Par François Jarraud
Les enseignants recrutés avec un master en 2010. « Le ministre aurait intérêt à voir « Entre les murs ». Il apprendrait que le métier ce n’est pas juste transmettre des connaissances. C’est aussi savoir gérer la diversité des personnes. Et ça nécessite du professionnalisme ». Pour Jean-Louis Auduc, directeur adjoint de l’IUFM de Créteil, le projet de réforme de la formation des enseignants envisagé par Xavier Darcos est une erreur.
C’est Le Monde qui a rendu public le 28 mai cette nouvelle réforme. Selon le quotidien, les enseignants seraient recrutés dès 2010 au niveau du master, le concours étant maintenu mais réservé aux titulaires du master 2 (bac +5). Selon Luc Cédelle, « les universités pourraient intégrer à leurs masters disciplinaires des modules de préparation à l’enseignement ». Au lendemain du concours, les candidats reçus seraient directement envoyés en classe à temps complet. La seconde année serait supprimée. Tout au plus le nouvel enseignant pourrait-il être suivi par un conseiller pédagogique.
Propos confirmés par le discours du président de la République du 2 juin 2008. N. Sarkozy souhaite que « l’enseignant de demain soit mieux formé, que la durée de ses études soit allongée d’un an »… Nous avons décidé avec Xavier DARCOS des différents concours : professeur des écoles, CAPES, agrégation soient intégrés au cursus universitaire et soient ouverts à tout titulaire ou futur titulaire d’un master II. En échange de cette année d’études supplémentaires, nous nous engageons à ce que les débuts de carrière soient revalorisés. Cela me paraît cohérent. On exige une année de plus pour devenir professeur et cette année de plus on la rémunère mieux. Les nouveaux concours, je vous l’annonce aujourd’hui, seront mis en place dès la session 2010 ».
Parallèlement le président évoque la question des affectations. « Trop souvent aujourd’hui l’éducation nationale ne parvient ni à satisfaire le souhait d’un professeur, ni à répondre aux besoins des élèves. Je ne dis pas que l’on ne fait rien pour résoudre la difficulté, je dis que l’on pourrait mieux faire. Je n’ai pas de solution miracle. Est-ce trop demander que d’essayer, dans la mesure du possible, de mieux écouter les attentes des uns et des autres et de placer la bonne personne au bon endroit ».
N. Sarkozy entend donc enterrer, sans le dire, et les IUFM et la formation professionnalisante des enseignants. Les nouveaux lauréats des concours seront envoyés directement dans les classes.
Pour Jean-Louis Auduc, consulté par le Café, ce projet pose la question de la professionnalisation du métier d’enseignant. « Ca veut dire que la philosophie selon laquelle il suffit d’avoir des connaissances pour être capable de les transmettre l’emporte. C’est un recul par rapport aux dix compétences définies par le HCE en 2006 ». Celles-ci caractérisaient l’enseignant comme un spécialiste de sa discipline mais aussi comme un pédagogue capable de gérer sa classe et de dialoguer avec son environnement.
Le Snuipp a déclaré « déplorer cette décision… Ce choix permet une amélioration financière des traitements, mais conduit à allonger la durée des parcours académiques, à supprimer une année de formation professionnelle rémunérée, et surtout à économiser environ 11 000 postes de stagiaires de professeurs d’école ». Au total ce sont près de 800 millions d’euros qui pourraient être économisés.
Pour le SNUipp « c’est l’existence d’une formation initiale professionnelle de qualité qui est essentielle ». Elle est clairement menacée. La mesure aboutirait d’ailleurs à pratiquement fermer les IUFM.
Consulté par le Café, André Giordan estime que « l’université en France n’a pas encore l’expérience et la culture pour préparer les enseignants… Ce n’est pas par des masters disciplinaires qu’on préparera valablement à ce métier . L’institution universitaire risque même de dégoûter nombre d’entre (les candidats profs) sans leur donner les outils et les ressources indispensables. Ce qui n’améliorera la qualité du système. De plus, on constate que plus la préparation est frustre, plus les jeunes maîtres quittent tôt l’enseignement, plus vite il faut les remplacer; d’où des investissements perdus ».
