« Une réduction significative des horaires ne pourra être obtenue sans une réforme d’ensemble de l’organisation des enseignements et du pilotage du système éducatif ». Extraite des rapports d’audit sur les grilles horaires des lycées et des collèges publiés le 17 octobre (voir article ci-dessous), cette phrase résume le glissement opéré dans l’éducation nationale. L’organisation des enseignements et le pilotage du système sont dirigés par un objectif strictement comptable : la réduction des horaires.
Vous en doutez ? Voici un autre extrait à méditer : » Sous réserve d’une validation indépendante des besoins d’investissements générés par la réforme, la mission recommande la création d’un baccalauréat technologique « sciences et technologies » à la rentrée 2007, simplifiant les spécialités actuelles et allégeant la charge horaire des enseignements ». Voilà une brochette d’inspecteurs des finances qui inventent une nouvelle filière de l’enseignement technologique justifiée uniquement par son coût plus réduit que les filières existantes (dont le rapport vante quand même les économies de 5 à 10% !).
Un dernier exemple ? On se souvient que la loi Fillon a décidé le dédoublement des cours de langues en terminale. Une mesure qui a d’ailleurs bien du mal à être appliquée deux ans plus tard. Les auteurs de l’audit sur les lycées ont une solution à ce problème : » l’allègement des structures à 20 élèves en moyenne en terminale générale et technologique en 2006, en première en 2007, devrait s’accomplir au rythme de la réduction du nombre de groupe de langues vivantes inférieurs à 15 élèves ». En clair le dédoublement ne serait plus de droit mais résulterait d’un marchandage comptable au niveau académique, histoire de les inciter à mieux gérer. Ainsi a-t-on le privilège de vivre en direct la prise de contrôle de la rive gauche par la rive droite, Grenelle par Bercy.
Les experts qui pilotent cette révolution ne manquent pas d’arguments. Ils ont beau jeu de faire remarquer la hausse des dépenses d’éducation par rapport à la stagnation du taux d’accès au bac ou au brevet. Pour eux, il est clair que les deux courbes auraient dû, au minimum, augmenter de concert. Ils remarquent également que la France dépense davantage que certains pays de l’Ocde pour son système éducatif. Ainsi, l’Ocde a calculé que les dépenses cumulées pour la durée des études primaires et secondaires se montent à 85 084 dollars en France contre 77 204 pour la moyenne des pays de l’Ocde. On dépense en France en moyenne 7 807 dollars par élève contre 6 827 pour la moyenne Ocde. Le système éducatif paraît donc « riche », voir « gras » par rapport à ceux des voisins.
Et ils avancent des idées qui peuvent sembler intéressantes : accorder davantage d’autonomie aux établissements, réduire le taux de redoublement, lutter contre l’émiettement disciplinaire.
Pourtant ces arguments comptables n’emportent pas l’adhésion. L’analyse plus fine des statistiques montre que la situation est plus complexe qu’elle ne paraît. Certes le budget de l’éducation nationale est passé de 55 à 65 milliards d’euros de 2000 à 2005. Mais cette hausse correspond à un simple maintien en terme de PIB (à 3,9% du PIB). La dépense intérieure d’éducation en France, après avoir progressé dans les années 1990, est même orientée à la baisse depuis 1998. Elle est passée de 7,6% du pib à 7,2% en 2005. De même pourra-t-on remarquer que si la moyenne de l’Ocde monte à 77 204 $ par élève, elle dépasse les 100 000 $ aux Etats-Unis, au Danemark, en Norvège, au Luxembourg, en Italie etc.
Ce qui est certain c’est que la productivité de l’école ne suit pas une logique arithmétique. C’est un fait avéré que les dépenses éducatives progressent avec le niveau de qualification de la population. Si l’alphabétisation a un coût modéré, la réussite de tous dans le secondaire mobilise des moyens de plus en plus importants puisque, pour réduire des « poches » de résistance de plus en plus difficiles, il faut inventer des moyens nouveaux. Parallèlement, le jeu social fait que la demande d’options évolue plus rapidement que les taux de scolarisation. Ainsi tous les pays développés connaissent une hausse rapide de leurs budgets éducatifs. Enfin jouent des particularités françaises comme le fort taux de redoublement.
Mais renvoyons les calculettes : la productivité de l’Ecole c’est autre chose. Pour paraphraser un ancien ministre, on pourrait poser la question : « qu’est ce qu’une scolarité réussie ? » Doit-on déplorer ce que coûte le déploiement de moyens supplémentaires en zep ? Doit-on chiffrer l’existence d’enseignements « inutiles » c’est-à-dire sans rentabilité directe sur le marché du travail ? Doit-on expertiser le prix de l’épanouissement ? Celui des découvertes ? Pour le dire plus clairement, à appliquer à l’Ecole des normes strictes de productivité ne risque-t-on pas de la considérer comme un service et non plus comme une institution ?
Un glissement préjudiciable. Ce glissement apparaît très clairement dans les deux rapports d’audit. Les effets sociaux des mesures proposées ne peuvent que mobiliser fortement les enseignants contre un plan qui aggravera très sensiblement les conditions de travail dans les établissements. Mais cet audit pourrait avoir un effet plus délétère.
Qui ne voit que l’école a besoin de davantage d’autonomie ? Qu’un nouveau découpage du temps scolaire est nécessaire et que certains établissements l’ont réussi ? Qui s’opposerait à une prise en charge plus individualisée des élèves ? Mais comment accepter ces idées quand elles sont utilisées uniquement pour réaliser des économies.
En dénaturant un certain nombre de propositions, en cherchant à imposer une évolution brutale du système, il prend le risque d’empêcher toute évolution d’un système éducatif qui a bien besoin de bouger. Ajoutons que diminuer les moyens sans faire évoluer l’Ecole dans ses pratiques et ses conceptions ne peut qu’aggraver ses difficultés. L’avenir de l’Ecole ne peut pas se régler par des audits financiers.