Dossier spécial
ZEP : Une « relance » du bout des doigts…
« Il faut donner vraiment plus à ceux qui en ont vraiment besoin. Et le faire selon des critères nationaux, précis et pertinents. Des critères sociaux et scolaires, qui traduisent la situation concrète des élèves ». C’est avec ces fortes paroles que Gilles de Robien a entamé sa présentation de son « Plan de relance des ZEP – 1ère étape ».
« A la rentrée 2006, tout établissement actuellement « zep » conservera les moyens qu’il reçoit à ce titre ». Le ministre s’est voulu d’abord rassurant à un moment où la contestation fait rage dans certains établissements. Jusqu’à la rentrée 2007, les établissements sont divisés en deux catégories : EP1, les « plus prioritaires » et EP2 : les autres qui gardent les moyens acquis. Après cette date, un nombre indéfini d’établissements sera classé « EP3 », c’est-à-dire destinés à quitter les ZEP. Pour le moment, il annonce l’entrée de 18 nouveaux établissements, principalement des DOM, en zone prioritaire.
La « relance » ne concerne donc que les établissements EP1. Le ministre a retenu 249 collèges auxquels s’ajoutent près de 1600 écoles. Ces établissements bénéficieront de moyens accrus : 3000 assistants d’éducation et 1000 enseignants. Ces derniers « conservant une charge d’enseignement à temps partiel, ont aussi pour mission d’accompagner les élèves dans le cadre des programmes personnalisés de réussite éducative et de participer à l’accompagnement des jeunes enseignants. L’affectation de ces personnels supplémentaires permettra aussi de donner de la souplesse à l’emploi du temps des professeurs pour favoriser le travail en équipe et la concertation ». Collèges et écoles primaires seront organisés en réseaux pilotés par un « comité exécutif » constitué du principal et des directeurs.
Les TIC sont elles aussi mobilisées : « le ministère lancera un appel à projet visant à soutenir des initiatives de communes ou de groupements de communes, d’associations, de partenaires de l’Éducation nationale, pour la mise en oeuvre de services d’accompagnement à la scolarité utilisant les TIC. Les projets présentés concerneront en priorité les élèves de la fin de l’école primaire en difficulté scolaire pour des raisons diverses : maîtrise insuffisante de la langue, absence de méthode de travail, lacunes disciplinaires ; ils prendront en compte la nécessaire transition entre l’école et le collège ».
Le ministre semble avoir entendu plusieurs remarques amenées par les mouvements pédagogiques, comme l’OZP, ou les syndicats. Il a enfin compris que la politique ZEP devait impliquer à égalité les écoles. Il y a l’amorce d’une volonté de stabiliser les équipes, en donnant aux enseignants de ZEP quelques avantages (priorité pour les mutations).
Mais ces avancées sont contrariées par d’autres choix. Ainsi le ministre abandonne le souhait de voir arriver en zep des enseignants chevronnés. Les 1000 « professeurs expérimentés » seront choisis parmi les plus anciens, ou les moins récents, des enseignants actuels en zep. Les équipes pédagogiques sont mentionnées mais les professeurs ne bénéficieront pas de temps de concertation. Alors que les travaux de T. Piketty ont établi qu’une baisse sensible des effectifs élèves aurait un impact positif sur les résultats des élèves les plus en difficulté en zep, les moyens annoncés ne permettent pas de l’envisager. Enfin, ces quelques moyens supplémentaires sont fournis par prélèvement sur les dotations des autres collèges, y compris, sans doute, les EP2.
Sur d’autres points le ministre assume totalement ses choix idéologiques. Ainsi quand il évoque les parents des élèves en zep. « Pour que les parents soient mieux impliqués dans le suivi scolaire de leurs enfants, l’école ou le collège devront expliquer aux parents le règlement intérieur ». On retrouve là les préjugés négatifs du ministre.
