de la résolution de problèmes. Observer les pratiques, dialoguer avec le formateur hors rapport hiérarchique, problématiser, rechercher des solutions, expérimenter… Le modèle applicationniste consiste à observer un modèle (souvent un déroulement de séquence) et à tenter, sans jamais y parvenir, de reproduire le modèle. Ce modèle persiste largement dans la formation des maîtres. Ce n’est pas une raison pour la supprimer. La pédagogie des stages et le rôle des maîtres formateurs peuvent être réformés.
4- Du temps pour l’acte d’inspection lui-même, du temps pour l’entretien… Et de la durée, car une inspection ponctuelle n’a aucun intérêt. Un minimum de continuité est indispensable : cohérence entre les inspections successives à construire, relation de confiance à établir, clarté des objectifs de l’inspection à garantir… Pour accompagner, il faut du temps et de la durée.
5- Il faudra bien un jour faire le point sur la différence entre contrôle et évaluation (cf la réflexion de Jean-Pol Rocquet), sur la distinction entre évaluations nationales qui peuvent être réalisées sur des échantillons, évaluations internationales, évaluations pour la régulation des pratiques de classe… évaluations de circonscription parfois. Il faudra davantage de transparence sur les objectifs réels de chaque mode d’évaluation : pour quoi, pour qui…. Eviter « l’administratisation » qui multiplie enquêtes et évaluations qui constituent des charges de travail lourdes, qui déshumanisent tout, et… qui ne servent à rien.
6- La notion de pilotage n’a aucun sens si le pilote de dispose pas de moyens : moyens en postes pour renforcer les équipes ici ou là en fonction de contrats pluri annuels concertés, moyens en crédits pour accompagner des projets en concertation avec les collectivités, moyens en temps pour accompagner.. Il est surprenant de voir à quel point ce concept peut séduire… alors qu’il est vide. Toujours le règne de l’apparence.
Affronter le dilemme entre l’arbitre et l’entraîneur
Dans le dossier du café, le problème de l’évaluation est posé dans la complexité, dès l’introduction de M. Bois, responsable de l’INRP : « L’analyse de l’activité se préoccupe peu de l’évaluation et les spécialistes de l’évaluation se préoccupent peu de l’activité des enseignants ». C’est ce qui apparaît aux yeux de tout observateur : la rupture entre l’évaluation et l’activité enseignante. Tout se passe comme si l’enseignement évalué restait éloigné des personnes, des élèves comme des professeurs, comme si l’activité enseignante n’était pas concernée par le processus d’évaluation . Il y a, sinon comme un regret, du moins comme une incompréhension : il devrait y avoir un lien de sens, un lien fort entre l’évaluation et l’activité enseignante.
Plus loin, Anne Jorro précise : « analyser et évaluer, ce n’est pas la même chose ». C’est « ce n’est pas la même chose » qui est intéressant. Car si on éprouve de la difficulté à définir l’évaluation, en revanche, on peut dire ce qu’elle n’est pas, ce qu’elle ne devrait pas être. D’une manière générale, l’évaluation est un lieu de malentendus qu’on évite d’élucider, comme si tout le monde s’accordait à vouloir ignorer le concept. Or, on a besoin de créer un concept quand on a un problème. Ce problème, c’est celui de l’écart irréductible entre ce qui est prescrit et ce qui est réalisé. C’est aussi le problème du positionnement des personnes en évaluation : « le dilemme entre l’arbitre et l’entraîneur ». Dans cette métaphore du jeu sportif, on présuppose à la fois un « joueur », enseignant dont on a peu à dire et quelqu’un qui ne joue pas mais dont on se préoccupe puisqu’il occupe la position importante de l’évaluateur. Et si ce présupposé révélait une représentation d’une relation si dissymétrique qu’elle en oubliait l’acteur ou le joueur sans qui il n’est possible d’évaluer et de jouer ?
