« Notre
échelle des valeurs ne sert pas à monter, mais
à grandir ». La thématique
de l’affiche de rentrée du SNUipp a
inspiré la présentation d’Yvanne Chenouf
: « pour moi,
l’Ecole doit assurer la promotion de tous, plutôt
que d’assurer la méritocratie individuelle
».
« On est
juché sur les épaules de ceux qui ont construit
le savoir avant nous ». Grandir ne peut
être que le bien commun, une route vers l’émancipation.
Pour cela, «
sucer des fables » avec le lait de
l’enfance, mettre en avant la littérature dans
l’enseignement, c’est aider à construire
une conscience collective, une tradition littéraire, mais
aussi des identifications sociales multiples.
Mais faute de
référence,
l’élève ne peut y lire qu’une
simple « histoire », autonome des textes qui, ayant
été écrit avant lui, en constitue la
référence, le substrat, que chaque auteur
réinterprète, réinterroge,
ré-écrit avec sa propre culture. Si on ne
s’intéresse, à l’Ecole,
qu’à l’histoire, on risque de passer
à côté
d’interprétations, de subjectivations, de
capacité des élèves à
apprendre à comprendre «l’esprit
des autres », comme dit Bruner, à
partir du fond commun des mythes et des récits. Lire avec la
littérature, c’est comprendre comment ces
histoires parlent de moi, de mon histoire singulière,
portent un message dissimulé, parfois même de son
propre auteur.
Mais Yvanne Chenouf veut aussi
aider les plus pauvres à se donner du pouvoir pour contrer
la « courroie
de transmission des valeurs de la IIIe république qui veut
faire croire aux enfants que la société les rend
tous égaux ». Elle veut donc appeler
à la « vigilance » contre certains
usages faits des livres.
Lorsque Yacouba va combattre contre
le lion malade, et qu’il découvre qu’il
ne peut le tuer sans renier ses valeurs de guerrier, il sait
qu’il se condamne à être déclassé
à la fonction de berger. Rascal installe clairement ses
personnages dans des fonctions sociales
identifiées. Yvanne Chenouf postule donc que les
activités de classe peuvent laisser trop souvent les
élèves des classes populaires entre la tentation
de la docilité
et l’aspiration à l’émancipation.
« Il faut ne
pas renoncer à la lutte contre les difficultés de
la vie » explique Y. Chenouf. « La
littérature autorise des transgressions, mais borne aussi
les transformations acceptables par la société.
La « culture commune » n’est-elle pas un
terme mystificateur : elle laisse croire que la culture dominante
pourrait s’imposer aux dominés en leur laissant
croire qu’elle est seule. Quel genre de lion faut-il que nos
élèves deviennent pour faire leur place dans
l’univers sauvage de la guerre économique
mondialisée ?… »
Pour elle, les livres sont
des espaces contraints, dans lesquels l’auteur place un point
de vue. « Lire,
c’est apprendre à discuter les limites du point de
vue de l’auteur pour apprendre à rogner la page,
avec du travail et des efforts, pour apprendre à voir la
couleur derrière le blanc et noir des pages… A quoi bon apprendre à
lire si ce n’est pas pour apprendre à faire
tourner le monde autrement ? »