De son coté, Patrick Baranger, président de la conférence des directeurs d’IUFM, « il est inenvisageable que le projet français privilégie un mastère purement « académique », c’est-à-dire uniquement centré sur les savoirs disciplinaires, « qui ne permettent d’enseigner que dans quelques classes prestigieuses de lycée. Ce serait une catastrophe pour le système éducatif. On risquerait de plonger dans le grand bain de la classe des gens qui ne savent pas nager, en priant pour qu’ils apprennent ».
Article du Monde
http://www.lemonde.fr/politique/article/2008/05/28/le-[…]
Discours de Sarkozy
http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=[…]
Sur le Café, les articles d’A. Giordan et P. Baranger.
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/[…]
Communiqué Snuipp
http://www.snuipp.fr/spip.php?article5606
Sur le Café, les 10 compétences
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/200[…]
Analyse : Une formation sacrifiée
Le plan de formation des enseignants dévoilé par Le Monde, s’il s’avérait confirmé, serait un mauvais coup porté à l’Ecole et particulièrement à l’enseignement des couches populaires.
Il faut d’abord marquer qu’il isolerait encore davantage la France en Europe. La formation strictement professionnelle (non disciplinaire) occupe généralement chez nos voisins environ la moitié du temps de formation. C’est le cas par exemple en Finlande (50%). La France se singularise déjà avec la formation professionnelle la plus faible d’Europe (13%). Sa quasi-suppression au profit d’un allongement de la formation universitaire achèverait de nous singulariser. C’est dire que la remise en question de cette formation professionnelle ne se pose qu’en France. Partout ailleurs on cherche à professionnaliser davantage la formation et à ne pas la séparer de la formation théorique.
Ce mouvement général ne résulte pas du hasard. Il est lié à la démocratisation scolaire et à l’arrivée dans les établissements d’élèves éloignés de la culture scolaire traditionnelle. C’est parce que l’Ecole s’adresse à tous qu’elle a besoin de maîtres capables de se faire comprendre d’enfants très différents des bons élèves d’autrefois, des enseignants d’aujourd’hui.
L’arrivée dans les établissements populaires des nouveaux maîtres frais émoulus des universités mais désarmés face aux difficultés du métier en zep, ne pourra que créer des difficultés supplémentaires à ces établissements. La faiblesse de la formation des enseignants se retournera davantage contre les enfants des quartiers populaires que contre ceux des familles favorisées, mieux adaptés à l’Ecole et scolarisés dans des établissements à faible turn over.
Réactionnaire sur le terrain pédagogique, la réforme projetée de la formation des maîtres serait aussi l’enterrement du droit à l’éducation pour tous.
La formation des maîtres en Europe
http://www.eurydice.org/portal/page/portal/Eurydice/ByTo[…]
Une synthèse de l’INRP
http://www.inrp.fr/vst/LettreVST/decembre2005.htm
Sur le Café,le métier d’enseignant
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/91_Me[…]
Sur le Café, dossier sur la formation des enseignants
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/[…]
L’analyse de Nathalie Mons
« Il faut encore que le gouvernement démontre que cette nouvelle organisation puisse améliorer la situation à terme pour les élèves ». Nathalie Mons, spécialiste des comparaisons internationales des politiques éducatives, analyse pour le Café la formation des enseignants dans les pays européens.
Relevant la « très faible part d’enseignement consacrée à la formation professionnelle » en France par rapport à nos voisins, elle interroge les perspectives offertes par la réforme annoncée. » L’enjeu sera demain dans le contenu des concours. C’est le contenu des épreuves – plutôt axé sur le disciplinaire ou incluant réellement des compétences pédagogiques – qui déterminera le contenu des enseignements de ces nouvelles formations. Si les concours exigent une formation pédagogique, les Master devront être ajustés dans ce sens-là. C’est donc sur ce point qu’il faudra être vigilant ».
Sur le Café, l’article de N. Mons
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2008/F[…]
Sur le Café, le dossier sur la formation des enseignants
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/R[…]
Le compagnonnage ne suffit pas, dit JL Auduc
Le compagnonnage suffit-il à former un enseignant ? Jean-Louis Auduc expose les risques d’une formation réduite uniquement en établissement. « Il faut permettre au futur enseignant de se construire une identité professionnelle qui s’appuie sur des savoirs, des savoir-faire, et des gestes professionnels ».