La confusion entre contrôle de ce qui est prescrit et évaluation de ce qui est réalisé entretient une illusion, une erreur traversée d’un désir, celui de la maîtrise. Illusion qu’on retrouve dans le pilotage par indicateurs. Ce ne sont pas les indicateurs qui sont illusoires, mais c’est le pilotage. On peut piloter un projet, par indicateurs. Les indicateurs sollicitent l’interprétation, mais le pilotage par indicateurs tue le pilotage. Surtout quand il est fondé sur la visée d’efficacité . On arrive même à se demander si, depuis que le pilotage par les résultats est devenu l’objectif des instances de décision, le nombre d’informations recueillies ne brouillerait pas le message. Comme disait Pierre Frackowiak dans un de ses billets sur l’évaluation CM2 : « Tout ça pour ça ! » Si on se plaçait dans la perspective de l’évaluation, on pourrait dire que « tout ça ne vaut pas grand chose ».
Evaluer ne se réduit pas à comparer, comme ce n’est ni analyser, ni juger. Encore que l’évaluation puisse recourir à la comparaison, à l’analyse et au jugement. La noosphère, tous ceux qui pensent sans réaliser, « les arbitres » : le ministre et ses avatars déconcentrés, recteurs et inspecteurs d’académie et « les entraîneurs » : les formateurs, les inspecteurs (à la fois arbitres et entraîneurs), ont tendance à vouloir comprendre pourquoi le travail n’est pas réalisé tel qu’il est prescrit. Les premiers réduisent le processus d’évaluation au contrôle. Ils veulent « mesurer » les écarts pour trouver la solution appropriée : d’autres textes prescriptifs, ou plus souvent, l’admonestation. Les seconds, les formateurs et les inspecteurs analysent ; ils comprennent ce qu’ils observent à la lumière des théories. Ils articulent les faits et les phénomènes. Quels qu’ils soient, arbitres ou entraîneurs, tous se situent hors jeu, sur la touche ou même sur le terrain, sans le ballon. Pourtant ils revendiquent leur place. Ils la revendiquent d’autant plus fort qu’ils adoptent la posture hiérarchique du pouvoir : pouvoir prescrire, pouvoir analyser.
Or, quand on se place dans le champ de l’évaluation, on se positionne dans le champ de l’ignorance. On n’ordonne pas, on ne fait pas semblant de comprendre ce qui se passe. Sauf à ne pas être obéi, sauf à comprendre tout et n’importe quoi. En évaluation, on ne juge pas, on n’analyse pas, on ne prescrit pas. Pas plus qu’on n’observe, qu’on n’examine et qu’on ne mesure. On se parle. L’évaluation est le lieu d’un travail de la parole à deux. Parce que les deux protagonistes de l’évaluation ont besoin de connaître et de reconnaître, d’attribuer de la valeur à ce qui est réalisé. Comment se fait-il que ce qui est prescrit n’est pas réalisé ? Et ce qui est réalisé a-t-il de la valeur ? Ce travail d’évaluation est celui de la parole alors que la prescription et l’analyse sont des confrontation de discours. Bien entendu, parler en évaluation, ce n’est pas discuter, ce n’est pas dire, ce n’est pas parler sur. Parler en évaluation, c’est parler avec. Cela requiert des méthodes que nous avons esquissé lorsque nous étions nous même en évaluation, dans la position d’engager le processus.
Si l’on définit l’évaluation de manière négative, en opposition au contrôle, au jugement ou à l’analyse, à l’observation, à la mesure, on a déjà une idée de l’évaluation, mais on n’a pas encore un concept qui se construit en réponse au problème posé. Une autre entrée, celle des méthodes, conduit à préciser ce qui n’est encore qu’une notion. Nous parlons de méthodes au pluriel et non d’une méthode et encore moins de techniques.
L’évaluation exclut la confrontation des discours. Elle se développe dans le cadre d’une parole, construite dans le cours d’un dialogue entre des personnes qui ont des rôles différents, mais qui sont en relation de confiance. La parole qui fonde l’évaluation a quelque chose à voir avec le « parler vrai » des stoïciens, avec « l’herméneutique du sujet » dont a parlé Foucault. C’est à partir des méthodes stoïciennes qu’on peut penser l’évaluation. En changeant ce qui doit être changé. Le changement est surtout lié à la professionnalisation, plutôt qu’à l’époque.
