Par François Jarraud
Darcos : Qui paiera la note ?
Après Gilles The Exterminator, aurions-nous Xavier The Pacificator ? A l’issue de la première conférence de presse du nouveau ministre de l’éducation nationale, le 6 juin, on peut se poser la question.
C’est d’abord que l’homme est sympathique. Il est drôle et pratique l’auto-dérision. Ca change de Fillon. Il se méfie de la nostalgie de l’Ecole d’antan. Ca change de Ferry. Il connaît ses dossiers. Ca change de Robien.
Et X. Darcos est rassurant. A propos du bac il rappelle sa valeur. « Je ne participe pas à ce discours sur le bac dévalué…Le bac est un véritable examen qui n’est pas bradé » a-t-il déclaré. Certes les lycéens font davantage de fautes dans leur dictée. Mais finalement ils savent des choses que les générations précédentes ignoraient. Ainsi se définit l’équilibre entre la tradition et la modernité…
Même apaisement à propos de la carte scolaire. X. Darcos la justifie par le respect des droits. « De quel droit refuserais-je à une jeune fille de demander tel établissement où elle pourra travailler mieux ». En même temps il promet que l’assouplissement ne sera pas un raz de marée. « Les choses se passent bien. Il n’y a pas d’embouteillages dans les rectorats. Les parents sont généralement contents de leur école. Nous réaliserons ce projet et nous n’aurons pas mis la pagaille dans l’Ecole ». Le ministre promet de maintenir les moyens des collèges ambition réussite même s’ils perdent des élèves.
Et pourtant on n’y croit pas. Si l’appel au respect des droits des élèves ne peut laisser les enseignants indifférents, l’équité voudrait que le ministre se pose la question de ceux qui ne demandent rien. Ceux-là on les connaît. L’exemple anglais montre que les familles défavorisées, pour des raisons diverses, ne demandent pas à changer d’école. Elles se satisfont de l »école du quartier. Sans le souci de ces familles, la démarche d’assouplissement de la carte scolaire risque de virer au « sauve-qui-peut » des plus instruits et des français « de souche » et à l’écrémage des établissements zep.
Un autre motif d’inquiétude concerne le budget ministériel. Peut-on à la fois promettre d’accueillir de nouveaux élèves dans les établissements de centre-ville, jurer qu’on maintiendra les moyens dans les collèges de banlieue et faire partie d’un gouvernement qui a promis la rigueur budgétaire ? Certainement pas. On croirait presque le rassurant X. Darcos si l’on avait au fond de soi, déjà, la prémonition de savoir qui paiera.
Xavier Darcos : Verbatim
Qui est Xavier Darcos ? Quelles sont ses idées ? Quel est son programme ? Il est le nouveau ministre de l’Education. Gageons que c’est donc, selon la philosophie de M. Sarkozy, le « meilleur » pour faire le job. Une chose est certaine, il connaît la maison : agrégé, docteur en lettres et sciences humaines, inspecteur général depuis 1992, directeur de cabinet de F. Bayrou en 1993, puis conseiller pour l’éducation et la culture du Premier Ministre (A. Juppé), ministre de l’enseignement scolaire du gouvernement Raffarin en 2002. C’est aussi un politique qui s’assume, membre fondateur et dirigeant de l’UMP, maire, député, sénateur…
Plutôt que de s’en remettre à des commentaires plus ou moins flatteurs sur l’homme, le Café vous invite à le découvrir « dans le texte » à travers des extraits de deux sources qui permettent de mieux connaître son programme et sa pensée.
Pour son programme, nous faisons appel au rapport remis par X. Darcos à Nicolas Sarkozy, « Propositions sur la situation morale et matérielle des professeurs en France », en pleine campagne électorale le 10 mars 2007. Pour sa réflexion sur l’Ecole, on a fait appel au blog qu’il tient depuis 2005. Le nouveau ministre vient d’y faire ses adieux.
Ces extraits sont à décrypter. Ils sont parfois, sinon contradictoires, du moins à mettre en parallèle. On y verra par exemple comment se profile, à moyens constants, une redéfinition des services et du temps de travail. Quelque chose qui pourrait devenir « Travailler plus pour gagner autant »…
Xavier Darcos Verbatim
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/XavierDarcosVerbatim.aspx
Les inspecteurs s’inquiètent des intentions de Darcos
« S’il s’agit de donner aux chefs d’établissement un rôle d’inspecteur qui n’est pas le leur, on fait fausse route de manière dramatique : ils ne peuvent, par fonction, être seuls juges et parties, dans une communauté scolaire qu’ils doivent animer en toute sérénité pour obtenir l’adhésion et la cohésion de tous les enseignants. Et ce faisant, réduire le champ d’intervention des inspecteurs aux seuls cas de manquements graves et aux récompenses honorifiques (ou sonnantes et trébuchantes) des « meilleurs », consisterait à dénaturer profondément leur professionnalité pour n’en faire que des censeurs stériles, des gardiens obtus du nouveau dogme d’État : ne réussissent et ne sont récompensés que ceux qui composent la minorité de l’élite, la masse stagne dans son marais, et les « derniers » de la classe sont punis ». Le commentaire du Snpi-Fsu, syndicat des inspecteurs Fsu, est sévère.