Car, finalement, la définition sociale des zep n’est qu’une façade. « Mon action pour l’éducation prioritaire doit être comprise dans cette perspective : il ne s’agit pas d’une énième politique de zonage, il s’agit de l’application du même principe d’aide personnalisée , adapté à proportion du nombre d’élèves en difficultés ! » affirme le ministre. L’échec scolaire reste une affaire individuelle. Ainsi il annonce la multiplication des bourses au mérite. Il maintient sa décision de permettre aux collégiens bien notés des zep de choisir leur lycée, c’est-à-dire de pouvoir sortir de leur banlieue, écrémant ainsi les établissements du secteur. Pour Gilles de Robien, la réussite individuelle vaut toujours mieux qu’une politique sociale. On atteint là la limite de ce qui est présenté comme une « relance ».
http://www.education.gouv.fr/actu/element.php?itemID=200628932
Les réactions au plan Zep
« Le ministre affirme que les moyens des établissements actuellement ZEP seront maintenus à la rentrée 2006. Mais aucune garantie n’est donnée pour 2007. Et surtout les éléments concrets connus pour la préparation de la rentrée 2006 montrent que beaucoup des collèges ZEP perdront des moyens à effectifs constants (-12 postes pour les Yvelines par exemple) » affirme le Snes.
Le Se-Unsa« constate que les arbitrages rendus prennent en compte certaines de ses demandes » mais présente » quatre défauts majeurs (qui) hypothèquent toujours la relance annoncée par le ministre » : pas de détermination à combattre les inégalités, pas d’articulation avec la politique de la ville, « aucune mesure ne vise l’objectif d’une plus grande mixité sociale », peu de chance de voir les équipes se stabiliser vraiment faute de moyens.
Le Snuipp évoque « un rendez-vous manqué » : « sous couvert d’« individualisation des parcours », c’est une école à deux vitesses qui est organisée. Pour certains élèves, la découverte et le projet professionnels dès la quatrième préparent les sorties précoces du système scolaire. Pour d’autres, seront réservés la possibilité de déroger à la carte scolaire ou le développement des bourses au mérite. Ces mesures vont à l’encontre d’une politique de mixité sociale ».
Le Sgen-Cfdt « conteste fortement l’abandon de la notion « territoire » qui prend en compte la situation sociale, économique au profit d’une logique de « public »…, regrette… l’absence réelle de moyens nouveaux…., constate le peu de prise en compte des partenaires (parents, collectivités, associations, …) dans le cadre de projet ».
Pendant que le ministre tenait sa conférence de presse, le directeur de l’école élémentaire Chevreul-Gay du Petit-Quevilly (76), située en zep, entamait son troisième jour de grève de la faim pour empêcher la fermeture d’une classe CLIS.
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article.php3?id_article=1007
http://www.se-unsa.org/presse/comm/page.php?id=060208
http://www.snuipp.fr/article3167.html
L’OZP approuve sous réserves les mesures Robien
« L’OZP estime que les mesures sur les ZEP annoncées le 8 février constituent un ensemble cohérent susceptible de donner un nouveau souffle à l’éducation prioritaire. Le dispositif de pilotage, l’annonce d’un accompagnement par des enseignants expérimentés affectés dans l’établissement, l’amorce d’une politique de gestion des ressources humaines constituent des avancées importantes ». Mouvement pédagogique regroupant de nombreux acteurs des ZEP, l’Observatoire des Zones Prioritaires assortit cette approbation de réserves.
« L’OZP est foncièrement opposé à la mesure… qui prévoit un écrémage au niveau des lycées : cette mesure renforce les difficultés des lycées situés en ZEP ou à proximité, et elle peut placer les élèves transplantés dans des contextes où leur intégration sera malaisée ». Elle suggère un renforcement de quelques lycées situés en ZEP pour accueillir ces élèves.