Le changement qu’introduit cette relation dans l’évaluant, c’est aussi un changement de perspective et de mode de relation ; il ne s’agit pas d’une relation de maître à disciple, de directeur de conscience à dirigé. C’est une relation de « vérité ». Ni arbitre, ni entraîneur, ni disciple, ni assujetti, mais relation entre sujets. Ce n’est pas que les statuts hiérarchiques soient niés ; on ne saurait limiter l’évaluation à la situation paritaire. Il vaut d’ailleurs que l’évaluateur soit reconnu pour sa compétence à développer l’évaluant. La relation entre les protagonistes de l’évaluation est fondée sur la mise entre parenthèses des statuts. Il n’y a plus dans la relation d’évaluation d’inspecteur et d’inspecté, de formateur et de formé. Il n’y a pas à arbitrer, ni à entraîner. Il y a à élucider le jeu des valeurs qui fondent les actes d’enseignement ; il y a à donner cohérence à ses valeurs et aux actes professionnels qui se disent, la cohérence n’étant pas la cohésion. Il y a à reconnaître des personnes pour leur valeur, et des actes pour leur moindre valeur. Dans cette situation d’évaluation – et dans cette situation seulement – il y a deux personnes qui cherchent à donner de la valeur à ce qui est parlé. Deux personnes qui créent les conditions de leur expérience. L’un, qui conduit par méthodes le processus et l’autre qui construit, par évaluation, son expérience professionnelle. Mais les deux apprennent l’un de l’autre. Les statuts sont pour un temps gommés, même si les rôles sont différents. Protagonistes d’évaluation, voilà la position des uns et des autres. C’est cette position qui doit être appelée par le formateur ou l’inspecteur au moment où il entre en évaluation. Il indique le changement par posture. Cela n’exclut pas, en dehors de l’évaluant, les postures de l’arbitre qui permet le jeu ou la posture de l’entraîneur qui développe les compétences. Il suffit de préciser qu’en évaluation, on change de posture.
S’il fallait tenter de définir ce concept d’évaluation, nous proposerions ces traits sémantiques qui serviraient d’ébauche : l’évaluation est un processus discursif, et réflexif, à deux ou à plusieurs, qui transforme le travail enseignant en expérience, en lui conférant de la valeur, en lui donnant sens parce qu’il met au travail des valeurs communes et singulières. L’évaluation est une forme d’accompagnement.
C’est ce travail de la parole évaluative, de la position des formateurs et des inspecteurs dans l’évaluant que nous avons exploré dans les articles du site : « Métiers d’inspecteur » http://crdp.ac-reims.fr/ien et dans notre ouvrage : L’inspection pédagogique aux risques de l’évaluation.- L’Harmattan, 2005.
Jean-Pol Rocquet, inspecteur en retraite.
Piloter le système circonscription – Rémy Bobichon
Je développerai ici l’idée de la circonscription d’enseignement primaire conçue dans une visée systémique. L’évaluation dans cette approche fait partie intégrante du système d’animation et de formation développé dans la circonscription.
« Affronter le dilemme entre l’arbitre et l’entraîneur »
Je suis inspecteur dans l’enseignement primaire (IEN) et j’évoquerai ici quelques aspects de l’évaluation des enseignants au regard de l’inspection qui est une forme particulière d’évaluation.
Ma fonction me permet de porter sur le travail des enseignants un regard à la fois externe, à la classe et à l’école, et interne, puisque je fais partie intégrante du système éducatif et du « système-circonscription ». La circonscription est une entité géographique et administrative comprenant toutes les écoles qui y sont implantées et les enseignants qui y sont affectés. C’est aussi une « mission » confiée par le recteur à un inspecteur qui en est le référent, entouré d’une équipe constituée de conseillers pédagogiques et d’une secrétaire.
Il existe au sein du « système-circonscription » un tissu de relations, un réseau d’acteurs (1) et de structures en interactions, en évolution permanente, ce qui est la caractéristique d’un système complexe, avec des habitus, des références communes, des pratiques professionnelles propre à chaque fonction (enseignants titulaires et stagiaires, enseignants spécialisés, psychologues, directeurs, conseillers pédagogiques, inspecteur) mais aussi complémentaires. A noter qu’à l’intérieur du système-circonscription se développent des réseaux, d’équipes liées ou non par la proximité géographique, par un projet commun, réseaux d’affinités, de recherches, de partage de pratiques, de cycles, etc.
