Par François Jarraud
L’enjeu de la réforme de l’audiovisuel est clair : ou bien l’État garantira au service public les moyens de son indépendance et de sa qualité, ou bien ce dernier s’étiolera et, à court terme, sera marginalisé ou privatisé.
Mais, tout se passe, aujourd’hui comme si cette question pouvait être isolée de celle des droits et obligations des chaînes privées. Or, sans une réflexion globale sur la fonction de la télévision dans notre société, sans une réinterrogation citoyenne de l’ensemble du fonctionnement de l’audiovisuel, les chaînes publiques seront amenées soit à basculer dans une télévision « officielle », politiquement et culturellement correcte, soit à singer les chaînes privées, mais avec moins de moyens.
La question est d’autant plus décisive que l’arrivée massive de nouveaux canaux de distribution, sur le Web ou sur nos téléphones, ne banalise pas la télévision, tout au contraire ! Face à l’afflux d’images qui se télescopent et nous assaillent de toutes parts, face à une consommation effrénée de clips de toutes sortes, les grandes chaînes de télévision restent, symboliquement et concrètement, les seules références communes. Quand YouTube met en ligne un million et demi de nouvelles vidéos chaque jour, quand des centaines de millions d’images fixes et animées circulent en permanence entre les particuliers, la télévision reste le seul média qui conçoit, organise et présente des « programmes ». On n’empêchera personne de diffuser et de consulter une multitude d’images par l’intermédiaire des téléphones ou des ordinateurs… Mais, c’est justement pour cela qu’il faut renforcer les chaînes de référence qui ont la responsabilité de présenter une vision du monde moins chaotique et plus saisissable. À côté du déferlement et de la surenchère d’images hypnotiques, nous avons besoin de chaînes qui ne misent pas systématiquement sur la sidération pour scotcher les téléspectateurs à l’écran. Nous avons besoin de chaînes qui suscitent la réflexion et introduisent à la culture.
C’est pourquoi, il est absolument nécessaire que l’ensemble des chaînes généralistes publiques et privées qui bénéficient d’une large diffusion soit soumis au même cahier des charges. Le droit d’émettre, d’entrer dans tous les foyers et dans les chambres des enfants (54% des élèves français ont la télévision dans leur chambre) ne peut se concevoir sans des devoirs…
Du point de vue éducatif, quelques décisions s’imposent.
– Comme l’ont fait déjà plusieurs pays, il faut interdire toute publicité, sur toutes les chaînes et à toutes les heures, dix minutes avant et dix minutes après toutes les émissions à destination du jeune public. Exactement le contraire de ce qui se passe aujourd’hui quand on supprime systématiquement les génériques de fin et qu’on utilise les mêmes codes graphiques pour les dessins animés et la publicité qui leur succède.
– On doit également imposer à toutes les chaînes qui diffusent des journaux télévisés et des magazines d’information à destination des adultes de présenter des émissions de décryptage de l’information à destination du jeune public : c’et bien le moins que nous puissions faire pour cesser de nous gargariser avec « la formation à la citoyenneté » sans accompagner les enfants et les adolescents dans leur entrée dans le monde.
– Plus globalement, les émissions pour la jeunesse devraient toujours faire l’objet d’appels d’offres transparents avec, chaque fois, un cahier des charges précis et l’obligation, pour chaque chaîne, de mettre en place un comité consultatif, composé de parents, d’experts et de jeunes, chargé de transmettre un avis circonstancié sur toutes les propositions.
– Afin de lutter efficacement contre l’incompétence notoire des petits Français en matière de langues étrangères et d’améliorer leurs capacités de lecture et d’écriture, toutes les chaînes, sans exception, devraient être contraintes de diffuser les émissions, feuilletons et films étrangers en version originale sous-titrée… et cela même aux heures de grande écoute.
– Pour compléter la signalétique qui existe aujourd’hui et déconseille certaines émissions aux enfants de moins de dix, douze ou seize ans, toutes les chaînes devraient être astreintes, sur chaque émission qu’elles signalent, à ouvrir un forum Internet avec des conseils aux parents et la possibilité d’un dialogue régulé avec tous les téléspectateurs. Systématiquement, les chaînes devraient rappeler aux familles la règle d’or du bon usage de la télévision pour les enfants : « Choisir avant. Regarder avec. Parler après. »
Bien d’autres choses seraient nécessaires, en particulier en termes d’information citoyenne, d’ouverture à la création artistique et culturelle, de retours systématiques sur des émissions avec des analyses et des débats ouverts à tous, etc. Bien d’autres choses qui pourraient permettre de donner à la France la fierté de sa télévision et de stimuler l’émulation de l’intelligence au lieu de la laisser s’enfermer dans une oscillation mortifère entre le crétinisme et l’élitisme.
Philippe Meirieu
Professeur à l’université LUMIERE-Lyon 2
Directeur de la chaîne de télévision pour l’éducation CAP CANAL
Avec le soutien de la FCPE, la PEEP, LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT, les CEMEA, EDUCATION & DEVENIR et le SGEN-CFDT
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