Par François Jarraud
Jean-François Chazerans qui a mis en ligne son premier site de philosophie fin août 1997, a créé de nombreux espaces de parole sur le web, sites, listes de discussions… Il a été durant six ans mis à disposition à la Mission Académique aux TICE de Poitiers où il accompagnait entre autres les enseignants dans leur usage de l’informatique et de l’internet.
Il a, en outre, créé le café-philo de Poitiers et fait partie des acteurs historiques des Nouvelles Pratiques Philosophiques en Classe et dans la Cité [1].
Que pensez-vous de l’usage de blogs par les enseignants de philosophie ?
Cela dénote une posture somme toute très conventionnelle sur l’enseignement de la philosophie. Par exemple l’initiative de Didier Molinier dans vous parlez dans un précédant numéro [2] est très intéressante mais il faut le constater, comme la totalité des blogs pédagogiques philosophiques, c’est un blog d’enseignant. Les professeurs de philosophie font ou continuent leur cours sur le blog. Ils restent donc dans une conception hydraulique de la transmission du savoir : « Quand Socrate se fut assis : plût aux dieux, dit-il, que la sagesse, Agathon, fût quelque chose qui pût couler d’un esprit dans un antre, quand deux hommes sont en contact, comme l’eau coule, à travers un morceau de laine, d’une coupe pleine dans une coupe vide ! Si la pensée était de cette nature, ce serait à moi de m’estimer heureux d’être auprès de toi : je me remplirais, ce me semble, de cette bonne et abondante sagesse que tu possèdes » (Platon, Banquet).
Ce n’est pas la démarche que vous suivez vous-même ?
La rupture mise en œuvre, d’abord au café-philo de Poitiers, puis ensuite dans les divers débats philosophiques qui en ont suivis, a consisté à passer d’une telle conception hydraulique de l’enseignement : la philosophie POUR tous – conception passive de remplissage de l’apprentissage – à une conception incendiaire et maïeutique de l’enseignement et de l’apprentissage : la philosophie PAR tous. Non plus transmission de savoir du maître à l’élève mais co-construction, par les élèves accompagnés de leur enseignant, de rationalité en utilisant le dialogue. Ce fût l’objet de l’article « Le tout débat » publié dans les Cahiers Pédagogiques [3] où je parlais de mon intention d’institutionnaliser la classe en communauté de recherche en utilisant le débat philosophique radical. C’est ce que je suis actuellement en train d’expérimenter.
Cette année avec mes 5 classes (2 TS et 3 TSTG), je tente de mettre en place un outil supplémentaire qui est un blog de classe et non pas de professeur. Dès le début de l’année j’ai proposé qu’un ou deux élèves se changent à chaque cours de prendre des notes pour les mettre en ligne sur le blog de leur classe. C’est ce que j’ai précisé dans le « A Propos » des Blogs : « Ce blog devrait permettre d’assurer le suivi des cours de philosophie de la classe et d’échanger sur les différents points abordés. Les élèves qui sont chargés du compte rendu de chaque cours devront le mettre en ligne avant le cours suivant. Vous pouvez aussi intervenir si vous le souhaitez sous forme d’articles et de commentaires. »
J’avais commencé voilà trois ans en mettant en place des listes de discussions de classes et des forums d’élèves. Mais, mis à part quelques bons moments, les élèves ne s’étaient pas appropriés les outils, du moins pas dans l’esprit que je souhaitais. Il faut dire que je ne leur demandais de prendre des notes que des débats et pas des cours. Cela est tombé rapidement en désuétude. Cette année, cela semble avoir pris.(Cf. http://ts1vh.unblog.fr/ ; http://ts4vh.unblog.fr/ ; http://stm1vh.unblog.fr/ ; http://stm2.unblog.fr/ ; http://stm1vh.unblog.fr/ )
Cette parole libérée des élèves, n’est-ce pas dangereux ?
Dangereux pour qui ou pour quoi ? J’ai l’étrange impression que tout est mis en place par l’éducation nationale pour que rien ne dépasse. Où peut-on y retrouver la parole des élèves à part dans les assemblées réglementaires (CA, CVL, conseil de classe…), c’est à dire chez leurs représentants, et dans des organes où elle est modérée a priori ? Pourtant notre mission, et en particulier celle des professeurs de philosophie, n’est-elle pas de tout mettre en oeuvre pour que les élèves s’approprient leur propre pensée et deviennent des agents libres du savoir : penser par soi-même avec les autres ? Et comment s’approprier sa propre pensée si ce n’est par la pratique ? Peut-on vraiment apprendre à philosopher si quelqu’un le fait à notre place et ne nous laisse pas le faire concrètement ? Je ne le pense pas. Pour moi ce que j’ai mis en place mérite vraiment le nom de blog « pédagogique » et « philosophique ». Les élèves ont appris que les paroles engagent celui qui les dit et ont des conséquences concrètes. On ne peut pas répéter sans réfléchir et soutenir n’importe quoi sans s’exposer à être critiqué ou réfuté. Ils ne sont plus passifs, et même s’ils demandent quelquefois à être gavés, en pratiquant l’écriture sur le blog de leur classe, ils s’émancipent activement.
Au contraire pour moi, ce qui est dangereux, c’est de ne pas arriver à mettre des mots sur les maux. S’ils n’arrivent pas à être exprimés par des mots, les maux se manifestent autrement, par la violence, par des incivilités, des dégradations ou des accidents et des maladies.
Que pensent vos élèves de leur blog ?
Dans la grande majorité ils trouvent que c’est une bonne idée. Ils trouvent que c’est un bon outil pour que tout le monde participe au cours en prenant des notes et en faisant un article, mais aussi parce que c’est une bonne manière d’approfondir son cours et, quand ils sont absents, de savoir ce qui a été fait. Ils pensent donc que le blog est une sorte de cahier de texte fait par les élèves. La consigne du début de l’année visait à cela, mais certaines classes sont allés plus loin. Au lieu de faire une courte synthèse du cours, comme chaque prof fait dans le cahier de texte réglementaire, les élèves préfèrent proposer leur cours, c’est-à-dire les notes rédigées qu’ils ont prises de mon cours. Et c’est vraiment très intéressant pour moi car cela montre que si on joue la carte de l’émancipation active, les élèves vont exprimer derechef leurs besoins et tenter de les satisfaire. Cela m’est aussi très précieux parce que ça me montre comment mon cours est reçu et comment mes élèves se l’approprient. Sans compter que les hiatus qu’il peut y avoir entre ce que je crois avoir fait et dit et ce qui est retranscrit sur le blog sont pour moi très instructifs pour m’améliorer. Comme chaque article peut être suivi par des commentaires, les élèves trouvent que le blog permet aussi de débattre ou de continuer les débats, de préciser certains points aussi. Ils trouvent enfin que le blog permet de se connaître entre élèves et d’améliorer les relations dans la classe.
Jean-François Chazerans
Les blogs :
[1] Voir www.chazerans.fr
[2] Le Café Pédagogique a mis à sa Une ( http://cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/l[…] ) le blog de Didier Molinier Apprendre la philosophie (http://apprendre-la-philosophie.blogspot.com )
[3] Avril 2005 N°432 – La philo en discussion ; Coordonné par Françoise Carraud et Michel Tozzi