Je suis connu des enseignants et je connais la plupart d’entre eux selon leur ancienneté dans la circonscription et les occasions que j’ai eues de les rencontrer. Je m’étends un peu sur cette présentation parce qu’elle me semble déterminante dans la relation évaluateur/évaluée qui s’inscrit au coeur d’un système, est déterminée par lui et agit sur lui en retour.
A cela il faut rattacher les valeurs affichées que je souhaite partager et mettre en œuvre dans tous les aspects de mon travail, notamment avec mes proches collaborateurs que sont les conseillers pédagogiques qui sont aussi porteurs de ces valeurs dans le réseau de la circonscription.
Elles peuvent se décliner ainsi : le respect, valeur suprême, le respect des personnes mais aussi le respect des acteurs, de leur travail, de leur autonomie dans leurs champs de compétences, la responsabilisation, la confiance, la foi en la capacité de chacun de progresser, d’innover et de prendre des initiatives. Enfin j’ajouterai la convivialité, qui joue beaucoup comme liant et comme détendeur dans les relations.
Ces valeurs sont à l’œuvre dans les postures professionnelles que sont : l’accompagnement, la relation d’aide, l’écoute, la proximité, la mutualisation, l’empathie.
Bien entendu ce sont ces mêmes valeurs que je souhaiterais voir à l’œuvre dans les classes et qui sont en jeu dans l’évaluation.
La question préalable de Françoise Carraud posée en introduction concerne les obstacles à l’évaluation des enseignants.
Pour ma part les regrouperais ainsi :
->La culture du chiffre (qui n’est pas une culture de l’évaluation), les « indicateurs » si souvent invoqués dans le discours officiel, qui n’en sont pas la plupart du temps, mais qui sont simplement des données chiffrées, comme les résultats des « évaluations » des élèves aux tests nationaux. Evaluer un enseignant en commençant par exhiber « un tableau de bord » où figurent les résultats de ses élèves c’est déjà le disqualifier, le mettre en situation de se justifier, en position d’infériorité dans la situation d’évaluation…
Le mot « pilotage », lui aussi très en vogue dans le discours officiel, est souvent un repoussoir recouvrant un vide conceptuel, ou un mot fourre-tout tiré de la panoplie du management d’entreprise. Le « pilotage » par les résultats me paraît plus relever d’une stratégie d’entreprise que d’un système éducatif, le pilotage de projets en revanche a sa légitimité. Les effets sur le terrain de cette addiction aux résultats, aux statistiques, aux performances, sont dévastateurs et pervers : truquages, biaisages, manipulations, blocages, bachotage, mais aussi démobilisation et fatalisme. Selon les attentes institutionnelles, vraies ou supposées, ou les moyens espérés (renforcement des équipes, projets spécifiques, zonage, aides financières) les chiffres peuvent aller dans un sens ou un autre, comme les statistiques de la délinquance, par exemple. On l’a vérifié avec la remontée des résultats des récentes « évaluations CM2 » dont on se demande quelle crédibilité on peut accorder aux chiffres publiés par le ministère. On a pu voir aussi sur le site du Café Pédagogique que le système éducatif anglais avait marginalisé les disciplines autres que la langue et les mathématiques, ce qui peut expliquer les bonnes performances des élèves anglais aux « évaluations » internationales. Faut-il en arriver là ?
->La reconnaissance sonnante et trébuchante du mérite, si elle était liée aux résultats des élèves, serait contre-productive et d’une injustice profonde. En effet selon la localisation de l’établissement d’exercice et le type de public scolaire accueilli les performances des élèves dépendent pour une bonne part de facteurs extra-scolaires. Dans ce même ordre d’idée un salaire « au mérite », toujours conditionné par les résultats scolaires, serait une grave source de tensions au sein des équipes.
->Les comparaisons de tous ordres, entre enseignants du premier et du second degré, de la maternelle et de l’élémentaire, entre le privé et le public, entre les systèmes éducatifs, la mise en concurrence des établissements scolaires à travers la publication de palmarès. Tous ces « ressorts » appartiennent au monde de l’entreprise et à la sphère du privé dont les buts et les finalités diffèrent de deux du public.
