Par François Jarraud
C’est l’autre solution pour piloter le système éducatif : instituer partout des chefs d’établissement capables de porter l’autonomie des établissements et de faire marcher les profs. Les contradictions de l’enseignement sont-elles solubles dans l’autorité ? L’Ecole a-t-elle besoin de managers ?
L’Ecole a-t-elle besoin de managers ?
Alors que le ministre prépare une double réforme du primaire et du secondaire qui pourrait changer l’organisation des écoles , des collèges et des lycées, de nombreux regards se tournent vers le rôle du chef d’établissement. L’Ecole a-t-elle besoin de chefs d’établissements managers ? Ce modèle est-il le plus efficace ?
Il est vrai que l’Ecole souffre réellement de corps intermédiaires. Elle en manque probablement pour améliorer sa gestion. Surtout, les enseignants sont seuls. Nulle part ailleurs, on ne laisserait ainsi des salariés aussi isolés dans leur tâche, sans aucun soutien. Les enseignants doivent trouver seuls les réponses à toutes leurs difficultés. Et on sait que cette situation a un coût humain important.
Depuis plusieurs années, les rapports se sont accumulés qui appellent à faire des directeurs et chefs d’établissements de véritables managers. Ainsi, le rapport du HCE analyse la crise de l’école élémentaire comme celle des directions. » Le titulaire de la fonction n’a pas l’autorité nécessaire pour assurer pleinement la direction de son école… le débat sur la fonction de directeur d’école primaire, dotée de compétences explicites, ne devrait plus être éludé ».
Il y a deux ans, le rapport des inspecteurs généraux J.F. Cuisinier et T. Berthé, allait dans le même sens. « Demain plus encore qu’aujourd’hui, un responsable d’EPLE devra être capable d’impulser les choix pédagogiques de l’établissement, d’assurer une gestion financière affinée, pour se dégager des marges de manoeuvre dans le cadre de la LOLF, de négocier des conventions locales équilibrées, voire avantageuses avec la collectivité territoriale de rattachement, d’animer des équipes dépendant de plusieurs employeurs ». Pour eux les inégalités de résultats entre établissements relèveraient d’abord de pilotages de qualité différente. Et la tentation du manager ne peut aller que croissant dans un système qui souhaite se doter de nouveaux documents d’évaluation.
Pourtant l’efficacité du chef d’établissement manager reste à démontrer. Les recherches de F. Dubet, O. Cousin ou encore A. Grisay et A. Sacré, dans les années 1980, n’ont pas réussi à mettre en évidence un effet chef d’établissement. Aujourd’hui on sent bien dans les propos du HCE, ou ceux de l’Inspection, que le modèle sous-jacent est celui du chef d’établissement privé. Le succès de ces établissements est souvent associé au fait qu’ils disposent de chefs d’établissement qui ont des pouvoirs bien plus larges que leurs homologues publics. Or ce que montre la thèse récente de M. Hassani, c’est qu’ils se distinguent de leurs collègues par un niveau d’intervention dans la vie de l’établissement beaucoup plus bas. Pour M. Hassani, bien loin d’être les patrons omniprésents que l’on imagine parfois, ils appartiennent majoritairement au modèle « individuel laissez-faire » c’est à dire qu’ils interviennent pédagogiquement très peu dans leur établissement.
D’autres critères ont été mis en évidence pour améliorer l’efficacité des établissements. Déjà Dubet et Cousin insistaient sur l’importance de la mobilisation des enseignants. Bien plus que le chef d’établissement, c’est l’existence ou pas d’une équipe pédagogique soudée et communicante qui peut créer un « effet établissement » c’est-à-dire améliorer les résultats des élèves. Or on peut difficilement concilier les deux images de la communauté travaillant en équipe et celle du manager. On confond à travers l‘image du manager, le besoin bien réel d’experts et d’appuis dans les établissements au plus près des enseignants, appuis qui ne peuvent être que variés, avec le renforcement d’un échelon hiérarchique. On confond une nouvelle fois le renforcement bureaucratique et le soutien. Or de bureaucratie, de « up – down », l’Ecole n’est pas en manque…
Rien ne justifie donc l’intérêt pour la mise en place de véritables managers. Rien ne devrait aller contre un renforcement de tout ce qui peut, sur le plan organisationnel, favoriser le travail et la gestion en équipe des établissements. Rien si ce n’est l’esprit du moment et les représentations sociales traditionnelles du pouvoir actuel. Peut-on construire durablement l’Ecole là-dessus ?
Rapport Cuisinier Berthé
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2005/pedago_68_Reflexion.aspx
Etude de M. Hassani
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/26032007Accueil.aspx
Rêves et réalités des chefs d’établissement
» Dans l’idéal, leur vision du métier est de conduire une politique pédagogique éducative, mais dans la réalité, le travail administratif prend le pas ». Le Dossier 189 publié par le ministère de l’éducation nationale est consacré aux nouveaux personnels de direction.
