Bibliographie
Très interessant ouvrage que publie le groupe ESCOL-Paris VIII qui, dans la lignée des travaux d’Elisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex, centre la focale sur les risques de construction des inégalités scolaires dès l’Ecole maternelle. Ecrit à plusieurs mains, l’ouvrage s’appuie sur une recherche permettant d’éclairer la manière dont les pratiques scolaires peuvent aider les élèves à mieux tirer parti de l’Ecole maternelle, ou au contraire renforcer la mise à distance des élèves des milieux populaires.
Apprendre à l’Ecole ; apprendre l’Ecole
Des risques de construction d’inégalités dès la maternelle
sous la direction d’Elisabeth bautier, Equipe ESCOL
Editions Chroniques sociales
256 pages – 16,5 Euros – ISBN 2-85008-599-5
Pour cette équipe, il peut en effet y avoir « malendendu » entre les situations proposées par l’enseignant et ce qu’en comprennent certains élèves : ainsi (chapitre 3), là où un enseignant a pour objectif des faire remettre en ordre les mots d’une phrase en les découpant, l’élève en difficulté centrera son attention sur « bien découper », perdra un temps fou sur cette tâche, et ne disposera plus du temps nécesssaire pour ce qui est essentiel pour l’enseignant. Dans le même ordre d’idée (chapitre 6), les auteurs interrogent le sens des tâches réalisées individuellement (parce cela semble correspondre à la nécessité de l’ordre scolaire, parce que c’est plus facile à évaluer par l’enseigant) sans qu’elle aient été préalablement mises en construction cognitive dans des activités collectives, notamment par les verbalisations nécessaires par les élèves.
La maternelle, c’est pour jouer ?
La première partie de l’ouvrage, consacrée à l’histoire de la maternelle, tente de dégager pourquoi certaines ambiguïtés de ses objectifs, stratifés au cours des évolutions de programmes, peuvent subsister : le jeu est-il réellement le moyen de s’initier aux « apprentissages fondamentaux » ? les enfants de maternelle se développent-ils mieux si on s’adapte à leur « nature » ou si on les laisse « libres » ? L’enfant doit-il primer sur l’élève ? La maîtresse doit-elle ressembler à une mère de famille, douce et bienveillante ? Faut-il se méfier de la « primarisation » de la maternelle ? Ces réflexions renvoient à ce que disait Anne-Marie Chartier au colloque Observatoire de la petite Enfance en France le 21 juin 2006 : « ces évolutions se sont finalement produites en très peu de temps : rien d’étonnant à ce que subsistent encore de larges scories des représentations anciennes ».
Interrogeant les décalages possibles entre les enseignants et les attentes parentales des catégories les moins favorisées, cette première partie conclut, sans céder à la leçon de morale, sur les tensions professionnelles qui pèsent sur les enseignant-e-s de maternelle.
Comment l’enfant devient-il élève ?
La seconde partie met l’accent sur des notions jusqu’ici surtout explorées pour l’école primaire et le collège : les confusions entre tâche et activité, la problématique du « faire » et de « l’apprendre », la difficulté pour le maître à ajuster dans la classe les relations individuelles et collectives, les différents usages du langage dans la construction du sujet et des savoirs. Ils répondent en cela à certaines critiques parfois portées sur les pédagogies centrées sur l’enfant : l’élève « actif » est-il forcément en train d’apprendre ? Quels sont des « mobiles » pour agir ? Quelles ruptures organiser pour dépasser l’expérience ordinaire et permettre les premières conceptualisations, catégorisations, mise en ordre progressif du monde ?
Préférant le terme « mobilisation » à celui de « motivation », au sens de « réunir ses forces pour faire usage de soi comme ressource », les auteurs prennent l’exemple de situations concrètes, par exemple en motricité, en observant la manière dont certains élèves se centrent sur la recherche de sensations ou de performances, et en interrogeant la place de l’enseignant, permettant ou non à l’élève de sortir de la confusion pour construire des liens, des catégories par l’appel à la réflexivité collective. Il s’agit donc, dès la maternelle, de dépasser la centration sur le « faire » pour arriver à « l’apprendre », de « décrypter le travail scolaire » pour aider les élèves qui sont le plus distants des habitus scolaires, ceux pour qui la tâche à effectuer se réduit souvent à sa forme (découper, coller…) quand l’enseignant (ou le bon élève) pensent « classer, trier, ranger »…
Ils interrogent donc les excès du travail individuel, de la tâche standardisée sur photocopie qui limite le temps des apprentissages collectifs, ceux où on peut échanger, confronter, mettre en mot la difficulté…
Ils rejoignent d’ailleurs en cela les demandes des instructions officielles (« désigner le monde qui nous entoure, agir sur lui par la parole, se remémorer des situations qui ont existé…) (et du récent document d’application des programmes sur les langages
http://www.cndp.fr/doc_administrative/essentiel/b_le_langage_en_maternelle.pdf
Lever les malentendus ?
La troisème partie entend « lever les ambiguïtés » sur l’apprentissage en maternelle. A travers des exemples concrets, par exemple des usages des objets du monde extérieur, les auteurs demandent au lecteur de réfléchir sur l’usage scolaire spécifique qui en est fait : la gommette n’est pas « l’objet qu’on colle », mais l’objet qui va permettre de symboliser le codage, la catégorie, le nombre… Ils montre comment l’enseignant, par son attitude exigeante (et fatigante !), peut aider l’élève à « réajuster » sa position au cours de l’activité, l’amenant progressivement à se centrer sur le savoir en cours d’acquisition. Là encore, des exemples concrets interrogent les séances de « motricité » ou de « rituels » qui contribuent à « lever les malentendus » de l’activité scolaire.
Cet ouvrage exigeant est un outil intéressant qui permettra aux enseignant-e-s de maternelle de prendre de la distance sur ce qui se fait dans leur classe, en y puisant des pistes de réflexions pédagogiques très pertinentes pour mieux faire entrer chaque élèves dans l’aventure de l’apprentissage. On est loin de l’opposition, savamment orchestrée par les réactionnaires de tout poil, entre centration sur l’élève ou sur le savoir.
A noter que la bibliographie de fin d’ouvrage est particulièrement complète, et sera une aide efficace pour qui cherche à enrichir son corpus de lectures professionnelles, y compris bien au-delà de la maternelle…
Patrick Picard
– Le compte-rendu du Café des entretiens de l’Observatoire de l’Enfance, et le point de vue de Christine Passerieux sur le document d’application des programmes sur les langages en maternelle
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lemensuel/lenseignant/primaire/Pages/2006/74_accueil.aspx
– Une conférence de Christine Passerieux
http://zep89.ouvaton.org/article.php3?id_article=69
– Un autre propos de chercheur, Mireille Brigaudiot : pas exactement dans le même registre, mais néanmoins passionnant :
http://progmaternelle.free.fr/
– Une conférence de Mireille Brigaudiot
http://zep89.ouvaton.org/article.php3?id_article=66