Anne Jorro remarque avec raison que « le système éducatif réclame de plus en plus un pilotage en regard d’indicateurs internationaux ce qui génère chez les enseignants un sentiment de contrainte devant l’évaluation. Ils y résistent ce qui génère des tiraillements sur le traitement de la difficulté scolaire et l’accompagnement des élèves e n difficulté ». La présentation du classement des systèmes éducatifs au regard des résultats des élèves aux évaluations internationales a eu des effets démobilisateurs en France, a suscité un sentiment d’injustice chez les enseignants français, confrontés à l’enseignement d’une langue difficile, à des publics très hétérogènes, contrairement à leurs homologues finlandais portés au pinacle, mais dont la langue écrite est quasiment phonétique, qui bénéficient d’un environnement socio-culturel et de conditions matérielles beaucoup plus favorables.
->Le mot « évaluation », fort galvaudé à l’image de ce qui précède et qui ne recouvre le plus souvent qu’un contrôle des connaissances sous des formes variées. C’est pourquoi je suis toujours tenté de le mettre entre guillemets. L’évaluation des enseignants relève parfois à bien des égards du contrôle de conformité, ce à quoi on ne saurait la réduire.
->L’inspecteur perçu comme le simple porte-parole d’un discours officiel, ou même du discours pédagogique « ambiant », et le simple relais d’une politique éducative, sans état d’âme, sans recul ni autonomie de pensée par rapport à celle-ci.
->Les représentations et les réflexes archaïques vis-à-vis de l’autorité, du rapport à la Loi, la peur d’être jugé qui en découle, les représentations que les enseignants, les évalués, se font de l’inspecteur-évaluateur, de la situation d’évaluation qu’est l’inspection, et réciproquement.
->Les comportements qui en découlent : l’auto-justification, la projection, le déni, la rigidité, la peur de se faire piéger, de se faire manipuler, la fuite, le contournement, l’évitement ou l’esquive, etc. Bien entendu ces comportements ou réactions peuvent être ceux des deux parties en présence.
->Les modèles idéaux de l’évaluateur et de l’évalué : le bon ou le mauvais enseignant, le bon ou le mauvais élève, qu’est-ce qu’apprendre ? Qu’est-ce qu’enseigner ? Etc.
->les référentiels, notamment le référentiel des compétences attendues d’un enseignant, qui est une fiction dans la démesure de son ambition, la recherche de l’absolu à travers une pratique professionnelle, celle de l’enseignant ou de l’inspecteur : tout voir, tout savoir, tout transmettre, tout mesurer…
Les référentiels officiels sont peu nombreux : les programmes, mais le discrédit qui frappe les programmes actuels est problématique du point de vue de l’évaluation s’il ne l’est pas du point de vue du contrôle. Il paraît essentiel qu’un consensus soit établi dans la communauté scolaire autour des programmes, ce qui fut généralement le cas jusqu’en 2008. La rupture de ce consensus est extrêmement dommageable.
Les obligations statutaires, légales et réglementaires d’un citoyen, d’un fonctionnaire et d’un enseignant.
Quels sont les facilitateurs dans la situation d’évaluation d’un enseignant ?
->Le management de la circonscription décrit plus haut, la qualité de l’équipe de circonscription et de ses collaborateurs.
->Les attitudes qu’elle développe et encourage, les valeurs qu’elle prône, colporte, insuffle, les postures professionnelles adoptées, comme la proximité, l’accompagnement, l’écoute, l’aide au développement professionnel.
->Les pratiques valorisées : l’analyse de pratiques, la mutualisation, la co-formation avec l’émergence de personnes-ressource, la recherche-action, etc. Tout ceci aboutit à un « maillage » de la circonscription qui fait que chacun se sent intégré dans un ou plusieurs réseaux où il a sa place, son rôle et son statut, tantôt en formation, tantôt formateur, tantôt utilisateur tantôt concepteur d’outils. Cette vision n’est pas une idéalisation, il va de soi que des enseignants restent en retrait –heureusement et c’est leur liberté- et n’adhèrent pas forcément au système et au fonctionnement que nous leur proposons, ce n’est pas un phalanstère ! Tout système a ses déviants qui l’amènent à se questionner, à se remettre en cause pour évoluer.
