Par Blandine Raoul-Réa
En quelques 140 pages, Daniel Moatti interroge le rapport entre la société de communication et le droit.
Note de lecture…
Ce ‘petit livre’ a sa place dans nos centres de documentation et d’information. En quelques 140 pages, Daniel Moatti – chercheur au Laboratoire d’Anthropologie, Mémoire, Identité et Cognition sociale – Université d’e Nice-E.A 3179- interroge le rapport entre la société de communication et le droit. On ne le sait que trop, on nous effraie parfois, on reste souvent imprécis -sinon inconscient-… la communication n’est pas seulement régie par la technique, la psychologie, la sociologie… il nous faut compter avec le droit ! Cet ouvrage, qui donne des références précises, aborde donc la question à travers quatre domaines
* Une partie historique (de l’écrivain à l’auteur)
* Des droits d’auteur bien établis
* L’impact technologique et la construction européenne sur le droit
* Les devoirs de l’auteur d’une œuvre intellectuelle
L’aspect historique montre à quel point le statut de l’auteur est né, avec le développement de l’imprimerie, la lutte pour la liberté d’expression, ainsi qu’un changement de rapport éditeur-imprimeur et auteur. Daniel Moatti montre à quel point l’évolution législative est liée aux transformations sociales et technologiques. Ce regard multiple permet de mieux comprendre les transformations du droit. La technologie permettant la plus grande diffusion en même temps qu’une possibilité de copies facilitée, le droit de copie montre alors le bout de son nez, accompagné par les institutions comme le CFC (Centre français du Copyright) par exemple. Evidemment dans cette ligne de développement technologique les 650 millions d’internautes quotidiens sont un ‘danger’ et le piratage fait l’objet d’études législatives. La directive européenne de 2002 et la loi Davdsi (Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information) de 2006 sont-elles là pour éviter les abus de téléchargement ou pour contrôler les actes de chacun des Internautes ?
Ces apports théoriques, forts bien documentés au demeurant, sont surtout accompagnés de conseils, mises en garde, guides pour qui (et notamment l’enseignant) produit, diffuse, utilise Internet en situation pédagogique. Et c’est là le point vraiment important de cet ouvrage (5 euros) qui devrait trouver sa place au CDI.
Daniel Moatti. Outils de communication et propriété intellectuelle. Bruxelles : éditions Ribord, 2007. 5 euros
Site personnel de l’auteur
http://pagesperso-orange.fr/communication.moatti/index.htm
Rencontre avec l’auteur
Café Pédagogique
Vous avez été documentaliste en établissement scolaire, comment le droit de la communication, la propriété intellectuelle pesaient-ils dans vos pratiques professionnelles ?
Daniel Moatti
Par un enseignement de l’histoire de l’écriture destiné à tous les élèves de sixième de mon collège. J’intégrais une présentation d’Internet ( notions de Fournisseurs d’accès à Internet, de serveurs, de banques de données, de réseaux) et amenais les élèves à réfléchir sur leur pratique de l’informatique et d’Internet.
Café Pédagogique
Si vous publiez cet ouvrage c’est que vous pensez certainement que l’enseignant a besoin d’être accompagné, de comprendre…
Daniel Moatti
L’utilisation d’Internet, l’emploi « innocent » du copier/coller et des réseaux de partage de fichiers musicaux ou cinématographiques, la création de blogs par de très jeunes élèves des classes de sixième (plus de 10% dans mon ancien collège) posent de sérieux problèmes aux adultes, aux éducateurs et à l’institution scolaire. Le rôle des fournisseurs d’accès à Internet mérite aussi d’être examiné d’autant plus que l’étau de contraintes juridiques sous la forme de directives européennes et de lois ainsi que les progrès techniques autorisent une véritable traque technologique et judiciaire des Internautes. Les blogues créés par des mineurs, lorsque leur contenu contrevient aux lois ou aux bonnes mœurs, peut entraîner la responsabilité des adultes responsables (parents ou enseignants). Bien entendu en rédigeant ce livre, j’avais à l’esprit le rôle de l’enseignant-documentaliste. Cependant l’ouvrage s’adresse aussi aux parents et aux enseignants d’histoire/géographie car son sujet recoupe l’Education Civique Juridique et Sociale en collège. Avec la massification et la commercialisation d’Internet, l’innocence originelle d’Internet est définitivement perdue laissant la place à des rapports de force structurés par l’intermédiaire du droit.