Mais, plus globalement, l’OZP estime que d’autres mesures ministérielles peuvent « brouiller le message ». C’est le cas des interventions du ministre sur la lecture, du silence sur les cycles à l’école, de la suppression des moyens pour une mise en place efficace des IDD au collège et de l’apprentissage à 14 ans. « Ces différents éléments peuvent apparaître en contradiction avec les mesures spécifiques prises pour l’éducation prioritaire ».
http://www.association-ozp.net/article.php3?id_article=2173
Penser équipes
« L’important, c’est le travail en équipe pour éviter que chacun ne travaille dans son coin. Les enseignants ont véritablement besoin de temps de concertation, pour la cohérence de leur travail. Les équipes doivent pouvoir, face à certaines difficultés, bénéficier du travail et de l’inventivité des autres ». Dans Fenêtres sur cours, Nicolas Renard, président de l’Observatoire des zones prioritaires, demande une politique nouvelle pour les ZEP.
Point commun avec les déclarations ministérielles : la reconnaissance de situations hétérogènes dans les ZEP. « Il y a vraiment urgence pour une centaine de sites tout à fait prioritaires ». L’analyse semble diverger dans la priorité accordée au travail d’équipes enseignantes. « Il faut rehumaniser ces lieux par un investissement particulier avec par exemple au niveau de l’école, des enseignants volontaires qui viennent par rapport à un projet précis. Il faut aussi des enseignants supplémentaires et bien réfléchir à la façon dont on les utilise. Pas pour abaisser de façon mécanique et résiduelle l’effectif des classes mais pour pouvoir travailler à certains moments en plus grand groupe, à d’autres avec 20, 15 ou 12 élèves ou en tout petits groupes ».
Pour l’OZP, « le débat actuel, aide individuelle aux élèves ou aide aux territoires est stérile… Mais on ne peut faire travailler un élève sans tenir compte de ses problèmes de santé, familiaux ou autres. On est obligé de travailler de manière concertée et cohérente avec les différents intervenants du quartier, du territoire. Il s’agit d’aider un élève dans un territoire ».
http://www.snuipp.fr/IMG/pdf/fsc279.pdf
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2006/tribune_69_accueil.aspx
L’appel d’une zep : les professeurs de Clichy
» Pourquoi ne pas avoir consulté ceux qui habitent, connaissent et travaillent dans ces quartiers ?… Pourquoi finance-t-on ces mesures en supprimant dans les 5e et 4e de France une demi-heure consacrée le plus souvent au soutien alors que l’échec scolaire est un véritable fléau national ? Pourquoi prive-t-on à terme un certain nombre d’établissements des avantages octroyés par l’Education prioritaire au prétexte que certains sont encore plus difficiles ? Pourquoi finance-t-on ces mesures en supprimant dans les 5e et 4e de France une demi-heure consacrée le plus souvent au soutien alors que l’échec scolaire est un véritable fléau national ? »
Pour les professeurs et parents de Clichy, signataires de cet appel paru avant l’annonce du plan Zep, c’est « parce que les choix éducatifs sont toujours des choix de société ». Les 3 collèges de Clichy sont maintenant classés EP1. http://www.liberation.fr/page.php?Article=357275
Inégalité sociale à l’école : Piketty propose une solution
« Après une période d’échanges quasi théologiques sur la notion même de discrimination positive et sur le dilemme égalité/équité, il est plus que temps aujourd’hui que le débat français entre dans une seconde phase, avec des discussions plus techniques et plus précises sur le contenu même des politiques susceptibles d’être mises en oeuvre, ici et maintenant ». Thomas Piketty présente dans Le Monde du 20 février ses propositions pour lutter contre l’inégalité sociale à l’école. Pour lui réduire la taille des classes en Zep serait efficace.