Sur le Café, lire la tribune de JL Auduc
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/20[…]
Le dossier du Café sur la masterisation
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/P[…]
« Une catastrophe annoncée et confirmée » affirme Pierre Frackowiak
« Les nouveaux vieux programmes, la réduction du temps scolaire et la mise en place du soutien et des stages de remise à niveau pendant les vacances, la réduction drastique de la formation continue des enseignants du premier degré, la disparition annoncée de la formation professionnelle et des IUFM, le projet d’agence de remplacement avec des personnels non fonctionnaires, tout va dans le même sens de manière très cohérente ». Pour Pierre Frackowiak, avec la réforme de la formation des enseignants, la droite achève un programme cohérent de destruction de l’éducation nationale.
Sur le Café, tribune de P. Frackowiak
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/20[…]
Une réforme efficace ?
« Il ne faut tout de même pas oublier qu’une réforme ne peut-être efficace que si elle a est discutée avec les intéressés. Peut-on espérer que cela se fasse au moins dans le secret des bureaux! » Jacques Nimier réfléchit sur les propos du président de la République à propos de l’Ecole.
« Pour la réforme des lycées, la diminution des heures de cours « ex cathédra », l’augmentation du travail de groupe et individualisé, le travail sur projet, l’apparition, peut être, de « profil individuel, de formation » par des choix de modules permettant des orientations plus faciles, l’autonomie plus grande des lycéens » éceit J Nimier. » tout cela me paraît aller dans la bonne direction (le lycée Finlandais semble en être le modèle ); Cela va demander une évolution considérable des enseignants, non seulement des nouveaux mais également de ceux en poste or on ne voit, pour l’instant, aucune annonce sur la façon dont ils seront aidés:
Sur Pedagopsy
Le CRAP contre la masterisation
« Alors que le gouvernement met en chantier une réforme ambitieuse, voire audacieuse du lycée, voudrait-il sérieusement revenir 30 ans en arrière sur la question de la formation des enseignants ? Comment peut-on penser améliorer l’accompagnement des lycéens dans des travaux autonomes, leur apporter une aide individualisée de qualité, les faire travailler en groupe et en pratiquant l’interdisciplinarité, si les enseignants chargés de si difficiles missions n’ont que le recours à l’expérience sur le tas ou à la seule accumulation de connaissances disciplinaires ? » Le Crap souligne l’incohérence ministérielle sur cette question et demande une réelle formation professionnelle.
Une position assez proche a été prise par le syndicat des inspecteurs SNPI-FSU. « Mais si l’on croit qu’enseigner se réduit à transmettre un savoir érudit en s’appuyant sur un charisme naturel, alors, effectivement, le schéma proposé suffit. Malheureusement, la réalité a montré depuis le XVIIIe siècle que ce modèle se heurte irrémédiablement à un problème qu’il ne parvient jamais à résoudre : comment fait-on pour que les enfants qui n’apprennent pas en se contentant d’écouter, de copier et de mémoriser puissent acquérir la culture scolaire indispensable pour faire d’eux des citoyens autonomes et responsables ? »
Le CRAP
http://www.cahiers-pedagogiques.com/
Le Snpi Fsu
http://syndicat.snpi-fsu.org/index.php?option=c[…]
Sur le Café , le dossier sur la formation des enseignants
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/Refor[…]
Le CDIUFM pose la question des concours
» Il n’y a donc plus lieu d’opposer les IUFM aux universités » estime la conférence des directeurs d’IUFM (CDIUFM). Saluant positivement la masterisation, le Cdiufm demande que soient maintenues formation académique et professionnelle dans un cursus « cohérent ».
Le Cdiufm se dit prêt à contribuer à la définition des épreuves des concours. « Si ceux-ci n’intégraient pas une part significative d’évaluation des compétences professionnelles des candidats, ces derniers résisteraient difficilement à la tentation du bachotage d’épreuves à caractère seulement académique. Personne ne remet en cause la nécessité d’épreuves à caractère académique permettant de vérifier que les futurs enseignants maîtrisent pleinement les savoirs qu’ils auront à enseigner. Les épreuves à caractère professionnel ne sont pas moins nécessaires. Enseigner requiert des aptitudes à la communication, à la relation, à l’organisation,… un sens de l’autorité qui doivent être vérifiés ».
Le document reprend donc la position de Patrick Baranger, président de la CDIUFM, présentée dans Libération du 3 juin et précédemment dans le Café.