->La proposition ou l’offre de « parcours de formation » personnalisés en fonction des besoins ou intérêts des enseignants et des personnes-ressource. Ceci dans le cadre du plan départemental de formation, qui s’est bien étiolé au fil des ans et des contraintes, et surtout du programme des « animations de circonscription ». C’est un dispositif qui prévoit que chaque enseignant dispose de 18 heures annuelles de formation assurées par la circonscription. Les modalités sont variées : regroupement d’enseignants autour d’une même problématique de recherche ou de réflexion, visites de classe en binômes, « conférences » pédagogiques traditionnelles, animations en autonomie dans une école, etc. La validation de ce dispositif, qui se veut à l’image de la différenciation pédagogique prônée en classe, est établie par le fait que nombre d’enseignants dépassent le quota de 18 heures qui leur est attribué et participent à d’autres animations. L’absentéisme y est très faible, alors qu’il n’y a pas d’obligation véritable étant donné que les déplacements ne sont pas pris en charge actuellement par l’institution et qu’un enseignant peut très bien décider de rester dans son école au jour convenu.
->L élaboration conjointe, ou la confrontation à parité, de référentiels propres à l’évaluateur et à l’évalué.
->La connaissance et la reconnaissance mutuelles de l’évaluateur et de l’évalué, dans la complémentarité de leurs fonctions et la singularité de leur individualité.
->Le moment de l’entretien d’évaluation placé avant l’observation en classe et non après. Mon collègue J.-P. Rocquet dont on trouvera la contribution par ailleurs, a expérimenté cette disposition qui s’est révélée très fructueuse. Je pratique également l’entretien en deux temps, avant et après l’observation en classe. L’entretien placé ainsi permet de dédramatiser, de mettre en confiance, de « déminer » le terrain en reposant le cadre de l’évaluation. Il évite à l’enseignant de se justifier d’emblée, d’anticiper ou de s’interroger sur les « arrière-pensées » souvent prêtées à l’inspecteur-évaluateur. La durée de l’entretien est également un facteur facilitateur, pas moins de 45 minutes, de manière à pouvoir aller au-delà des premières impressions, des constats. La disponibilité de l’évaluateur doit être manifeste : bannir la « grille d’inspection » qui renvoie au check-up de santé, ne pas s’absorber dans ses notes, bannir l’ordinateur portable, éteindre son portable ( !), ne pas regarder l’heure ou donner l’impression qu’on est pressé, laisser des silences et des points d’orgue. Ces aspects sont développés sur le site dont les références figurent au bas de ce texte.
->La diffusion préalable dans la circonscription d’une « Charte de l’inspection » qui en définit les modalités, les attendus, les bornes, le cadre donc resitué dans une perspective historique. Nous en avons proposé un exemple avec mon collègue G. Gauzente sur notre site « métier d’inspecteur » (2) .
Les effets observés de ces dispositions :
->La mise en tension du réseau-circonscription : les groupes de travail se multiplient souvent hors cadre institutionnel, les animateurs ou personnes-ressource se désignent ou sont cooptés, la réflexion pédagogique, les initiatives se multiplient, les demandes de formation qui nous remontent sont beaucoup plus précises et axées sur des besoins réels. Un enseignant n’hésite plus à parler de sa pratique, à montrer ce qu’il fait au sein d’un groupe sans la crainte d’être suspecté de courtisanerie ou de carriérisme. Les enseignants travaillent avec plus de sérénité sachant que l’équipe de circonscription est à leur côté et leur fait confiance.
Qu’il soit bien clair qu’il ne s’agit pas de présenter ici un fonctionnement-modèle mais un modèle de fonctionnement inscrit dans une perspective systémique.
->Il devient rare qu’un entretien d’inspection débouche sur un « psychodrame » : crise de larmes, effondrement de la personne, agressivité, auto-flagellation, déni, sentiment exprimé de culpabilité ou d’impuissance, formes de rigidité excessive ou de résistance au changement, au perfectionnement, ou inversement approbations systématiques, soumission sans condition, etc.
