Entretien avec David Labrande, Conseiller principal d’éducation au collège République
Pour prévenir la violence et lutter contre elle, en plus des partenariats conclus dans le cadre de la « zone de prévention violence », le collège République de Bobigny s’est doté d’un système d’encadrement organisé et d’un mini « observatoire de la violence ».
CdA – Le collège République est classé « zone de prévention violence » ; mais il est aussi « ZEP » et « zone sensible ». Concrètement, quelles en sont les conséquences ?
DL – Il faut bien distinguer le label « ZEP », qui concerne l’échec scolaire, et le label « zone sensible », qui concerne la violence scolaire. Concrètement, l’ensemble de ces labels nous apporte plus de moyens en personnel d’encadrement (plus de surveillants, et un recrutement plus large des aide-éducateurs) et plus d’heures dans la DHG. Plus spécifiquement, dans le cadre de la « prévention violence », nous bénéficions d’une coordination avec les autres institutions ou les associations de quartier. Lors des réunions de la « cellule de veille », qui concerne les différents quartiers de Bobigny, nous rencontrons notamment :
– la police ;
– des membres de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) ;
– les bailleurs (représentants des HLM, propriétaires ou gardiens de cités) ;
– les associations de quartier ;
– des membres de la municipalité et du département ;
– la justice (tribunal d’instance de Bobigny) ;
Il s’agit de faire le point sur ce qui est entrepris au niveau de chaque quartier, sur les derniers incidents… la dernière fois par exemple, j’ai appris que dans l’une des cités, les enfants organisaient des parties de « rodéo » (avec des motos volées de la cité voisine)… la police nous tient au courant de ses actions, on réfléchit sur la manière de collaborer en fonction du contexte.
CdA – Est-ce que des partenariats naissent de ces réunions de la cellule de veille ?
DL – Oui, avec la police notamment, surtout au niveau de la prévention. On rencontre des gens motivés qui sont prêts à s’investir. Ca nous facilite la tâche ; par exemple, au mois de novembre dernier, quand les faits violents au collège ont commencé à devenir plus fréquents, j’ai demandé qu’il y ait une présence aux heures de sorties de cours importantes, quand il y avait de grands mouvements d’élèves. Les gens de la résidence de personnes âgées qui est à cinquante mètres du collège se plaignaient, les enfants venaient se battre là-bas. La police a donc suivi et est venue surveiller. En outre, ils nous donnent des informations qui nous permettent d’anticiper les tensions ; par exemple, le commissaire de Bobigny nous informe qu’un trafic de drogue a été démantelé mais que la situation risque de générer des conflits. Ou bien ils nous préviennent qu’ils vont procéder à de nombreux contrôles d’identité, pour suivre les dernières directives de leur ministère, et que cela peut créer des tensions.
La police vient également faire des animations pendant les heures de vie de classe, pour dialoguer avec les élèves et faire avec eux le point sur un certain nombre de choses. Mais cela existe depuis le début des années 1990 et dépasse le cadre des partenariats actuels.
CdA – Quelle organisation a été mise en place à l’intérieur du collège pour faire face à la violence ?
DL – On essaie de cadrer aux maximum les élèves, au risque d’aller à l’encontre du développement de leur autonomie. Malheureusement, l’expérience montre que si on leur laisse trop d’autonomie, ils s’en rendent compte tout de suite et en abusent très rapidement. Par exemple, mardi dernier, il n’y avait qu’un CPE (les autres étaient en formation) et beaucoup de profs absents, et il y a eu des dégradations dans les bâtiments (des tags). Dans ce cas d’ailleurs, on fait de notre mieux avec le concours de l’intendante pour que les traces disparaissent immédiatement, afin de ne pas encourager l’imitation. Aujourd’hui les murs sont intacts.
CdA – Quel processus s’enclenche dès lors qu’un élève a commis un acte répréhensif ?