C’est que le discours officiel se porte sur leur rôle : on attend d’eux qu’ils deviennent de véritables managers. L’enquête souligne par exemple que « deux tiers des lauréats ont eu des responsabilités hors de l’Éducation nationale et un tiers des responsabilités d’animation ou de formation au sein de l’Éducation nationale ». L’étude établit une nette différence entre sexes dans les carrières.
L’étude
http://www.education.gouv.fr/cid5695/la-formation-des-nouveaux-personnels-de-direction.html
Sur le Café, étude de M. Hassani sur les managers
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/26032007Accueil.aspx
Sur le Café : Qui sont les chefs d’établissement?
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/28032007Accueil.aspx
Sur le Café : les chefs d’établissement face à l’autonomie des établissements
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/larecherche/Pages/2006/a[…]
La bataille du Snpden
Ce qui inquiète le plus aujourd’hui le premier syndicat des chefs d’établissement, ce sont les rumeurs concernant le devenir des EPLE. Dans une perspective managériale orientée par le souci économique, poussera-t-on à aller vers des établissements de plus grande taille, susceptibles de recruter eux-mêmes leurs enseignants et dont le conseil d’administration serait présidé par une personnalité apte à faire respecter les notions de productivité et d’efficacité ? L’arrivée de la LOLF a permis aux secrétaires généraux d’académie de conforter une vision comptable du système. Le SNDPEN veut se battre pour que plus d’autonomie pour l’établissement ne se traduise pas par plus de concurrence entre établissements, pour que les indicateurs de performances reflètent une dimension locale, pour que l’élève ne soit pas vu que comme un usager.
Le reportage de F. Solliec
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/17102007r[…]
Les chefs d’établissement sous le regard de l’Ocde
Comment sont définies les directions d’établissement scolaire en France et comment devraient-elles évoluer ? A cette demande de l’OCDE, l’inspecteur général Jean-Pierre Obin répond dans un rapport qui souligne les caractères particuliers du système français.
Les trois quarts du rapport s’attachent à décrire, de façon remarquable, l’histoire de ces fonctions aussi bien au primaire qu’au secondaire. Le dernier quart, qui concerne la crise actuelle des directions et propose des recommandations, suscitera sans doute quelques agacements.
D’abord dans le constat des difficultés actuelles. J.-P. Obin dresse le constat d’une crise de civilisation : les jeunes ne considèrent plus le travail comme une « identité positive », on observe » plus en plus souvent dans beaucoup d’établissements une « ethnicisation » de la vie scolaire, un surgissement chez certains adolescents d’identités de substitution, infra-politiques et régressives, et « bricolées » à partir d’éléments disparates comme le lieu d’habitation, une mode musicale ou vestimentaire, l’origine nationale ou ethnique, la couleur de la peau, la religion, etc », cela sous la pression de la mondialisation et de l’Europe… Pire encore, le rapporteur souligne « la crise de l’autorité » : « la permissivité et le libéralisme éducatifs, la dé-légitimation de toute forme de contrainte sur les enfants, la définition de « droits de l’enfant » dont certains ont davantage pour but de l’émanciper des adultes que de le protéger, ont semé le doute et le désarroi chez nombre de parents et d’éducateurs. L’idéologie antiautoritaire qui, des années soixante aux années quatre-vingts, a régné en maître sur la pédagogie universitaire comme sur la psychologie pratique à l’usage des parents, a eu pour conséquence l’absence de transmission des règles, des repères et des valeurs entre deux générations ». Internet est venu aggraver, aux yeux de J.P. Obin, cette crise de l’effort.
On ne sera donc pas surpris que la conclusion du rapport recommande de renforcer l’autorité des chefs d’établissement et des directeurs. L’efficacité pédagogique de ce renforcement n’est pas mise en doute par l’auteur. Pour l’assurer il préconise trois mesures :
« – L’évaluation des dirigeants eux-mêmes, avec ses conséquences sur leurs carrières, pourrait être davantage centrée sur les résultats éducatifs et cognitifs des élèves que sur les modes de gestion des moyens.
– Leurs référentiels de métier et leur formation pourraient être recentrés sur leur responsabilité pédagogique et éducative, et les tâches de gestion logistique et financière déléguées à des collaborateurs spécialisés.
– L’évaluation des enseignants pourrait être réformée, en remplaçant le dispositif formel de notation par une véritable évaluation qualitative débouchant sur des conseils, de l’aide et de la formation, à partir d’une pluralité de regards, dont celui du dirigeant local ». Cela implique, dans le primaire, de venir à bout de résistances syndicales qui sont présentées comme contradictoires avec les vœux des directeurs…
Enfin, J.-P. Obin souhaite le rapprochement de l’école et du collège. « L’école obligatoire de 6 à 16 ans reste profondément coupée en deux, et les enfants de 11ans doivent vaille que vaille subir cette rupture ». Et là, il découvre un autre adversaire que les syndicats : la décentralisation. Faut-il aussi revenir sur elle ?
L’étude (en pdf)
http://www.oecd.org/dataoecd/63/53/39487500.pdf