Par Cyril Froidure
Interview de Bernadette Mérenne-Schoumaker :
Bernadette Mérenne-Schoumaker, professeure à l’université de Liège et auteure d’une « Géographie de l’énergie », a accepté de répondre aux questions du Café Pédagogique suite au FIG dont le thème était « Une planète en mal d’énergies ».
Compte-rendu de la Géographie de l’énergie :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lesdossiers/Pages/2007/r2007_EEDD1.aspx
Réponses de B. Mérenne pour le Café pédagogique
1. Vous êtes l’auteur d’une géographie de l’énergie; ce mois-ci Yvette Veyret et Annette Ciattoni ont publié une « géographie et géopolitique des énergies ». Pourquoi avoir choisi le singulier pour le mot énergie ?
L’énergie est pour moi un tout même si les ressources énergétiques (pétrole, vent, géothermie…) sont diverses. Elle se présente sous différentes formes (énergie électrique, énergie thermique, énergie chimique…) qui se transforment souvent les unes dans les autres et s’appliquent à des usages différents. Lorsque que l’on parle d’énergies, il y a risque de confusion entre les ressources et les formes ou limitation des propos aux seules ressources et en général peu prise en compte des consommations. Or, en matière d’énergie, la production est très liée aux utilisations car, si certaines sources ou formes sont substituables les unes aux autres, d’autres ont des usages spécifiques; de plus, certaines formes comme l’électricité ne sont pas stockables ce qui impose une adaptation de l’offre à la demande. En outre, se focaliser sur les différentes énergies, c’est oublier que le problème à résoudre est global et impose non seulement de diversifier « les énergies » mais encore et surtout d’économiser « l’énergie ».
2. Au printemps dernier est sorti un livre intitulé « La bulle verte » (the green bubble) de Robert Bell. Celui-ci semble très optimiste quant au développement à l’impact des énergies renouvelables mais vous pensez qu’elles n’auront qu’un rôle d’appoint.
Pouvez-vous nous expliquer votre position?
Actuellement les ressources renouvelables représentent dans le Monde un peu plus de 13 % des approvisionnements (seulement 6 % pour la France). Selon l’Agence internationale de l’Énergie, leur potentiel de croissance 2004 – 2030 reste limité : doublement dans le cas de l’électricité, doublement également dans la production de chaleur pour l’industrie et le bâtiment et multiplication par 10 de la production des biocarburants. Ceux-ci ne représentent toutefois aujourd’hui que 1 % de la consommation mondiale des carburants pour les transports routiers mais pourraient passer à 7 % en 2030 ce qui impliquerait de multiplier par 3,5 les espaces actuellement cultivés à des fins énergétiques (14 millions d’hectares). Par ailleurs tout semble indiquer que la part des énergies renouvelables n’augmenterait guère en 2030 et resterait autour de 14 %, leur croissance étant similaire à celle de la demande d’énergie.
Au-delà de leur coût, les contraintes qui limitent le développement des énergies renouvelables sont bien connues : caractère souvent intermittent (vent, soleil, marées…), capacité de production limitée, nombre limité de sites exploitables, surface au sol généralement importante et pour les biocarburants : conflits avec les usages alimentaires, voire avec les autres usages du bois (comme la pâte à papier) et risques de déforestation et de dégradation des écosystèmes. En outre, tout dépend de leur usage : certaines énergies renouvelables interviennent dans la production d’électricité, d’autres pour le chauffage et les biocarburants pour les transports. En fait, si des possibilités réelles de développement des énergies renouvelables existent principalement dans le domaine du résidentiel (où il faut d’abord et avant tout réduire les consommations), ces énergies malgré leurs avantages évidents ne semblent pas pouvoir se substituer aux énergies fossiles là où les consommations sont très fortes. Cela ne doit cependant pas freiner tous les efforts entrepris et même les renforcer car il est essentiel de réduire la dépendance de nos pays aux énergies fossiles.
3. Actuellement, la France rentre dans la dernière phase du Grenelle de l’environnement. Des décisions doivent être prises dans le domaine de l’énergie. Il semble que le nucléaire soit l’une des options choisies par le gouvernement français.
