par François Jarraud
Quelle réforme de la carte scolaire ?
Que dit la recherche sur la suppression de la carte scolaire ? Nathalie Mons analyse pour le Café les politiques menées dans les autres pays développés et nous aide à y voir plus clair sur les enjeux de cette suppression.
Éditorial : L’individualisme érigé en modèle
La suppression de la carte scolaire est-elle susceptible d’amener davantage d’égalité sociale ? Xavier Darcos semble croire à cette hypothèse. « Je commencerai à supprimer progressivement la carte scolaire à partir de la rentrée prochaine » a-t-il annoncé au congrès de la Fcpe. « Ce système ne fonctionne pas dans les quartiers où le besoin de mixité sociale est plus fort que dans les autres. Je considère que l’égalité des chances passe par une redéfinition de nos instruments de mixité sociale, tout en supprimant progressivement la contrainte qui pèse sur les familles ». Dans une logique toute libérale le ministre semble croire que la liberté de mouvement des familles permettra de remédier à la ségrégation scolaire.
A vrai dire, d’autres voix s’élèvent pour dénoncer la carte scolaire. Ainsi le sociologie Mario Oberti, auteur d’un ouvrage à paraître sur le sujet, dénonce, dans la revue Claris, la carte scolaire. « Présentés comme un dispositif de lutte contre la ségrégation scolaire, ces résultats mettent en évidence son faible impact sur les pratiques des classes moyennes et surtout supérieures, qui subissent le moins les contraintes spatiales. Les classes populaires voient au contraire leur assignation spatiale renforcée par une assignation scolaire qui fonctionne de façon beaucoup plus efficace à leur égard. Effet paradoxal d’une mesure visant à lutter contre les inégalités sociales à l’école et qui s’applique précisément de façon profondément inégalitaire en faveur des classes les plus favorisées ». Ainsi la carte scolaire serait devenue plus qu’inefficace : un carcan pour les plus défavorisés. La renforcer « serait une façon de pénaliser les plus pauvres et de protéger les intérêts des mieux lotis » comme l’écrit G. Félouzis.
Mais suffit-il de supprimer la carte scolaire pour mettre fin à la discrimination ? L’exemple des pays qui ont mené cette politique devrait nous éclairer. C’est le cas par exemple de la Belgique ou des Pays-Bas où la disparition de la carte scolaire a conduit à un renforcement de la ségrégation sociale et ethnique. C’est encore plus vrai quand le système diversifie les types d’établissement creusant encore davantage l’écart entre eux. Ainsi François Dubet et Marie Duru-Bellat peuvent écrire « il ne suffit pas de dénoncer la carte scolaire pour proposer une politique et, plus encore, une politique plus juste que celle que l’on condamne. La seule suppression de la carte scolaire serait probablement un remède pire que le mal. En effet, on imagine aisément que, comme sur n’importe quel marché, les acteurs ayant le plus de ressources et d’informations s’en tireront nettement mieux que les autres et que, une fois encore, les plus démunis auront moins de choix, moins d’opportunités et moins encore de chances de réussir dans l’école ». Dans cet objectif, en supprimant la carte scolaire, le gouvernement s’attaquerait à une valeur fondamentale de l’Ecole : le tabou de l’égalité. Sous prétexte d’une égalité des chances toute théorique, il inscrirait au fronton de l’Ecole une nouvelle devise, celle de l’inégalité fondatrice.
Il est urgent de ne pas se laisser enfermer dans cette contradiction. « Je demanderai aux établissements scolaires de veiller à une plus grande diversité sociale et géographique de son recrutement » a promis X. Darcos. Si l’objectif de mixité sociale reste affirmé alors peut-on croire que les établissements scolaires puisent seuls le porter ? Quelle politique générale, quelle politique locale entend-il impulser pour remplacer la carte scolaire ?
Le ministère précise la procédure
Qui pourra bénéficier de « l’assouplissement » de la carte scolaire ? Le ministère publie le 4 juin une liste de cas dérogatoires « dans la limite des places disponibles dans les établissements ». Sont prioritaires pour intégrer un établissement hors du secteur initial de rattachement : « les élèves souffrant d’un handicap ; les élèves boursiers au mérite ; les élèves boursiers sur critères sociaux ; les élèves nécessitant une prise en charge médicale importante à proximité de l’établissement demandé ; les élèves qui doivent suivre un parcours scolaire particulier ; les élèves dont un frère ou une sœur est déjà scolarisé(e) dans l’établissement souhaité ; les élèves dont le domicile est situé en limite de secteur et proche de l’établissement souhaité ». Les parents doivent déposer un dossier avant le 30 juin.
http://www.education.gouv.fr/cid5170/xavier-darcos-assouplit-la-carte-scolaire.html
La carte scolaire et les familles défavorisées
C’est pour mieux assurer la mixité sociale que la suppression de la carte scolaire est réclamée. Elle entre d’ailleurs dans une nouvelle phase avec l’annonce faite par Xavier Darcos à La Brède. Dès aujourd’hui, les parents devraient trouver sur le site du ministère des informations concrètes sur les nouvelles dérogations applicables dès la rentrée. Le ministre annonce 10% de dérogations partout et 20% dans les quartiers défavorisés. Pourront en bénéficier, outre les boursiers, les « bons élèves qui ont le sentiment de ne pas être dan un cadre scolaire favorisant leur progression ». Cette dernière formule est suffisamment floue pour donner aux établissements d’accueil la possibilité de sélectionner librement leurs élèves dans la limite des 20%.