Café Pédagogique
L’utilisation d’Internet a-t-il fait ressortir ce besoin d’information aux notions de propriété intellectuelle ou constatez-vous encore une ‘inconscience’, une légèreté à son utilisation ?
Daniel Moatti
Pour le premier point, les utilisateurs d’Internet ne demandent pas d’information particulière dans le domaine juridique. C’est évident. Dès lors, les parents et les élèves ne sont pas au courant des subtilités du droit, bien souvent les enseignants partagent cette ignorance. Les adolescents sont d’autant plus exposés que les sites de création de blogues sont silencieux ou lapidaires à ce propos. Cependant, il n’y a pas que de l’inconscience, pour une minorité engagée, une forme de résistance apparaît aussi. En ce sens le développement des logiciels libres demeure un refus d’accepter des règles de plus en plus contraignantes.
Café Pédagogique
Vous avez suivi de près les affaires liées à ces pratiques pourtant fort courantes. Comment voyez-vous à l’avenir la place de l’enseignant face à cette judiciarisation. ?
Daniel Moatti
Son rôle devient de plus en plus difficile car l’enseignant devra de se tenir au courant des évolutions technologiques et juridiques, parfois contradictoires. Il devra, à son tour, naviguer longuement sur le Net pour repérer ensuite les devoirs purement et simplement copiés. Il devra aider les élèves créateurs des blogues d’établissement ou même personnels en transmettant son savoir juridique..
Café Pédagogique
Quel rôle l’institution devrait -elle jouer l’institution ?
Daniel Moatti
L’institution scolaire reste fascinée par l’aspect technologique, voire ludique, de l’informatique. Les mises en garde arrivent trop tard. Ainsi en est-il de la pédophilie, des pratiques addictives que je signalais dès 1997 dans un texte paru dans l’EPI.
L’Education nationale devrait anticiper l’évolution, se mettre au courant des usages de l’Internet par les adolescents. Mes enquêtes publiées en 2003 – La Croix, InterCDI – n’ont reçu aucun échos. Toute critique des usages de l’informatique était évacuée comme rétrograde. Un nécessaire dialogue constructif n’a pu être établi. En réalité, l’alerte n’est pas une condamnation mais une invitation à réfléchir sur des usages dangereux. Ce que je retire de ma longue expérience de professeur/documentaliste, c’est que la hiérarchie pédagogique n’est plus à l’écoute de sa base, de ses humbles exécutants, d’où un discours n’étant plus en phase avec la réalité.
Café Pédagogique
Les dispositifs mis en œuvre comme le B2i seront-ils suffisants pour une formation aux droits de la communication ?
Daniel Moatti
Non, il faut mettre en place un enseignement spécifique intégrant la technologie, la sociologie et le droit de l’informatique et du Net. Une heure par semaine en sixième me semble l’idéal, sachant que déjà 10% des élèves de cette classe d’âge ont mis en place un blogue. Ensuite, le B2I permettrait d’entretenir et d’améliorer les savoirs acquis en sixième. J’insiste sur cet enseignement d’une heure hebdomadaire devant chaque classe de sixième. C’est l’occasion pour l’enseignant/documentaliste, spécialiste au sein de l’établissement scolaire, des sciences de l’information et de la communication, d’être reconnus par ses collègues des autres disciplines.
Interview réalisée par Blandine Raoul-Réa – février 2008