A propos de l’ouverture d’une CPGE pour les bacheliers professionnels
A la rentrée 2009 le lycée René Cassin de Strasbourg ouvrira la première classe préparatoire aux grandes écoles réservée aux bacheliers professionnels. Un événement qui interroge sur l’avenir de toute une filière. Le Café interroge Jean-Luc Koehl, responsable de l’équipe pédagogique de la future CPGE.
Pourquoi créer cette CPGE aujourd’hui en Alsace, dans ce lycée ?
Ce projet d’expérimentation nous est venu tout naturellement car d’une part le Lycée René Cassin de Strasbourg propose depuis plus de 30 ans une classe préparatoire ECT (réservée aux lycéens issus d’un bac technologique) et que d’autre part, nous avons l’expérience pédagogique pour faire réussir des jeunes qui n’ont pas forcément envisagés des études longues lors de leur arrivée dans le secondaire (cette classe compte un taux de boursier proche de 40 %).
Les classes bénéficient depuis quelques années d’une nouvelle impulsion de leur projet pédagogique, ce qui se traduit par une progression très sensible des effectifs et la persistance des bons résultats. La montée en puissance du baccalauréat professionnel en trois ans crée de nouvelles opportunités pour des élèves qui ont un autre profil que la cible traditionnelle des CPGE. L’Alsace est une région où la tradition de l’enseignement professionnel est forte : ce projet expérimental est donc en cohérence avec la culture locale, les demandes des familles et la politique ministérielle.
Enfin, un projet de lycée des métiers avec un rapprochement entre le Lycée René Cassin et le Lycée professionnel Charles Frey nous a donné l’opportunité de lancer ce projet d’expérimentation, en partenariat avec l’École de Management de Strasbourg incluse à l’université.
Par quelle pédagogie pensez-vous arriver à relever le niveau (par exemple en langues ou en culture générale) des candidats ?
La formulation de votre question est d’emblée désobligeante ! Il ne s’agit pas de « relever » mais de porter les compétences des élèves concernés au niveau requis pour se présenter aux concours.
Nous avons consacré beaucoup de temps à l’élaboration de ce projet et surtout à l’encadrement pédagogique de ces jeunes. Un programme spécifique sur trois ans a été élaboré avec l’appui direct de l’inspection générale. Ce programme se fonde sur celui des classes préparatoires ECT pour les matières (qui sont de toute façon dictées par les épreuves des concours) mais s’en distingue par un programme spécifique durant les deux premières années de scolarité.
Nous avons notamment augmenté sensiblement les heures de langues (et en particulier la langue 2 dont beaucoup d’élèves de bac pro n’ont pas bénéficié au cours de leur scolarité) et les heures de culture générale (lettres et philosophie). Pour ces deux matières (essentielles aux concours) il est également prévu un stage à l’étranger, des heures d’encadrement méthodologique, un partenariat avec les organisations culturelles de la ville de Strasbourg, l’accès aux laboratoires de langue de l’Ecole de Management Strasbourg… Enfin le découpage horaire consacre d’avantage d’heures aux travaux dirigés pour les matières « technologiques » (management, gestion, économie et droit).
Qui enseignera dans cette section ? des PLP ? des agrégés ?
La formation est implantée en lycée professionnel ; le bloc de l’enseignement habituel de prépa est assuré par l’équipe pédagogique en place, Elle sera soutenue dans son action par des professeurs de lycée professionnel qui contribueront notamment aux interrogations individuelles spécifiques aux classes préparatoires.
Elles sont en effet l’une des clés de réussite car elles permettent une « rencontre », un suivi et une évaluation hebdomadaire des étudiants.
On assiste depuis plusieurs années à une « scolarisation » renforcée de l’enseignement professionnel. Votre initiative ne risque t elle pas de contribuer à cette évolution, voire de renforcer la division de l’EP entre des branches de diplôme de bas niveau (CAP) et des branches élitistes ?
Nous vous laissons la responsabilité de cette affirmation dont nous ne comprenons pas bien le sens. Si offrir des possibilités ouvertes de poursuites d’études supérieures à des bacheliers professionnels est une forme de « scolarisation » de leur parcours, alors oui, il s’agit bien de cela.
Comme nous l’évoquions ci-dessus, nous avons une bonne expérience dans la préparation des bacheliers technologiques aux concours des grandes écoles. Nous n’adhérons pas du tout au terme « élitiste » car ces classes sont accessibles aux élèves qui veulent bien s’en donner la peine .Evidemment il faut que les élèves soient motivés par des études supérieures longues. En ouvrant cette classe aux lycéens professionnels nous voulons simplement vérifier qu’il est possible de leur donner les mêmes chances de poursuite d’études et de réussite qu’aux bacheliers généraux et technologiques. Et nous avons ainsi une réelle application des « Cordées de la réussite » avec un véritable partenariat entre un lycée professionnel, un lycée d’enseignement général et technologique et une grande école.
N’est ce pas rompre avec un certain ancrage social de l’Enseignement Professionnel ?
C’est plutôt rompre avec l’ancrage social traditionnel des CPGE. Cette expérimentation a pour objet de démontrer qu’il est possible d’amener à la réussite, par un dispositif aménagé de classe préparatoire, des bacheliers professionnels, généralement issus de milieux modestes.
C’est l’application même du concept d’égalité des chances.
Jean-Luc Koehl
Entretien François Jarraud
Le projet