Entretien avec le professeur Georges Felouzis, sociologue de l‘éducation
Peut on vraiment parler pour l’enseignant d’un métier dévalorisé dans la perception publique ?
Si on regarde ce qu’était socialement un enseignant de lycée, il y a 40 ans, c’était quelqu’un qui occupait une fonction relativement prestigieuse, liée à un diplôme qu’une faible proportion de la population possédait. La massification de l’accès à l’enseignement supérieur et l’augmentation significative du pourcentage de diplômés font que l’enseignant n’occupe plus cette position symbolique prestigieuse. Aujourd’hui, un enseignant de lycée, c’est un fonctionnaire de catégorie A, comme beaucoup d’autres, avec, objectivement, un salaire qui n’est pas très élevé, or le salaire est un fort indicateur dans notre société. Il y aussi la nature de son travail, plutôt bien considérée par les élèves, mais qui, dans certains lycées, peut apparaître fragile en regard de la position prestigieuse de certains parents.
C’est en fait une situation un peu paradoxale, car les concours de recrutement restent très sélectifs. Cela entretient un certain malaise chez les enseignants qui perçoivent ensuite que ni le salaire, ni la considération ne sont à la hauteur de cette réussite académique.
L’isolement du professeur revient de plusieurs façons dans les propos des élèves. Comment décrypter ces remarques ?
L’enseignant est isolé, c’est vrai, mais il existe de grands contrastes entre les établissements. Par nature, le travail de l’enseignant est solitaire. Il n’est pas tout seul physiquement dans sa classe, mais il est bien seul maître à bord. La coopération dans le travail de préparation pourrait nuancer cet isolement, mais elle est relativement faible.
Les enquêtes de type Pisa montrent que c’est une caractéristique nationale : les enseignants français sont plus isolés, mais aussi plus autonomes, car leur fonction est totalement restreinte à l’activité d’enseignement. La division entre les différentes tâches est moins marquée dans d’autres pays.
Les élèves ont bien là une vision réaliste ; malgré les discours incantatoires sur le travail d’équipe, les équipes pédagogiques sont quasiment inexistantes.
Pourtant les attentes envers les profs sont importantes. Dans les propos des élèves, le prof reste un personnage. On lui demande du charisme, on souffre de son inaccessibilité. Comment expliquer ces contradictions ?
Les élèves demandent beaucoup aux enseignants, surtout au lycée. Le professeur est pour eux un personnage central et une personne de référence. Ils en attendent de la reconnaissance, de l’intérêt et le veulent charismatique. Il est normal que les lycéens se plaignent du cadre trop formel de l’enseignement, car le lycée est pour eux le début de l’autonomie. Ils voudraient des relations plus étroites et une meilleure capacité à les intéresser.
En fait, l’enseignant a un rôle composite : noter, sélectionner, faire passer des connaissances, être une personne de référence. C’est une alchimie difficile à mettre en œuvre, et il n’est pas toujours à la hauteur.
Comment décrypter aussi ce qui concerne la correction et l’enseignant producteur de savoir ? Les lycéens se voient-ils consommateurs ou constructeurs de savoirs?
L’évaluation est toujours un problème difficile. La note dépend de l’évaluateur et peut être très variable d’un correcteur à l’autre. Lorsque l’élève reçoit sa note, il réagit à la fois rationnellement et émotionnellement et il lui est difficile de démêler la note au devoir et la note à l’élève. Les enseignants se doivent cependant de donner des repères réalistes, mais ils ne doivent pas oublier de montrer à l’élève qu’il est capable de progresser et de lui donner des indications pour y parvenir. C’est cette composante interactive qui rend le métier de l’enseignant très difficile.
Les élèves sont sûrement un peu consuméristes, mais c’est parce que le système éducatif français, centré sur l’utilité des savoirs et l’acquisition des diplômes, les encourage à cela. Il y a beaucoup de paradoxes dans ce système utilitariste, sélectif et classant les élèves. Pourtant, l’analyse des questionnaires remontant de la consultation Meirieu montrait que les élèves ont de l’intérêt pour les savoirs qu’ils apprennent. Ils sont donc nécessairement constructeurs de leurs savoirs, mais aussi d’eux-mêmes. Entrés au lycée en pleine adolescence, ils en sortent jeunes adultes. L’établissement est pour beaucoup dans cette phase de maturation et de construction de soi.
La remarque sur les disciplines, qui est très vraie, est elle aussi intéressante. Pourquoi est-elle mise en avant ? Les lycéens jugent-ils qu’il y a des disciplines trop nombreuses ou souhaitent-ils qu’elles soient enseignées autrement ?
Héritier de l’enseignement des jésuites, l’enseignement français est très cloisonné. La principale préoccupation du monde académique est de parler selon les schémas du monde académique. Ce n’est pas toujours facile non plus, au niveau où sont les lycéens, de croiser les disciplines. Les TPE ont cette vocation à rassembler des compétences diverses autour d’un même objet, mais ce n’est pas assez fréquent dans le monde scolaire français. Dans d’autres pays, l’enseignement est moins cloisonné.
C’est un problème réel qui dépasse largement les demandes des élèves en termes de méthodes pédagogiques, car le fait de marquer fortement les orientations par les disciplines décourage des élèves d’entrer dans certaines filières (par exemple les filles dans les sections scientifiques). Je pense que les élèves ont raison. On leur propose un système très académique, mais il serait bon de le faire évoluer.
Une bonne partie des remarques formulées par ces élèves étaient déjà dans l’enquête Meirieu de 1998. Les choses ont-elles évolué depuis ?
Je ne sais pas exactement sil les choses ont évolué ou non, mais rien n’a changé de manière radicale. De nombreux rapports ont suivi qui tous disent la même chose, mais la vie quotidienne dans les lycées reste très semblable à ce qu’elle était ; il n’y a certainement pas eu de révolution.
Comment expliquer la place à part des profs d’EPS ?
Je n’ai pas grand’chose à dire à ce sujet. Objectivement, c’est vrai que les enseignants d’EPS ont une place à part, tant chez leurs collègues que pour les élèves. Ils sont moins académique et pratiquent une pédagogie très différente. Je pense aussi que cette matière ne fait pas peur aux élèves.
On ne parle guère de la violence contre les profs. Là dessus aussi, y a t il des évolutions ?
La violence est, me semble-t-il, surtout entre élèves, mais il est difficile d’en parler, car la variabilité est très grade d’un établissement à l’autre. On ne dispose pas de mesures statistiques fiables sur une longue période, mais les études montrent que la violence dans les établissements ne baisse pas, en France comme à l’étranger, et qu’il ya encore beaucoup de chemin à faire avant d’améliorer la situation.
Et, en conclusion, avez-vous des travaux en cours sur l’évolution du métier d’enseignant ?
Non, pas directement, mais je participe actuellement au dépouillement des 1 400 questionnaires remplis par des lycéens en réponse à une enquête lancée par le magazine Phosphore sur la manière dont les lycéens voient leur condition, 10 ans après la consultation Meirieu.
Je suis toujours frappé par la pertinence et l’intelligence des réponses des élèves. Globalement, ils aiment bien ce qu’ils font. S’ils expriment des reproches et des angoisses, ils expriment aussi beaucoup de satisfaction. Bien sûr, si les lycéens sont attachés à leur lycée, c’est parce qu’il est un facteur de sociabilité et qu’ils s’y constituent une culture juvénile, avec ses relations amicales ou amoureuses. Le lycée, c’est leur lieu de vie et ils l’aiment !
Questions : François Jarraud
Entretien : Françoise Solliec