L’expérimentation du PGI TinyERP par le Réseau CERTA
L’introduction des références liées aux progiciels de gestion intégrés (PGI) et le développement de leur utilisation dans nos enseignements, a conduit le réseau Certa à explorer les apports didactiques de ces outils et examiner les conditions pédagogiques de leur mise en œuvre. Cet article présente les premiers retours de ces travaux.
Les apports des PGI(1) dans les enseignements d’Économie-gestion
Au moment de s’investir dans l’étude des PGI, la question de leur rôle dans les entreprises et de leur place au sein de nos enseignements vient en premier.
L’attention portée aux relations entre techniques et organisations n’est pas nouvelle en Économie-gestion(2), elle s’est traduite, notamment, par le développement du champ MIS (Management Information Systems – Gestion des systèmes d’information) comme composante à part entière des Sciences de gestion. Par ailleurs, le courant de l’approche processus de l’entreprise, centrée sur l’évaluation et l’amélioration de sa performance, et non plus sur celles de ses différents métiers, aura fortement contribué à la structuration de ce champ.
Les systèmes d’information contribuent à l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des processus métiers(3).
Du point de vue managérial on peut porter deux regards sur les PGI : ce sont des outils pour gérer certes, mais ce sont également des outils à gérer dans le sens où ils sont objet de la gestion. Outre les bénéfices fonctionnels que l’on peut en attendre, les PGI ont un tel impact sur l’organisation qu’il est toujours impératif d’anticiper puis d’accompagner les changements qu’ils induisent.
Le recours à un PGI interroge toujours l’organisation sur ses processus, sur ses méthodes, sur son efficacité, son efficience. A l’inverse, si ces outils sont souvent perçus comme structurants vis-à-vis de l’organisation, ils ne doivent pas conduire à uniformiser ou à rigidifier, les choix managériaux sont premiers, on attend des PGI qu’ils accompagnent la stratégie de l’organisation.
Ces quelques questions initiales mettent aussitôt en évidence le formidable potentiel didactique que recèlent les PGI. En tant qu’outils pour gérer, ils permettent de mettre en œuvre les notions de gestion qui s’appliquent aux différentes fonctions de l’entreprise et correspondent aux spécialités de nos enseignements : commerciale, comptable, gestion des ressources humaines et systèmes d’informations. En tant qu’outils à gérer ils permettent de mettre en évidence le rôle du système d’information en tant que support commun aux différents métiers de l’entreprise, ceci y compris dans la dimension managériale et gestion de projet.
Vous avez dit intégration ?
Le mot intégration fait la spécificité des PGI par rapport aux progiciels dits verticaux. Tous les « métiers » de l’entreprise interagissent, échangent des informations, pour assurer les services au client, à l’usager. Le PGI est adapté à cette vision transversale. Il accompagne les processus de gestion en proposant aux acteurs un ensemble coordonné de modules applicatifs, capables à la fois de prendre en charge un domaine de gestion et de renseigner les domaines connexes en alimentant une base de données commune à l’ensemble de l’organisation.
En d’autres termes « l’apport d’un PGI est toujours supérieur à la somme des apports de chacun des modules qui le composent »(4).
Du point de vue didactique cette capacité d’intégration permet de proposer aux élèves une vision concrète globale du fonctionnement d’une organisation au travers de son système d’information. On note également que cette intégration peut favoriser une approche transversale de nos enseignements.
Choisir un PGI
Pour les entreprises le choix d’un PGI est une décision complexe qui fait souvent l’objet d’un projet de management orienté SI, dans toutes ses dimensions. Dans le cas de l’enseignement, la problématique du choix d’un PGI est différente. Si les solutions opérationnelles disponibles sur le marché sont abondantes, en particulier sur le créneau des grandes entreprises, peu d’entre elles, jusqu’ici, se sont révélées adaptées au contexte particulier de l’enseignement technologique ou professionnel, pour lequel les questions de formation, de déploiement et d’expérimentation pédagogique sont premières. Pour l’instant quelques offres seulement sont référencées ou en cours de référencement(5).
Pour les enseignants, différentes préoccupations, parfois contradictoires, entrent en ligne de compte pour le choix d’un logiciel : Est-il recommandé au plan pédagogique ? Quel budget faut-il prévoir et comment l’obtenir ? Des formations sont-elles proposées ? Existe-il des ressources pédagogiques et des jeux d’essai ? Le logiciel est-il présent sur le marché professionnel ? Est-il facile à installer dans les classes ?