->La plupart des enseignants, qui me connaissent maintenant, abordent l’entretien de manière confiante et volontaire, ce qui ne veut pas dire sans tensions ni stress, sachant que le but n’est pas de les piéger, de les soumettre « à la question » version inquisition, ni de les mettre en porte-à-faux ou en contradiction par rapport à eux-mêmes ou tout autre référent. Toutes choses incompatibles avec les valeurs auxquelles je me réfère. Je ne suis pas expert en pédagogie et ne me présente pas comme tel, je n’ai pas forcément « la réponse » attendue ni de doxa en pédagogie. Nous avons à nous confronter à un certain nombre de problématiques, de questionnements liés au travail en classe, qu’il faut élucider ensemble en fonction de nos statuts, de nos métiers, nos références et nos conceptions propres, nos divergences et tout ceci constitue le matériau même de l’évaluation, « l’évaluant ».
->Il se crée de plus en plus de « relais » de l’équipe d’animation au sein de l’a circonscription, libérant du même coup les formateurs que sont les conseillers pédagogiques. Leur rôle, outre bien sûr l’intervention directe, consiste de plus en plus à coordonner, à mettre en relation, à organiser des groupes, des échanges ou des visites de classe à classe entre enseignants, à susciter des initiatives pour créer, faire vivre ou dynamiser des réseaux. Il consiste aussi à confirmer des référents, valider des propositions ou installer des pôles de ressources, aussi bien en termes de personnes, de terrains d’accueil que de ressources documentaires ou autres.
C’est un système de pilotage du système-circonscription.
Inscrite dans ce système-circonscription, et je rejoins en cela Anne Joffo, l’inspection devient alors effectivement un outil, une modalité de régulation, de valorisation des actes, de mise en perspective et de réflexivité sur les actions entreprises de toute nature : au sein de la classe, de l’équipe, du groupe, du réseau…
Je suis convaincu que l’amélioration des résultats des élèves passe avant toute chose par la formation, l’accompagnement visant au développement professionnel. Je suis de plus en plus convaincu aussi que la focalisation sur les statistiques, la pression sur les résultats, la stigmatisation ne génèrent que stress, déresponsabilisation et démotivation, perte de sens et de valeurs.
Rémy Bobichon
1 En référence à Richard WITTORSKI, qui pense « qu’on demande de plus en plus aux professionnels d’être des acteurs et pas seulement des membres d’une institution ». Cela était vrai jusqu’à ce que le ministère actuel prenne les commandes, avec la volonté affichée de réduire tous les acteurs du système éducatif au rôle de simples exécutants d’une politique. Dans cette perspective même la formation continue tend à se rapprocher du modèle de l’instruction. Dans les regroupements nationaux ou locaux les cadres sont de plus en plus souvent conviés à une simple présentation du diaporama de mise en œuvre de tel ou tel projet ministériel, diaporama qui sera ensuite présenté de la même manière sur le terrain. On peut penser que des machinistes feraient tout aussi bien l’affaire…
2 http://crdp.ac-reims.fr/ien/
Développer la controverse professionnelle…et réfléchir à une éthique de l’inspection. – Dominique Senore
Je réagirai prioritairement en lien avec la contribution des collègues de l’équipe ERGAPE de Marseille, Jean Claude Mouton, Laurence Espinassy et Christine Félix. Quand j’ai terminé ma thèse, c’était en 2000, j’arrivais à la conclusion qu’il fallait sans doute envisager, pour les inspecteurs, de créer des missions distinctes. Pour les uns, il serait nécessaire d’accompagner des équipes de terrains, en s’alliant les compétences de chercheurs (un peu comme nous l’avons tenté et réussi ici et là au moment de la charte bâtir l’école du 21ème siècle). Ils seraient les « entraineurs » ou les passeurs dont parlent les collègues. Pour les autres, ils devraient contrôler les effets des pratiques mises en ouvre dans les classes (les « arbitres » ou les douaniers). La proposition des collègues de Marseille fait écho, pour moi, à des expériences que nous avons tentées pour développer la controverse professionnelle : entre novices et experts, en formation initiale et continue ; entre chercheurs et praticiens aussi, pour que la recherche n‘apparaisse pas comme une activité en surplomb de la pratique des enseignants mais, au contraire, finement liée à elle et à sa réussite auprès des élèves. Nous parlions à l’époque d’une nécessaire double irrigation dont on a pu voir les effets positifs quand chacun jouait son rôle, avec sérieux, dans le respect des réflexions et des pratiques des autres.
