Périgueux
A ceux qui avaient trouvé de l’intérêt à la « Lettre aux éducateurs », le discours de Nicolas Sarkozy à Périgueux, le 15 février, a dû faire l’effet d’une douche froide. Annonçant clairement que « l’accent est mis sur la mémorisation de connaissances et de compétences clairement identifiées, dont on pourra facilement vérifier l’acquisition », le discours du président de la République affirmait un recentrage sur les fondamentaux, la transmission de connaissances et l’autorité. Il allait même jusqu’à la menace envers des corps intermédiaires (« sans méconnaître la grande valeur professionnelle des inspecteurs de l’enseignement primaire et des directeurs d’écoles, il faut s’interroger, même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde, sur le pilotage de l’enseignement primaire »).
Cinq jours plus tard, il revenait à Xavier Darcos de transformer en instructions le discours présidentiel. Affirmant « une véritable révolution culturelle », le ministre proclamait le retour à l’instruction : » l’enseignement de la grammaire, du vocabulaire et de l’orthographe est désormais abordé de manière explicite ». Quelques jours plus tard il s’exprimait en des termes que Gilles de Robien n’aurait pas désavoués. « Il s’agit d’en finir avec 30 ans de pédagogisme qui a laissé croire qu’on pouvait apprendre en s’amusant ». Il n’aura fallu que neuf mois et un discours présidentiel pour que Xavier Darcos, qui s’était présenté comme l’homme de l’équilibre, de la réunion, de la modération et de la liberté pédagogique, que l’on créditait d’une connaissance et d’un amour réels de l’Ecole, se proclame héraut de l’anti-pédagogisme.
Les nouveaux programmes du primaire sont la matérialisation et l’emblème de ce changement de cap. Inspirés par la volonté d’un retour à l’Ecole mythifiée de la IIIème République, ils se veulent ouvertement rétrogrades, allant jusqu’à ressusciter l’instruction civique et morale, défunte depuis plus de 50 ans. Au grand mythe de l’Ecole émancipatrice et épanouissante succède le fantasme d’une Ecole qui épouserait les repères d’un monde disparu, d’une société où l’autorité est révérée, de connaissances stables, immuables et acquises à jamais, garantes d’une position sociale inébranlable.
Inutile de dire que cette Ecole là est sans rapport avec le monde réel. La vraie science repose davantage sur le doute que sur la certitude. Le vrai savoir est à recycler en permanence. La vraie autorité s’appelle aujourd’hui capacité à animer une équipe. Le monde a des repères fluctuants au point d’être passé en vingt ans seulement de la bipolarité à la multipolarité. Plus que jamais l’Ecole a la mission de préparer les élèves à l’autoformation,au doute, à l’adaptation, au sociétal.
Inutile de dire aussi que ces programmes sont en contradiction avec la loi Fillon, qui met l’accent sur les compétences, et par exemple le développement de l’autonomie.
Consultation véritable ou pas, adaptation ou non du texte des programmes, il n’y a aucun doute que les enseignants du primaire, ceux du secondaire bientôt, maintiennent leurs objectifs et leurs pratiques en accord avec l’univers dans lequel baignent leurs élèves et le monde entier, et associent comme avant instruction et éducation, repères et compétences. Aucun doute que les corps intermédiaires, conscients des missions de l’Ecole, ne les y encouragent. Aucun doute que la recherche en sciences de l’éducation ne vienne régulièrement fracasser les tabous et les miroirs aux alouettes idéologiques. Aucun doute que la société et les entreprises sachent faire entendre leurs besoins. Aucun doute aussi que les pouvoirs locaux prennent de plus en plus de place et apportent mille et une touches au tableau officiel. Et il n’est pas exclu que toutes ces voix puissent dominer les sirènes du passé dès maintenant.
François Jarraud