DL – L’adulte témoin prévient la vie scolaire. On lui demande immédiatement un rapport écrit, puis on convoque aussitôt l’élève. Il est isolé, on lui demande alors de rédiger sa version des faits (voir la lettre d’excuses type) ; il doit tout expliquer en détail, expliquer où, quand, pourquoi cela s’est passé, et quelles en sont les conséquences. On recueille d’ailleurs généralement des textes plutôt longs, il est rare qu’à cette occasion les élèves ne mettent que trois lignes. Puis dans une discussion avec l’élève, on confronte les deux écrits (le sien, et le rapport de l’adulte). Globalement, ils reconnaissent leurs bêtises assez rapidement.
Seuls les plus durs, ceux qui ont l’habitude des interrogatoires de la police, restent muets : « Je n’ai rien fait, je n’ai rien vu ». Mais ils sont peu nombreux. Dans ce cas, on fait appel au sens civique des autres élèves témoins, on leur demande à eux d’écrire leur version des faits, de façon anonyme pour qu’ils ne soient pas menacés de représailles, jusqu’à ce qu’on récupère suffisamment d’informations pour décider d’une sanction.
CdA – Comment est définie la sanction ?
DL – Pour la sanction, nous nous basons sur une grille indicative. L’objectif est de n’être pas trop laxiste, mais de ne pas tomber dans l’excès de sévérité. Cette grille nous permet de nous situer et d’harmoniser les sanctions et la tolérance de chacun. Ensuite, on l’adapte au cas par cas. La sanction est personnalisée selon le passé de l’élève et sa situation.
Le problème en effet, c’est que tous les adultes du collège n’ont pas le même seuil de tolérance. Derrière le mot « violence », nous ne mettons pas tous la même chose, cela dépend de notre propre expérience. Cela est particulièrement frappant avec les jeunes collègues qui arrivent au collège, généralement pas originaires de Seine-Saint-Denis, qui ont parfois des réactions très différentes. Certains sont outrés pour peu de choses, d’autres au contraire laissent passer des insulltes graves à leur égard en ne les sanctionnant que d’une heure de retenue par exemple.
Si le cas est grave, il y a deux solutions : soit il manque des éléments, et l’on prend une mesure conservatoire en renvoyant l’élève chez lui jusqu’à ce qu’on obtienne tous les éléments nécessaires, soit tout est clair et la sanction est prise immédiatement. On avertit la famille, et le lendemain on prononce une exclusion, ou une « exclusion-inclusion ».
CdA – En quoi consiste l’exclusion-inclusion ?
DL – L’élève est exclu de cours un ou plusieurs jours, mais il est tenu de se présenter au collège. A l’origine, il était censé être pris en charge par un « tuteur », généralement un aide-éducateur qui devait l’aider à enclencher un processus de réflexion sur ce qui avait eu lieu, à en percevoir les causes et conséquences et à sortir de la spirale de la violence. Mais, faute de formation, de motivation ou de temps, ce système s’est révélé peu efficace. On s’est aperçu qu’il y avait plus de récidive dans les cas d’exclusion-inclusion que dans les cas d’exclusion simple.
CdA – Est-ce qu’il n’y a pas aussi un système de tutorat suite à un conseil de prévention ?
DL – Oui, c’est un système qui peut marcher, sauf qu’on ne donne pas à boire à un âne qui n’a pas soif. Le principe, c’est que l’élève doit choisir un tuteur parmi tous les adultes du collège. Il doit alors le voir une fois par semaine, pour lui rendre compte de son comportement pendant la semaine et en discuter avec lui. Il y a eu quelques bons résultats, mais le plus souvent l’élève ne venait pas lors du rendez-vous hebdomadaire, bien qu’il ait choisi son tuteur, et nous avons finalement été obligés d’abandonner cette solution.
CdA – Et en ce qui concerne la prévention ?
On se sert des heures de vie de classe : nous allons nous-mêmes dans les classes (les CPE), pour discuter avec les élèves et faire le point sur les problèmes de violence. Mais cela reste rare, car nous avons chacun quinze classes à charge.
Il y a aussi les surveillants ; leur présence est essentielle, car ce sont les premiers « au front ». Dans la mesure du possible, ils dédramatisent les problèmes dès leur apparition, recadrent les élèves, notamment ceux qui « s’amusent » à se taper dessus (deux fois sur trois cela finit en bagarre).