Pouvoir expérimenter sur un cas concret les différents rôles des acteurs, analyser globalement l’information disponible, agir sur le déroulement des processus en paramétrant un workflow, suivre les activités d’une entreprise virtuelle ; telles sont les approches pédagogiques que l’on peut attendre d’un PGI utilisé comme moyen pour observer, expérimenter puis analyser la réalité du fonctionnement d’une organisation qui est, par nature, toujours difficile à appréhender.
Le réseau CERTA a fait le choix de TinyERP parce que cet outil, accessible et ouvert, permet d’aborder les concepts forts des PGI : l’intégration, la modularité, la flexibilité. Les métiers de l’informatique de gestion entrant dans le domaine de compétence du réseau CERTA, il était aussi important de disposer d’un outil susceptible de mobiliser des connaissances dans ses domaines spécifiques : SGBD, architecture technique et applicative, programmation.
Ce choix n’est évidemment pas exclusif tant les besoins et les attentes sont importants. Ainsi, deux collègues du réseau travaillent dès à présent avec la solution CEGID. D’autres PGI sont à l’étude, l’évolution récente de l’offre SAP (6) pour les petites structures ne devra pas non plus être négligée. Encore une fois, c’est bien le potentiel pédagogique de l’outil et la facilité avec laquelle il peut être mis en œuvre dans les classes qui importe.
L’expérimentation du réseau CERTA
De nombreux travaux ont été engagés depuis début 2007.
Marie-Pascale Delamare, professeure au lycée Carcouët de Nantes, a été la première à s’investir sur TinyERP dans le cadre de son cours de Gestion des Entreprises et Organisation des Systèmes d’Information en BTS Informatique de gestion. Ayant eu l’occasion de mettre en place réellement TinyERP pour répondre au besoin de gestion d’un artisan, elle a pu progressivement et à petite échelle, expérimenter le potentiel d’un PGI, notamment dans les domaines de la gestion commerciale et de la gestion de production. Un développement spécifique eut été beaucoup plus complexe et long, il aurait en outre placé l’entreprise dans une situation de dépendance totale pour faire évoluer son système d’information.
Cette expérience a fait l’objet d’une première publication du réseau CERTA (7) dont le but premier est de fournir un ensemble de ressources opérationnelles permettant à chacun de se faire une idée concrète de ce qu’est un PGI et d’en mesurer le potentiel didactique, y compris dans sa classe.
Un peu plus tard, à l’initiative de Karine Creyx, professeure au lycée Gustave Flaubert de Rouen, cette étude a été reprise pour bâtir un contexte dans le cadre de l’enseignement de Gestion des Systèmes d’Information en classe terminale STG-GSI. Il s’agissait d’une expérimentation, sur une durée de 6 semaines, qui consistait, selon les indications du programme, à évaluer la possibilité du recourir à un PGI pour illustrer la notion de système d’information. Ce contexte propose aux élèves une autre approche que le seul développement d’applications spécifiques. Là aussi, cette expérience a fait l’objet d’une publication qui permet à chaque enseignant d’exploiter cette réalisation avec ses élèves (8).
L’utilisation d’un tel contexte a permis d’aborder de nombreuses notions du programme : approche des processus organisationnels, évolution du système d’information, les parties prenantes du système d’information, la gestion des données, l’architecture des applications et la formalisation des besoins. Les limites à l’utilisation de TinyERP en Terminale GSI portent sur l’aspect programmation : le langage Python, utilisé pour le développement de TinyERP, n’est actuellement pas préconisé pour l’enseignement de GSI.
Le partenariat mis en place avec la société Tiny a permis au réseau CERTA d’entrer en contact avec quelques sociétés de services qui proposent aujourd’hui des solutions basées sur TinyERP. Rozenn Dagorn, professeure au lycée Turgot de Paris, explore cette piste en repérant des projets réels pouvant faire l’objet d’exploitations pédagogiques. L’interfaçage de TinyERP avec d’autres outils comme des applications de ventes en ligne ou de gestion de la relation client sont aussi explorés au lycée Turgot.
Parallèlement à ces expérimentations pédagogiques, Pierre Loisel, professeur au lycée Paul Claudel de Laon, étudie l’architecture applicative de TinyERP et examine sa capacité à servir d’environnement de développement d’applications de gestion en BTS Informatique de gestion dans la spécialité Développeur d’applications. TinyERP est jugé bien conçu, son architecture est solide et de bonne qualité. Les difficultés portent principalement sur la disponibilité de la documentation technique permettant de développer de nouveaux modules de gestion, ou d’adapter des modules existants. Il est vrai qu’on touche là au marché des nombreuses sociétés qui proposent leurs services autour de TinyERP.
