Une des singularités du système éducatif français c’est sa fermeture à son environnement. Pourtant des établissements ont su tisser des liens avec les parents et les associations complémentaires. Enfin l’expérience d’autres pays francophones,le Québec par exemple, est bien différente et montre l’intérêt d’une nouvelle posture. C’est ce qui ressort du livre « Construire une communauté éducative » qui en analyse les difficultés, les limites et les intérets. G. Pithon, qui a coordonné l’ouvrage, fait le point de la réflexion sur cette question.
Une communauté c’est quelque chose qui se construit autour d’objectifs, de valeurs partagés et d’une histoire commune. Comment peut on apprendre aux enseignants à nouer ces partenariats avec les familles ?
A votre définition d’une communauté je rajouterai quelques caractéristiques importantes : c’est aussi un dispositif construit qui doit prévoir des modalités précises de gouvernance (direction alternée par exemple), un apprentissage du partage du pouvoir, des ressources à mettre en commun et des obligations à respecter en vue de mener des activités ensemble. « Parler de territorialisation de l’éducation et, in fine, d’une réorganisation de l’École républicaine, peut constituer une démarche légitime, à la condition de poser la question essentielle de la nature du pilotage des systèmes et des organisations, en particulier lorsque ceux-ci impliquent de nouveaux et multiples partenaires et instaurent la présence et la participation de co-éducateurs, aux côtés des enseignants » (Maubant, Leclerc, 2008, p 28). Attention aux visions angéliques sur les communautés éducatives.
La conclusion de notre livre, signée par Asdih, enseignante à l’IUFM de Montpellier, souligne les enjeux et les limites du partenariat « famille école association ». J’en propose deux autres : i) la « mise en commun » de ressources risque de spolier la spécificité d’un des partenaires ; ii) la dérive sectaire (derrière une activité communautaire se cache parfois des « pratiques communautaristes » voire une volonté de développer des revendications identitaires ou sectaires) ! L’école républicaine doit veiller au respect de la diversité des identités et des cultures mais aussi à la défense des valeurs républicaines. Les cas du « voile islamique » sont des illustrations du malaise qui peut se produire dans un système « trop ouvert ». L’analyse des paradoxes et des contradictions du travail communautaire doit être proposée dans le cadre de la formation des enseignants. Cette formation a toujours fait l’objet de nombreuses controverses : à quel niveau d’études faut-il l’initier, dans quelle structure organisationnelle, avec quelles méthodes pédagogiques… ? Les enjeux de la formation des enseignants sont donc très importants car ils renvoient au type de société que nous voulons construire pour demain. Ces « compétences partenariales » doivent être étudiées dès la formation initiale des enseignants et faire l’objet d’entraînements spécifiques. Dans le cadre de l’exercice du métier d’enseignant il faut reconnaître cette activité comme un travail à part entière et pas uniquement réservé aux « bonnes volontés » : en effet susciter des groupes d’échanges avec les parents, un travail en équipe avec des professionnels extérieurs à l’école, prend du temps et nécessite des compétences sociales particulières d’animateur et de négociateur. On peut imaginer des rencontres sur certains thèmes ou pratiques avec des parents, par exemple : comment soutenir son enfant pour effectuer ses devoirs scolaires, comment trouver et tirer parti d’un stage ? La formation des enseignants, et certaines formes de soutien à la parentalité, devraient pouvoir être associées au cours de formations communes aux parents et aux maîtres (Pithon, Terrisse, 2009). Les besoins communs de formation sont multiples, par exemple l’autorité en famille et à l’école, la construction de partenariats spécifiques… comme nous l’avons déjà souligné par ailleurs (Pithon, Barrandon, 2007 ; Prévôt, Pithon 2008).
Comment apprendre aux familles à s’impliquer dans l’Ecole ?
Le Professeur Kalubi de l’université de Sherbrooke au Québec, qui a préfacé notre livre, rappelle que la fréquence des interactions entre enseignants et parents contribue de façon notoire à la prévention des conflits. Il est nécessaire d’entretenir « une continuité des interactions entre les enseignants et les parents pour renforcer leur sentiment de solidarité réciproque, fondement d’un partenariat solide » (Kalubi, 2006). On peut par exemple s’appuyer sur les travaux d’Epstein (1992) pour choisir des activités qui renforcent un ou plusieurs des six types d’implication des parents à l’égard de l’école. Elles peuvent être classées selon un ordre de complexité croissante : 1/ les devoirs de base des parents envers leurs enfants ; 2/ les devoirs de base de l’école envers l’enfant et la famille ; 3/ l’implication directe des parents dans l’école ; 4/ l’implication des parents dans les apprentissages de l’élève à la maison ; 5/ la participation des parents dans les prises de décision des instances éducatives ; 6/ la collaboration entre l’école et la communauté. D’autres activités peuvent être décidées d’un commun accord entre enseignants et parents selon leurs besoins analysés sur place et qui doit faire l’objet d’un travail clair et accessible à tous. Terrisse et Larrivée (2007) conduisent des recherches sur l’implication des parents à l’école.