Communiqué
http://www.iufm.fr/applis/actualites/article.php3[…]
P. Baranger dans Libé
http://www.liberation.fr/actualite/societe/329562.FR.php
P. Baranger sur le Café
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2008/[…]
Le Sgen fait des propositions
« Dérouté » : c’est ce que ressent le Sgen à la lecture des propos présidentiels sur la formation des enseignants. Si le Sgen juge les propositions sur le lycée « une base de discussion », ce n’est pas le cas des annonces sur la formation des enseignants. Le syndicat dénonce « le procès en sorcellerie des IUFM, inutile et méprisant pour les personnels. »
Le Sgen demande une évaluation qui soit » le reflet du travail en équipe des personnels et collective… Pour le Sgen-CFDT, enseigner est un métier qui s’apprend. Et c’est une formation professionnelle des futurs enseignants associant les dimensions disciplinaire et pédagogique qui doit conduire à une formation de niveau master ».
Communiqué
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article1692.html
Le Snes, le Snep et le Snuep pour la masterisation
« L’élévation du niveau de recrutement des enseignants est une nécessité au regard des évolutions des connaissances et des métiers de l’enseignement » estiment les trois syndicats Snes, Snep et Snuep de la Fsu. Ils en espèrent « une revalorisation sociale et salariale des personnels d’enseignement et d’éducation ».
Pour eux « la formation est un processus long qui doit être validé par un master liant connaissances scientifiques et professionnelles, avec un ancrage disciplinaire fort et s’appuyant sur la recherche. La formation disciplinaire actuelle doit s’enrichir de modules d’épistémologie, d’histoire de la discipline, de didactique… pour mieux répondre aux défis de la réussite de tous ».
Ces trois syndicats FSU prennent une position divergente par rapport à celle du Snuipp, le syndicat du primaire Fsu, qui a » déploré cette décision ». Pour le Snuipp « c’est l’existence d’une formation initiale professionnelle de qualité qui est essentielle ». Ils s’opposent aussi au Sgen et au se-Unsa qui dénoncent la réduction de la formation professionnelle.
Communiqué Snes
http://www.snes.edu/snesactu/spip.php?article3060
Sur le Café, la masterisation
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/05/[…]
Sur le Café, l’avis du Se-Unsa et du Sgen
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/[…]
Le Se-Unsa condamne la masterisation des nouveaux enseignants, le Sgen inquiet
» Ce projet ne propose qu’une formation des enseignants in vitro, déconnectée des réalités sociales et de la diversité des situations scolaires. Cela constituerait une régression dramatique en réussissant le tour de force d’amoindrir la professionnalisation de la formation des maîtres, alors même que toutes les études, toutes les évaluations de l’Ecole militent en sens inverse ». Après le Snuipp, le Se-Unsa condamne sans ambiguïté le projet ministériel de formation des enseignants tel qu’il a été dévoilé par Le Monde.
Et le Se-Unsa ne manque pas d’arguments. Il montre que le projet signifierait la « liquidation de la formation professionnelle: ce n’est pas par un cursus de master disciplinaire que l’on préparera les futurs enseignants à leur métier. Et cela d’autant que le statut d’étudiant interdira tout stage en responsabilité de classe durant le parcours de master ». Il aboutirait également à renoncer à » la mixité sociale dans le recrutement des enseignants : l’exigence du master, combinée à la fin de la rémunération des stagiaires, écartera encore plus les étudiants d’origine modeste ». Tout cela pour récupérer 24 000 postes et les salaires afférents. Le syndicat réclame « l’ouverture de réelles discussions, mettant au cœur de la réflexion la réussite des élèves et la nécessité d’y préparer professionnellement les enseignants ».
Le Sgen-Cfdt a une position moins tranchée que les organisations du primaire. » S’il n’est pas opposé à une « masterisation » des enseignants, le Sgen-CFDT ne pourrait accepter qu’une telle évolution entraîne une dégradation des conditions de formation des futurs professeurs et une remise en cause de la place et du rôle des IUFM. La formation ne saurait se réduire à un compagnonnage par des enseignants expérimentés. Le Sgen-CFDT estime qu’enseigner est un métier qui s’apprend ». Et il demande, lui aussi, des discussions.
Communiqué Se-Unsa
http://www.se-unsa.org/presse/comm/page.php?id=080529
La position du Sgen
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article1687.html
Sur le Café, la masterisation
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2008/05/29052[…]