Or un nouvel éclairage vient d’être apporté sur les effets de l’assouplissement de la carte par une étude anglaise du Runnymede Trust, une association de soutien aux minorités ethniques. Elle note qu’un peu partout les gouvernements sont tentés par une politique d’assouplissement de la carte scolaire et par la diversification de l’offre scolaire. Ils pensent qu’en libérant le choix parental on améliore le niveau général des écoles et on permet aux enfants des milieux défavorisés de quitter leur ghetto et d’accéder aux écoles des quartiers plus favorisées.
Pourtant le bilan est tout autre constate le Runnymede Trust. La ségrégation ethnique a augmenté dans les écoles anglaises et la mixité sociale diminué. Ce qui est particulièrement intéressant c’est que l’étude essaye précisément de comprendre pourquoi les familles des « minorités visibles » n’ont pas bénéficié des nouvelles règles.
Elle met en avant plusieurs raisons. Certaines tiennent à la vie familiale. Pour des familles pauvres mais nombreuses, il est plus simple d’envoyer tous les enfants dans l’école du quartier. L’étude montre aussi que les immigrants de fraîche date choisissent toujours l’école locale. Parfois ils la préfèrent justement parce qu’elle permet de rester entre soi. Souvent les démarches à effectuer pour entrer dans une école nouvelle les font reculer.
Ce que montre finalement cette enquête, c’est que les parents des milieux défavorisés sont souvent incapables d’exercer leur choix. Il y a un écart important entre leurs attentes scolaires et l’école dans laquelle se trouve leur enfant. Ce que dit cette étude c’est que supprimer la carte scolaire au nom des familles défavorisées est un argument fallacieux. C’est aussi montrer que la libre concurrence entre écoles ne peut assurer une réduction des inégalités entre établissements et relève avant tout d’un choix idéologique.
CRAP : Il faut maintenir une école hétérogène
« Tant que la course aux soi-disant bons établissements sera possible, il n’y a aucune raison pour que la plupart des parents, donc des citoyens, puissent penser la scolarité autrement qu’en terme d’élitisme ». Pour le Crap Cahiers pédagogiques il y a un lien objectif entre mixité scolaire et mixité sociale. La remise en question de la carte scolaire aboutirait à renforcer les écarts entre établissements voire à revenir à des filières différentes de fait entre école de la bourgeoisie et école du peuple.
» C’est en aidant quelqu’un à apprendre que l’on apprend vraiment, c’est souvent par l’explication de quelqu’un qui vient d’apprendre que celui qui n’a pas compris peut surmonter ses difficultés, c’est un des rôles de l’école que de créer ces occasions de rencontres et d’entraide » affirme le Crap. Du coup il demande « la « mixité scolaire » des établissements, et des classes à l’intérieur des établissements… À la limite, peu importe qu’on ait affaire à des enfants de riches ou de pauvres, l’essentiel du point de vue de la réussite scolaire (et même de la socialisation) et des uns et des autres, c’est qu’ils soient mélangés, au moins pour une part importante des activités d’apprentissage ».
Le Crap propose « d’imposer aux établissements un recrutement qui soit le reflet des performances scolaires moyennes de la jeunesse, en scolarisant par exemple au moins 50 % d’élèves en dessous de 70 % de réussite aux évaluations nationales ? Par une telle mesure, l’État obtiendrait très probablement une réelle mixité sociale dans les écoles, se donnerait les moyens de repérer les établissements scolaires réellement efficaces, garantirait sans doute mieux qu’actuellement l’égalité de l’offre éducative sur tout le territoire ».
http://www.cahiers-pedagogiques.com/article.php3?id_article=3164
Les propositions des chefs d’établissement du Snpden
« Nous en sommes conscients, le « retour » à une sectorisation stricte, qu’impliquerait la simple défense du principe de la carte scolaire sans autre considération, n’est pas envisageable en l’état actuel des choses. Les engagements pris par le nouveau Président de la République conduisent même à aller dans le sens opposé ; nous le regrettons mais en prenons acte, considérant que le statu quo, en tout état de cause, ne garantit aujourd’hui ni la mixité sociale ni l’égalité. Mais la suppression sans autre forme de procès et sans mesures de régulation, et pour commencer de nouveaux « assouplissements » sans précaution, ce serait la pire des solutions, puisque nous constatons sur le terrain que les inégalités entre les établissements, comme les inégalités en matière d’affectation selon l’appartenance sociale des élèves, sont l’une des conséquences les plus évidentes des expériences antérieures, au détriment d’une mixité scolaire plus compromise encore que la mixité sociale des quartiers où se situent les établissements ». Dans une longue lettre ouverte adressée au ministre de l’éducation nationale, le Snpden, principal syndicat de chefs d’établissement, fait connaître ses « propositions ».