Les inspecteurs ne digèrent pas les propositions de Xavier Darcos : évaluer les enseignants selon leurs résultats et confier cette évaluation aux chefs d’établissement. Pour eux, « la valeur d’un enseignant est en fait toujours relative à un contexte nourri de l’histoire de sa carrière (son âge, sa formation, son expérience professionnelle), de celle de l’établissement, de celle de chaque élève composant la mosaïque humaine d’une classe que seule l’année de naissance a initialement composée ; un contexte conditionné aussi par le profil cognitif de chaque élève et par le travail en équipe pédagogique, engagé dans l’établissement. Oublier cela reviendrait à ne valoriser par l’argent que les seuls enseignants ayant face à eux de « bons » élèves, dans de « bons » établissements (comme par hasard, situés dans de « beaux » quartiers), et à stigmatiser les enseignants qui consacrent leur carrière aux élèves en grande difficulté d’apprentissage (issus ou situés, comme par hasard, dans les espaces socio-économiques modestes, ou marqués par le handicap mental). Ce serait aussi mépriser l’investissement intellectuel et humaniste des enseignants qui s’efforcent d’améliorer leurs pratiques pédagogiques pour prendre en compte la réalité cognitive ou culturelle de leurs élèves afin de n’en laisser aucun sur le bord du chemin. Ce serait donc faire fi de la pédagogie, voire de la didactique, c’est-à-dire de ce qui fait le cœur du professionnalisme enseignant ».
Robien laisse une école plus inégalitaire
« Oui, en travaillant pour l’Education nationale, j’ai eu le sentiment de contribuer à dessiner le visage qu’aura notre pays dans quelques années. Le visage d’une France que j’espère plus forte, plus juste ». Gilles de Robien a beau affirmer qu’il a construit « une école plus efficace et plus juste », les experts de son ministère disent le contraire.
Une étude, réalisée par Olivia Sautory, montre que « les enfants de cadres supérieurs représentent 15 % des jeunes de 18 ans, tandis qu’ils représentent 20 % des bacheliers la même année. À l’inverse, si les enfants d’ouvriers représentent près d’un tiers de la même classe d’âge, ils ne forment que 18 % des bacheliers ».
Surtout, la démocratisation du lycée s’est traduite par une spécialisation sociale des filières, c’est ce qu’on appelle la « démocratisation ségrégative ». Ainsi, « au cours de cette période, l’accroissement des taux de scolarisation par âge s’est accompagné d’une augmentation des écarts sociaux d’accès aux différentes séries de baccalauréat : on observe alors un mouvement de spécialisation sociale croissant des séries ».
Ainsi trouve-t-on les enfants de cadres en S, les enfants d’ouvriers et de retraités en bac professionnel. L’effet se renforce dans le supérieur. « La série de baccalauréat joue donc un rôle capital dans l’orientation des bacheliers. Si les disciplines « d’excellence » du supérieur sont encore plus marquées socialement que les séries de baccalauréat les plus prestigieuses, c’est qu’il persiste, pour chaque série, une hiérarchie sociale dans le choix des orientations des nouveaux bacheliers. Cette hiérarchie est différente pour les bacheliers généraux et technologiques et pour les bacheliers professionnels, mais elle est identique en 1997 et en 2004.
Si la spécialisation sociale des séries de baccalauréat s’est stabilisée depuis 1997, leur poids dans l’orientation des nouveaux bacheliers a augmenté, entraînant par conséquent un renforcement du marquage social des publics de chaque discipline du supérieur ». Loin de voir diminuer les inégalités sociales à l’Ecole, le ministère Robien les a vu augmenter.
L’étude
http://www.education.gouv.fr/pid439/sommaire-numero.html
Service minimum : Le droit de grève en question ?
Selon Le Figaro, N. Sarkozy aurait annoncé à la Cftc son intention d’instaurer le service minimum dans l’éducation nationale. Les établissements scolaires seraient tenus d’accueillir les élèves en cas de grève. Si dans le secondaire les établissements restent déjà ouverts, dans le primaire la mesure impliquerait soit que les municipalités payent des animateurs qualifiés ou que des enseignants soient réquisitionnés.
Le Snuipp, premier syndicat du primaire, prévient déjà le futur gouvernement « il s’opposera à toute remise en cause du droit de grève ». On pourra retenir deux choses de ces déclarations : la campagne gouvernementale et médiatique sur l’éducation est lancée et elle va chercher à opposer enseignants et parents.