Du regard impertinent mais au combien utile d’Anne Barrère, je retiens que quelques uns se retrouvent face à une « activité empêchée ». J’ai vu combien celle des inspecteurs l’était quand près d’un enseignant sur deux (49%) estimaient que « mon inspecteur ne m’a jamais aidé et je ne pense pas qu’il puisse m’aider un jour » (in pour une éthique de l’inspection, ESF). C’est pour cette raison, qu’obstinément, je propose une nouvelle version d’un projet de code de déontologie. Il devrait permettre aux enseignants et à leurs inspecteurs ainsi qu’à tous les acteurs du système éducatif de travailler ensemble, « pour de vrai », sur les questions qui fondent l’acte d’enseigner. Il me semble urgent que les uns et les autres se réunissent pour tenter de répondre à cette question : qu’est-ce qui est acceptable, pour chacun d’entre nous, dans cette relation professionnelle, pour permettre à chaque élève d’atteindre son pôle d’excellence ? Le code qui sera en vigueur reste à construire, la proposition jointe peut servir de « texte martyre ».
Merci au Café pédagogique de nous permettre de recréer du lien et de poursuivre le travail sur cette difficile question que nous ne pouvons plus esquiver plus longtemps.
Voici la première page d’un document de travail que l’on peut trouver en intégralité dans son livre « Pour une éthique de l’inspection (ESF) », pages 140 à 147. Ce code n’est qu’une proposition destinée à provoquer le débat. Il peut être amendé, complété, contesté, débattu… On peut communiquer ses propositions et critiques directement à Dominique Sénore, dominique.senore@iufm.univ-lyon1.fr , tel : 04 72 07 30 11
Cette proposition de code de déontologie figure dans Pour une éthique de l’inspection, paru chez ESF en 2000. Il reste à l’actualiser et à la rendre opérationnelle…
Proposition pour un code de déontologie opérationnel
Titre 1 : la promotion des actions pédagogiques et éducatives
1 L’inspecteur s’engage à faire progresser les pratiques de tous les enseignants et des intervenants dont il a la responsabilité.1 Par exemple : ?Organisation, au sein de la circonscription ou en partenariat avec d’autres circonscriptions de réunions de travail sur l’analyse des pratiques, les échanges d’apports théoriques, leur implication dans la pratique en classe…
2 L’inspecteur participe activement au repérage de toutes les initiatives pédagogiques destinées à améliorer la qualité de la prise en charge des élèves par les enseignants et produisant des effets positifs sur leurs apprentissages, leur développement et la réussite des objectifs de l’école. Par exemple : ?Installer une veille électronique sur des questions pédagogiques, consultation des sites pédagogiques des mouvements et associations
3 L’inspecteur a le devoir d’accueillir et d’examiner les propositions innovantes, de se les faire présenter et de proposer des dispositifs pour en observer les effets sans objecter, a priori, des impossibilités techniques.
4 L’inspecteur s’engage à promouvoir des propositions d’organisations pédagogiques, susceptibles d’améliorer les pratiques des enseignants et les résultats des élèves, compatibles avec les finalités du système scolaire définies dans la loi d’orientation de 1989. Qui plus est, il n’acceptera ni compromis ni concession, si les propositions bafouent les valeurs fondamentales de justice et d’équité, au profit d’avantages strictement personnels susceptibles de créer ou d’accroître des inégalités entre les élèves.
Dominique Senore
D. Sénore, Pour une éthique de l’inspection, ESF, Paris,2000, 224 p.
Note de Pierre Frackowiak :
L’article 46 à la page 146 pourrait illustrer la pertinence de la réflexion engagée :
46. L’inspecteur s’impose de dissocier explicitement les visites de contrôle de conformité et les visites portant sur l’évaluation des pratiques des enseignants et de leur accompagnement professionnel.
Un autre article, le n° 45, a déjà suscité de nombreuses réactions hostiles lors de la sortie du livre. Il mérite pourtant une véritable analyse :
45. L’inspecteur n’a pas le droit d’exiger d’un enseignant ce qu’il ne serait pas capable de faire lui-même.