Le nucléaire est-il une option viable pour un développement durable?
Le nucléaire, en raison de ses nuisances et risques d’accidents, n’est pas sans doute pas la solution mais il n’y a pas de solution pour le moment sans le nucléaire. En effet, sauf réduction drastique des consommations (y est-on prêt?), je ne vois pas comment se passer du nucléaire à court et moyen terme et ce d’autant plus qu’au traditionnel problème de disponibilité des ressources, est venu se greffer celui de l’impérieuse nécessité de réduire les émissions de CO2. Nos pays doivent en effet assurer une sécurité d’approvisionnement, tout en tenant compte des enjeux environnementaux (principalement le réchauffement climatique) et économiques (préserver la compétitivité des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages). Ceci n’est réalisable qu’en maîtrisant, voire en réduisant la demande et donc la consommation (utilisation rationnelle de l’énergie – URE, efficacité énergétique des applications) et en améliorant l’offre, notamment via la Recherche et Développement sur les moyens de production à la fois dans le domaine des énergies renouvelables et dans le nucléaire (transmutation des déchets radioactifs les plus durs, accroissement de la sécurité, développement de nouvelles centrales).
4. Comment la Belgique envisage-t-elle cette thématique énergétique? Quelles sont les options choisies alors que le prix des hydrocarbures grimpe et que le peak oil est ou va devenir une réalité ?
Le secteur de l’énergie en Belgique est depuis 1993 partagé entre l’Etat fédéral et les Régions. Le premier reste compétent pour les matières dont l’indivisibilité technique et économique requiert une mise en œuvre homogène sur le plan national (le plan national d’équipement du secteur de l’électricité, le cycle du combustible nucléaire, les grandes infrastructures de stockage, le transport et la production d’énergie ainsi que les tarifs, les normes de produits). Les Régions sont compétentes dans la distribution d’électricité, de gaz ou de chaleur, dans celui des sources nouvelles d’énergie et dans les politiques d’URE.
En matière d’énergie primaire, le pays est surtout dépendant de trois ressources : le pétrole (39 %), le gaz naturel (26 %) et l’énergie nucléaire (22 %). La sortie du nucléaire a été votée dès 1999 et prévoit l’arrêt des premières centrales en 2015 (soit après 40 ans de vie) ; toutefois cet arrêt continue à être remis en cause. En ce qui concerne les autres choix, la politique du pays est de favoriser le gaz naturel (notamment dans le cadre de nouvelles centrales électriques à cycle combiné) et, comme, un peu partout en Europe, le développement des énergies renouvelables (qui ne représentent pas 3 % aujourd’hui) et bien entendu les économies d’énergie.
5. Selon vous quelle énergie ou quelle combinaison énergétique est à ce jour la plus pérenne?
Un développement soutenable impose d’abord et avant tout des économies à réaliser non seulement par des progrès techniques mais encore des changements de comportement. Il suppose aussi de diversifier au maximum les ressources. Parmi les énergies fossiles, le gaz naturel semble actuellement la moins mauvaise solution mais il conviendrait aussi de développer les recherches sur le charbon, ressource abondante, qui n’a toutefois aucun avenir en dehors de la voie « charbon propre ». Parmi les ressources renouvelables, je crois beaucoup au soleil thermique mais je reste plus dubitative sur les biocarburants qui m’apparaissent comme une solution très marginale au problème de l’avenir des transports.
Les actes du FIG :
Vous pouvez désormais consulter les textes de quelques–unes des interventions du FIG 2007 : « les énergies nouvelles, une solution d’avenir ? », « l’essor surprenant du charbon au XXIème siècle ? », « les politiques énergétiques en Europe », « le boom de l’énergie nucléaire »…
http://fig-st-die.education.fr/actes/actes_2007/index.htm
Enfin, à signaler, le thème du FIG 2008 : « Guerres et conflits : la planète sous tension. La géographie ça sert aussi à faire la paix. ». Le pays invité sera le Japon.