CdA – Et puis il y a l’observatoire de la violence ?
DL – Oui. A l’origine, c’était une idée de l’ancien principal, que nous avons maintenue ; il s’agissait de noter systématiquement tous les faits ayant donné lieu au moins à un avertissement avant exclusion. Cela permet d’avoir des statistiques précises sur l’année, sur la nature des faits, sur les profils d’élèves. Il est vrai qu’ensuite il y a eu une demande institutionnelle, puisque tous les établissements sensibles doivent faire remonter ce type de données par le biais d’une plate-forme de saisie en ligne. Nous avons toutefois continué en parallèle nos propres observations.
Lorsqu’on prend le temps de dépouiller toutes ces données, on se rend compte avec le recul qu’il y a une différence sensible entre ce que nous ressentons sur le coup, aux moments où nous prenons en charge les actes de violence, et puis l’objectivité des chiffres.
Voici par exemple un graphique qui représente le pourcentage de faits ayant donné lieu au moins à un avertissement au premier trimestre 2002-2003, en fonction de la nature des faits :
1. Violence (bagarres, agressions sur élèves). 2. Incivilités (insultes, comportements insolents). 3. Cumul important d’heures de retenues. 4. Faux et usages de faux. 5. Menaces (envers enseignant ou élève). 6. « Perte » du carnet de correspondance. 7. Retenues non faites. 8. Sortie sans autorisation. 9. Vol. |
Sur le graphique suivant, qui est sensiblement le même chaque année, on se rend compte des périodes plus ou moins calmes ou au contraire plus ou moins agitées. Il y a toujours une montée au premier trimestre avec un pic en décembre, puis avant les vacances de février et de Pâques (notons qu’il y a 1000 élèves dans le collège).
Ces chiffres nous permettent aussi d’anticiper sur le terrain, en nous donnant des indication sur le degré de vigilance qu’il faut avoir selon les périodes.
CdA – On est quand-même impressionné par la prédominance de la violence et de l’incivilité, parmi les faits ayant donné lieu au moins à un avertissement ?
DL – Il faut dire que pour nos élèves, qui grandissent dans les cités voisines, mais viennent d’horizons ethniques très variés (70 ethnies différentes), une des valeurs essentielles est la force physique, qui inspire un profond respect. Alors, selon leur degré de maturité, on essaie de dialoguer, mais on peut se heurter à la violence verbale, qui est une autre expression de la force, par l’intimidation, et qui leur est tout à fait naturelle.
CdA – Et finalement, la violence au collège ?…
DL – La violence est un phénomène qui déborde le cadre du collège. Ce qui se passe dans les cités n’est pas du ressort de l’éducation nationale. Si les jeunes peuvent se sentir à l’abri des cités dans le collège, c’est déjà ça. Je crois qu’on peut faire en sorte que cela diminue, mais on ne pourra évidemment pas l’éradiquer. Mais il faut aussi dire qu’il y a un relai médiatique qui ne nous aide pas. Régulièrement, la presse s’empare d’un fait qu’elle monte en épingle, et s’emploie à cultiver l’image d’une violence de banlieue démesurée. L’an dernier par exemple, il y a eu une série de reportages à propos du pillage d’un centre commercial vers la Défense ; nous avons crains à ce moment-là que les jeunes du quartier, qui en ont inévitablement entendu parler, ne cherchent à imiter cela. En fait, c’est le discours de la presse qui crée une banalisation de la violence.
CdA – Est-ce que la violence ne devient pas, aussi, banale, quand on travaille quotidiennement dans ce milieu ?
DL – C’est sûr qu’il y a une certaine banalisation, mais pas au point où la presse monte les choses en épingle. Quand on arrive dans ce type de quartier, si l’on n’a pas l’habitude, cela peut choquer. Mais ce n’est pas insurmontable. Personnellement, j’interviens dans des formations IUFM, et je dis souvent aux stagiaires, qui redoutent d’être mutés ici : « c’est difficile, mais pas impossible ». Si l’équipe éducative travaille dans une direction donnée, avec un niveau de tolérance commun, on peut gérer la violence à l’école.
Propos recueillis par Caroline d’Atabekian