Le syndicat estime que « Moins de carte scolaire, c’est rendre nécessaire une régulation et une organisation par d’autres moyens ». Aussi il attire l’attention du ministre sur 5 mesures. D’abord il recommande de donner la priorité aux demandes de proximité. Il souhaite que les implantations futures des établissements tiennent compte des objectifs de mixité sociale. Deux mesures semblent plus radicales. Le Snpden demande que « une partie des moyens attribués aux établissements soit calculée selon des critères destinés à favoriser l’accueil des élèves de leur secteur, et à encourager leur contribution à l’objectif général de mixité scolaire, afin de stabiliser, voire de corriger l’effet d’écart croissant des inégalités entre les établissements ». L’Etat devrait cesser d’accorder les moyens selon les effectifs bruts ce qui favorise les établissements qui attirent le plus les élèves. Le Snpden demande aussi que soit dissociée la carte des options et les processus d’affectation. « La pratique devrait être d’offrir les options en fonction des besoins du public scolaire accueilli (éventuellement sous des formes mutualisées entre les établissements), et non d’en faire un produit d’appel permettant la sélection d’un public privilégié ».
Le ministre, dans un entretien accordé au Parisien, annonce qu’il se fixe trois rentrées pour supprimer la carte scolaire. Pour permettre la mixité sociale, il envisage de renforcer les moyens dans les établissements défavorisés.
Le Snpden vigilant
« La suppression progressive mais totale de la carte scolaire sur la seule base du libre choix des familles nous inquiète » a déclaré Philippe Guittet, secrétaire général du Snpden, premier syndicat des chefs d’établissement, à Nicolas Sarkozy. « Sans accompagnement, elle présagerait d’une modification profonde de l’organisation de notre système éducatif. En revanche, si comme nous le souhaitons, l’obligation de mixité scolaire prime sur le libre choix des familles, il sera nécessaire de mettre en place une régulation. Toute autre conception extensive de la concurrence entre établissements ne pourrait qu’entraîner la disparition de l’Ecole publique laïque et d’un service public national de l’Education. Une nouvelle fois, l’égalité des chances resterait une formule creuse et les notions que nous soutenons de travail et de mérite n’auraient pour vocation que de stigmatiser les élèves en difficulté et ceux issus des milieux défavorisés. Cette année, nous serons particulièrement vigilants sur l’application des nouvelles mesures dérogatoires ».
Le Snpden a aussi repris le président sur le terrain de la mémoire. « Pour conclure, si vous me le permettez, je voudrais émettre un vœu : le refus de toute repentance que vous avez défendu ne doit pas mettre fin à tout travail de mémoire. Le devoir de mémoire est indispensable, non pas pour que certains se posent en victimes ou en créanciers de la société, mais pour éviter l’oubli et surtout trouver une promesse d’avenir. Cette promesse d’avenir, c’est redonner du sens. C’est réaffirmer l’identité nationale, et au-delà européenne, autour du concept de laïcité ».
Quel effet en zone rurale ?
« . En milieu rural, l’absence de régulation va en plus fragiliser les plus petits établissements ». Le Sgen Cfdt de Basse-Normandie met en garde les élus locaux des zones rurales : la suppression de la carte scolaire va accélérer la désertification.
Pour le Sgen, « l’attractivité vers les villes est forte en particulier quand les parents y travaillent ; une dizaine de nos collèges ruraux ou périurbains ont des effectifs inférieurs à 250 élèves. La suppression de la carte scolaire fragilisera nombre d’entre eux… Concernant le 1er degré, si demain les familles séduites par la mesure ont le choix d’inscrire leur enfant dans une autre école que celle de leur commune c’est tout l’équilibre de notre réseau et l’avenir de nos regroupements pédagogiques qui est en jeu ».
Sur le Café : dossier sur l »école rurale
Une réponse anglaise : Parents ouvrez vos écoles !
« Il y aura une réponse complète. On offrira aux parents des options pour améliorer leur école ou, s’ils le souhaitent, on les aidera à ouvrir leur propre nouvelle école ». C’est la réponse anglaise à la question de la carte scolaire. Lord Adonis, ministre de écoles, a annoncé son intention de renforcer les pouvoirs des parents. Dès maintenant chaque ouverture d’école sera soumise à compétition.
http://education.guardian.co.uk/policy/story/0,,2088370,00.html
Recette anglaise : Marier Henri IV et le lycée Gagarine
« Les lycées les plus prestigieux devraient nouer des partenariats avec les lycées de Zep ». L’idée vient d’un député britannique, patron du Specialist Schools and Academies Trust (SSAT), un organisme qui anime un réseau d’établissements installés dans des quartiers populaires. Il demande que chacune des 164 Grammar Schools, les établissements les plus sélectifs du système éducatif anglais, puisse venir en aide à un établissement défavorisé. Cela pourrait devenir la condition mise au maintien de leurs privilèges.
http://news.bbc.co.uk/1/hi/education/6684829.stm