Le déploiement d’un PGI dans les salles de classes peut se révéler problématique sans soutien technique. Christian Draux, professeur au lycée Pierre de Coubertin de Meaux, s’y est attelé. Tiny ERP illustre bien les caractéristiques des solutions logicielles issues du libre : pas de problèmes de financement ou de licences, mais des difficultés d’accès à la documentation et une traduction française encore imparfaite. TinyERP s’appuie sur une architecture technique client serveur n-tiers : application cliente, application serveur, SGBD. Un logiciel d’interfaçage web (eTiny) permet d’accéder au serveur TinyERP via un simple navigateur. Il va sans dire que ces configurations restent délicates, le réseau CERTA à la production d’une documentation adaptée pour les professeurs utilisateurs.
A l’instar du « serveur GSI » mis au point en collaboration avec l’équipe Freeduc-Sup, il est prévu de proposer le plus rapidement possible une machine virtuelle, basée sur le logiciel open source VirtualBox. Cette machine virtuelle permettra de démarrer instantanément un serveur TinyERP opérationnel comportant les jeux d’essais déjà développés par l’équipe du réseau CERTA. Olivier Korn, professeur au lycée René Cassin de Strasbourg, développe cette solution qui ne devrait pas solliciter de connaissances techniques de la part des utilisateurs.
Quelles perspectives ?
Il est certainement trop tôt pour conclure sur une expérimentation qui a été engagée durant la présente année scolaire : encore bien des projets sont en cours. Marie-Pascale Delamare, par exemple, a déjà développé son étude pour permettre à ses étudiants de paramétrer le progiciel afin que celui-ci intègre les règles de gestion de l’organisation. Son travail sera publié très prochainement.
Ceci renvoie à une question essentielle : qui de l’entreprise ou du PGI doit aller vers l’autre ? La réponse se trouve sans doute à mi-chemin : l’entreprise voit immanquablement ses processus être impactés par la mise en œuvre d’un PGI ; à l’inverse, l’outil doit être capable de répondre à des besoins de gestion précis qui nécessitent une configuration, voire des développements spécifiques. Voilà de quoi rassurer ceux qui voient dans les PGI la fin annoncée des développeurs d’applications !
Dans l’enseignement technologique, et c’est son principal intérêt didactique, le PGI fournit une représentation modélisée de l’approche des processus de l’organisation en permettant par exemple la visualisation effective d’un workflow. La mise en œuvre de l’outil, dans un environnement simulé, à partir de données réelles et sur la base de scénarios destinés à résoudre des problèmes de gestion, ouvre des perspectives d’une grande richesse pédagogique pour chacune des spécialités de l’Économie-gestion, notamment la spécialité GSI (gestion des systèmes d’information).
L’adaptation de l’offre PGI à la cible des PME/PMI crée l’opportunité de leur intégration dans l’enseignement technologique et professionnel. Dans son rôle de centre de ressources, le Réseau CERTA cherche à aider les enseignants à choisir les solutions conformes à leurs attentes (dans le logiciel libre ou propriétaire), à disposer de jeux d’essais opérationnels, à maîtriser les différentes options de paramétrage, bref, à tirer le meilleur parti des apports didactiques de ces logiciels.
(1) Progiciels de gestion intégrés ou Enterprise Resource Planning (ERP)
(2) J.L. Peaucelle, La malléabilité organisationnelle des TIC, Revue française de gestion, vol. 33, n°172, mars 2007
(3) Voir par exemple, V. Michaux, Performance des processus de coordination à distance : une approche exploratoire, Système d’information et management, n°3, vol. 10, 2005
(4) ERP et progiciels de gestion intégrés, Jean-Louis Thomas, Dunod
(5) Sont référencés TinyERP, progiciel issu de l’open-source et Business Line de Cegid (RIP 2007), d’autres solutions sont actuellement en évaluation.
(6) Systems applications and products, SAP est le 1er fournisseur mondial de logiciels inter-entreprises et propose une solution Business One destinée aux PME/PMI
(7) Exploitation pédagogique d’un PGI en BTS IG : http://www.reseaucerta.org/didactique/pub.php?num=437
(8) Exploitation pédagogique d’un PGI en classe de terminale Gestion des systèmes d’information
http://www.reseaucerta.org/didactique/pub.php?num=439
Eric Deschaintre avec l’équipe PGI du réseau CERTA : Marie-Pascale Delamare, Karine Creyx, Rozen Dagorn, Christian Draux, Pierre Loisel, Olivier Korn.
Merci à Alain Séré, IGEN, pour sa contribution.