Quels rôles peuvent avoir les associations complémentaires à l’école dans ces partenariats ?
Nous présentons dans ce livre plusieurs exemples concrets de partenariats avec des associations qui jouent des rôles complémentaires à l’école : accompagnement de l’inclusion d’enfants en situation d’handicap à l’école (Chatelanat, Université de Genève, Grivel, Délégation à la petite enfance, Genève, Suisse), approches interculturelles (Gremion, Hutter, Université de Genève, Suisse) ; sensibilisation de parents à leur rôle éducatif auprès de leur enfant dans un musée scientifique (Ailincai, Université de Paris 5, IUFM de Guyane, France), Weil-Barais (Université d’Angers, France) ; soutien à la parentalité (Pithon et al., Université de Montpellier, France) ; remédiation des troubles de la lecture (Dworczak, Bedoin, Krifi, Université de Lyon 2, France).
Bien entendu ces illustrations ne sont pas exhaustives et vos lecteurs ont plein d’autres exemples à donner. Il faut cependant prendre le temps de faire le point entre les partenaires associés à ces actions, confronter les évaluations effectuées de part et d’autres, améliorer en conséquence les dispositifs et relancer de nouvelles activités quand c’est nécessaire.
Dans l’ouvrage « Construire une communauté éducative », vous croisez des expériences venues de différents pays francophones (Suisse, Québec, Belgique, France). Il semble pourtant que ces systèmes éducatifs soient ouverts de façon très différente aux communautés qui les entourent. Par exemple en France, peut-on dire que l’Ecole est plutôt hostile à son environnement ?
Cet ouvrage est le fruit d’une mise en commun d’expériences très variées qui associent études et pratiques de chercheurs et de professionnels qui ont pu réfléchir sur les communautés éducatives ou en construire ensemble. Le premier chapitre de ce livre, rédigé par Maubant (université de Sherbrooke, Canada) et Leclerc (IUFM de Créteil, France) dresse un historique de ces pratiques en France, mais aussi au Québec, où elles semblent plus développées et mieux acceptées. Leurs réflexions nous rappellent que le partage d’un « territoire », y compris éducatif, n’est pas une affaire simple, notamment dans des pays marqués par la domination de religions et où les pratiques ont été par le passé plutôt monopolistiques que partenariales. L’enseignement laïc en France a dû s’imposer pour faire reconnaître son expertise et prendre ses distances à l’égard des religions et des familles qui les soutenaient. Le mouvement international qui recommande de travailler en co-éducation avec certaines communautés éducatives autrefois « rivales » n’est pas facile ni sans danger ! Maubant a d’abord exercé comme enseignant-chercheur en France puis au Québec. Il souligne ainsi les origines et les résistances françaises à cette « ouverture » pourtant inéluctable de nos jours. Asdih (IUFM de Montpellier, France) commente, en conclusion de ce livre, les principales législations régissant les partenariats famille-école-association des pays que vous avez cités.
Si l’on prend le partenariat famille – école dans son sens général, ce partenariat profiterait à qui ? Aux familles les plus aisées ou les plus défavorisées ?
Un « système ouvert » doit pouvoir profiter à tous les acteurs en présence : le partenariat famille-école devrait donc favoriser formellement les échanges entre tous les acteurs concernés. Toutefois ces acteurs ne saisissent pas ces opportunités de la même façon selon leurs origines socio- culturelles. Cette ouverture profite avant tout aux acteurs les plus « cultivés », qui maîtrisent les codes du système : ils sont aussi plus disponibles pour s’y investir et en retirent le plus de bénéfices… La formation initiale et continue sont des dispositifs qui connaissent les mêmes formes de « biais » : les plus privilégiés profitent davantage des dispositifs sociaux ouverts à tous. Je l’ai dénoncé il y a déjà longtemps (Pithon, 1977), et les statistiques de nos jours montrent que cette réalité n’a guère changé.
