Transcription libre des propos d’Eric Favey, par Françoise Solliec
Les établissements demandent souvent à des associations de terrain, spécialisées dans l’animation et l’éducation, de les accompagner dans la formation des délégués élèves ou des élus au comité de vie lycéenne, CVL. Nous avons demandé à Eric Favey, secrétaire national de la ligue de l’enseignement, ce qu’il percevait au travers de ces formations des représentations élèves sur leurs enseignants et leurs établissements.
Les élèves ont souvent une perception très lucide du fonctionnement de leur établissement, même s’ils ne décryptent pas tout. Ils pensent en général que les enseignants sont très seuls et qu’il n’y a que peu de relations entre les différentes catégories de membres de la communauté éducative. Cette perception a peu évolué au cours des dernières années, mais la connaissance que les élèves ont de l’institution et de son fonctionnement prioritairement administratif et hiérarchisé est plus grande. Ces élèves sont plus professionnels, attendent plus de l’institution que nous autrefois. Ils sont touchés par l’évolution démocratique de la société et donc plus autonomes à ce niveau.
Il n’est guère surprenant qu’ils trouvent leurs professeurs distants. Ils sentent bien que les enseignants connaissent mal la situation de délégué et que celle-ci n’est pas forcément très bien comprise au sein de l’établissement. « On nous amuse avec cette responsabilité » se plaignent-ils souvent. Le délégué, ou l’élu au CVL, est en effet plus souvent pris comme un intermédiaire entre l’administration et les autres élèves que comme un véritable acteur de la vie de l’établissement. Dans la mise en place des formations, les animateurs de la Ligue s’étonnent toujours que les chefs d’établissement veuillent leur déléguer la totalité de la conception, même s’ils sont conscients de leur apport en tant qu’experts à ce sujet. Ils insistent pour qu’une partie des enseignants de l’établissement s’implique dans cette action.
En effet, la plupart des enseignants sont souvent moins impliqués que d’autres personnels dans la vie de l’établissement. Pourtant, s’ils en avaient conscience et acceptaient de s’y investir davantage, cela leur donnerait des clés de compréhension des élèves et améliorerait la situation en classe. Les élèves passent finalement beaucoup de temps au lycée et perçoivent beaucoup sur son fonctionnement.
Les enseignants ont un rapport à leur métier qui ne leur permet pas d’accorder beaucoup d’importance à ce que les élèves en perçoivent. Leur donner la parole à ce sujet leur paraît non pertinent, voire démagogue.
La Ligue n’a pas été auditionnée par la commission Pochard. Elle a néanmoins rédigé à son attention une note de proposition soulignant la méconnaissance de la réalité territoriale, sociale et culturelle qu’ont de nombreux enseignants au sujet de leur établissement. Ils se privent ainsi de la connaissance du milieu dans lequel vivent leurs élèves, qui pourrait leur fournir des éléments de décryptage importants. La proposition serait de reprendre les formations conjointes entre membres de la communauté éducative et personnels du territoire environnant sur une thématique liée à la politique de l’établissement et aux préoccupations du bassin d’appartenance. Ces stages conjoints déclencheraient des échanges, favoriseraient des habitudes de travail en commun et rompraient l’isolement des profs. Ce serait aussi une manière indirecte d’améliorer la perception des enseignants vis-à-vis de leurs élèves, en entendant parler les acteurs locaux. Ce serait sans doute enfin une réponse partielle au manque de considération sociale des enseignants. Il est vrai que la situation actuelle est peu favorable à ce type d’initiatives. Les enseignants ont souvent un habitat éloigné de leur lieu de travail et sont réticents à y passer beaucoup plus de temps. L’institution aujourd’hui est plutôt dans une tendance au désengagement en ce qui concerne l’aide au travail d’équipe intercatégoriel et interprofessionnel.
Au niveau des pratiques pédagogiques, les élèves mentionnent souvent tout l’intérêt qu’ils trouvent aux enseignements d’EPS, en grande partie parce qu’ils font assez peu de différence entre le prof animateur des activités de l’association sportives et l’enseignant des cours inscrits à l’emploi du temps officiel. De la même manière, l’utilisation des TICE les met en situation d’acteurs et de producteurs, dans une relation plus fine et moins magistrale à leur enseignant. Les technologies de l’information et de la communication sont de plus un véritable atout pour développer un lien réel et fort entre élèves, enseignants et familles.
Si on revient sur le rôle des délégués élèves ou des élus des CVL, les élèves expriment une certaine insatisfaction depuis longtemps. Ils ont l’impression qu’on leur accorde beaucoup plus une place symbolique et théorique qu’un vrai rôle. Ils connaissent les textes, voient ce qui se pratique dans certains établissements plus ouverts et sont assez déçus des possibilités d’action qu’on leur laisse en réalité. De plus, ils souvent mal à l’aise vis-à-vis de leurs camarades qui ont tendance à leur reprocher de ne pas assez les défendre.
Il est dommage que les établissements entretiennent ces façons de faire. Il ne faut pas faire semblant avec la représentation élèves car, à terme, on fabrique de la défiance par rapport à l’institution. L’implication des élèves du CVL ou du CA est beaucoup plus sérieuse qu’on ne croit et devrait être un sujet de préoccupation de l’établissement tout entier. Dans nos formations, nous incitons les élèves à être curieux du projet d’établissement et à se positionner comme de véritables acteurs.
Lors de la formation des élus du CVL en particulier, nous soulignons l’importance d’une participation régulière et d’un travail continu entre les réunions plénières. Nous les accompagnons dans maints projets culturels et nous réjouissons ensuite de les retrouver souvent en position de responsabilité dans la vie sociale ou culturelle d’un quartier.
Certains chefs d’établissement ont le souci de faire davantage du CVL un outil de régulation et d’information qu’une véritable instance participative et productive. Pourtant les occasions de travail en commun ne manquent pas et on voit de plus en plus de groupes de travail comprenant des élèves se mettre en place au moment d’une rénovation ou d’une reconstruction des bâtiments.
Ce ne devrait pas seulement être au chef d’établissement ou aux CPE de travailler avec ces élèves. Les enseignants, qui sont la catégorie de personnels la plus nombreuse au sein de l’établissement, devraient s’emparer de cette relation. Même si cela peut paraître du temps perdu, ce serait en fait du temps gagné pour la formation citoyenne des élèves en classe. La confiance ainsi construite serait un facteur important d’amélioration du climat de la classe.
Pour lutter contre la dévalorisation sociale, morale et matérielle du métier d’enseignants, souvent mentionnée par les jeunes, la relation avec les parents est fondamentale. Il faut retrouver une vraie forme d’alliance avec les parents et tout faire pour que des liens de confiance existent avec les élèves. Les enseignants se privent trop souvent de ces approches qui sont pourtant de véritables leviers.