Il faut donc soutenir et encourager avec des moyens spécifiques ceux qui en ont le plus besoin ! Quand la SNCF propose des emplois à des jeunes, issus des quartiers populaires, elle montre qu’ils sont capables de s’y investir alors qu’ils n’auraient même pas eu l’idée de faire les démarches nécessaires pour postuler ! Si on veut aider les familles défavorisées à s’engager dans un partenariat « famille-école », il faut bien entendu trouver des moyens adaptés pour les informer de leurs droits, puis les soutenir à s’organiser, en instaurant des systèmes de garde des enfants et en proposant des formations adaptées (droits et devoirs des parents, expression orale, conduite de réunions… par exemple). Ces compétences sont déjà maîtrisées par les milieux favorisés. L’analyse des résistances culturelles doit parfois être menée dans certaines communautés, où l’on n’ose ni questionner, ni contester, les « dires du maître ». Il n’y a donc pas de fatalité ni de déterminisme socio-culturels incontournables. Il faut les prendre en compte en construisant des dispositifs adaptés à chaque situation. Les « privilégiés » ne cèdent pas leurs privilèges de façon spontanée : un des paradoxes de la démocratie consiste à soutenir les plus démunis et donc à leur donner un peu plus qu’aux autres…
Alors faut il réserver ces partenariats à des cas spécifiques ou doit-on davantage ouvrir l’Ecole aux familles et au tissu associatif ?
Le tissu associatif français est très dense. Par exemple dans les réseaux d’aide et de soutien à la parentalité (Prévot, Pithon, 2003) chaque association peut y trouver sa place. Les associations peuvent aussi solliciter des aides pour mener à bien des projets conformes aux valeurs républicaines. Mais ces projets doivent être évalués régulièrement selon des cahiers des charges clairement définis préalablement. L’Ecole a l’avantage de bénéficier de structures pérennes, avec du personnel formé, dans un cadre juridique toujours perfectible. Ainsi, elle peut organiser du soutien scolaire en son sein, selon des projets pédagogiques en cohérence avec ceux qu’elle met en place et en proposant des contrats éducatifs individualisés adaptés à chaque cas qu’elle connaît bien. Les associations, en dépit de leurs bonnes volontés, n’ont pas tous ces atouts et peuvent parfois confondre un certain prosélytisme avec les activités qu’elles voudraient introduire dans un cadre scolaire. Dans tous les cas il faut inventer des formes de partenariat solides et pérennes grâce à des mécanismes de régulations sociales entre l’Ecole (enseignants, conseillers principaux d’éducation, conseillers d’orientation psychologues…), les parents, les enfants et les associations.
Une des caractéristiques de l’enseignement professionnel réside sans doute dans une certaine proximité avec les élèves et les familles. Dans quelle mesure c’est un appui, dans quelle mesure un problème ?
La nature de l’enseignement professionnel, centré sur des pratiques concrètes, des stages associant divers partenaires (enseignant, maître de stage, élève et parents) induit naturellement des pratiques contractuelles rigoureuses. C’est donc plutôt « un appui » ! Toutefois plus le partenariat associe différents partenaires plus il est complexe et doit être régulé (signature de « chartes », d’« évaluations plurielles » par exemple) sinon les dérapages risquent de se multiplier. Et ce qui peut faire alors « problème » c’est la lourdeur des démarches administratives (paperasse), des échanges et des déplacements à mettre en œuvre…
L’ouvrage aborde le thème de « l’éducation implicite ». Quel est son enjeu pour la construction de communautés éducatives ?
En effet Pourtois, Desmet et Lahaye, de l’Université de Mons-Hainaut en Belgique, soulignent la nécessité pour les enseignants et les travailleurs sociaux d’être vigilants sur les forces pas toujours explicitées ou explicitables qui animent leurs actions, notamment éducatives. Nous risquons tous, par exemple, de reproduire des schémas, des idéaux, à « l’insu de notre plein gré » car ils sont profondément ancrés en nous ! Ils reprennent notamment la distinction entre croyances et connaissances proposée par divers auteurs comme Nespor (1987). « Le système de croyances, contrairement au système de connaissances, est de nature moins malléable et moins dynamique. Ce dernier est, quant à lui, nettement ouvert à l’évaluation et à la critique, à l’inverse des croyances qui sont caractérisées par leur stabilité » (Pourtois, Desmet et Lahaye, 2008, p 89). Cette thématique peut faire l’objet d’un travail au sein d’une communauté éducative donnée car enseignants et parents ont intérêt à engager une réflexion à ce sujet afin de remettre en question leurs pratiques et leurs bonnes intentions respectives ! C’est courageux et pas forcément facile à faire. C’est également l’occasion de repérer et de dénoncer certaines « emprises idéologiques » voire certaines « dérives sectaires » qui peuvent se manifester dans une communauté éducative donnée (cf. réponse à la question suivante).
Gérard Pithon
Entretien : François Jarraud
G. Pithon, C. Asdih, Serge J. Larivée (dir.), Construire une communauté éducative, de Boeck, Bruxelles, 2009, 258 pages.