Des idées déjà présentées dans le Café en septembre 2004 et que T. Piketty expose ainsi dans Le Monde. « Au niveau du CE1, on constate par exemple que les écoles obtiennent généralement une seconde classe au-delà de 30 élèves inscrits, si bien que la taille moyenne de classe chute de façon importante dans les écoles comptant 32-33 enfants inscrits plutôt que 28-29. Or on observe que ces variations aléatoires des tailles de classe, conséquence des hasards de la démographie locale, engendrent à l’entrée en CE2 des variations parfaitement symétriques de la réussite aux tests de mathématiques… Les effets sont sensiblement plus importants pour les enfants défavorisés. Les coefficients obtenus sont quantitativement importants : par exemple, une réduction de la taille des classes à 17 élèves en CP et CE1 en ZEP (au lieu de 22 actuellement) permettrait de réduire de près de 45 % l’inégalité en mathématiques à l’entrée en CE2 entre écoles ZEP et hors ZEP…. Contrairement à une idée tenace en sciences de l’éducation, les instituteurs semblent tout à fait capables de tirer eux-mêmes parti de classes plus réduites ».
Interrogé par le Café lors de la conférence de presse sur le plan Zep le 8 février, Gilles de Robien avait écarté cette proposition.
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-743162@51-653571,0.html
Une proposition de loi pour l’égalité d’accès aux CPGE
« La détermination des meilleurs élèves bénéficiaires de ce droit d’effectue lycée par lycée ». Yannick Bodin, sénateur PS, propose que l’accès aux CPGE soit décidé dans chaque établissement, ce qui ouvrirait ainsi la porte aux jeunes de banlieue.
http://www.senat.fr/leg/ppl05-182.html
Les enseignants, levier essentiel pour M. Duru-Bellat
« Il faut choisir d’agir sur les leviers les plus efficaces : les personnels, leur pédagogie et l’enseignement. Ce n’est pas simplement en mettant un peu d’argent dans un établissement qu’on va y arriver. Il faut qu’on arrive à mobiliser les enseignants, à les former, à attirer en ZEP les plus expérimentés. Le plus important, ce sont les « ressources humaines » qu’on met dans les ZEP ». Pour Marie Duru-Bellat, dans Fenêtres sur cours n°280, la politique ZEP doit s’appuyer sur les enseignants.
« Il faut aussi qu’on réfléchisse aux pratiques pédagogiques qui se sont révélées les plus efficaces en regardant par exemple dans les pays étrangers. Il y a des pays comme le Royaume Uni qui ont réussi bien mieux que nous avec des méthodes pédagogiques bien précises, avec un pilotage fort et une évaluation sérieuse ».
Elle rejette l’idée d’une politique basée uniquement sur le suivi individualisé et souligne une erreur du plan Robien : l’accent mis sur le collège au détriment de l’école. » Les politiques scolaires doivent se centrer sur les premiers niveaux. Dans les débats européens, on en revient toujours à cette idée d’intervenir le plus tôt possible. Sortir quelques élèves des zep pour les faire entrer en Sciences-po, c’est intéressant, mais c’est beaucoup trop tard pour avancer vers l’égalité des chances ». A noter également, dans ce numéro, un dossier qui met en valeur les zep qui réussissent.
http://www.snuipp.fr/IMG/pdf/fsc280.pdf
http://www.adobe.fr/products/acrobat/readstep2.html
Ne pas oublier l’école et les équipes
» Je fais des réserves sur l’entrée prioritaire par les collèges, qui « avec les écoles primaires de leur secteur formeront des réseaux de réussite ». Les ZEP ont permis un vrai travail en continuité avec le premier degré et cette dimension interdegrés risque de passer à la trappe ». Nicola Renard, président de l’OZP, critique lui aussi le dispositif Robien dans un débat mené par l’Observatoire des zones prioritaires (OZP). De riches échanges où des acteurs de terrain décortiquent les mesures gouvernementales.
Le Sgen-Cfdt a également pris position sur la loi Robien. Si le syndicat reconnaît qu’il faut » partir d’un ciblage des territoires où les difficultés sociales et scolaires sont les plus graves », il demande davantage de moyens. Surtout il estime que les équipes pédagogiques sont une clé de la lutte contre l’échec scolaire. « Engager cette dynamique au bénéfice des élèves sans modifier quoi que ce soit au service enseignant relève de l’incohérence. Le Sgen-CFDT demande qu’une mesure significative concernant le temps de concertation sur le temps de service soit prise pour les personnels de ces réseaux ambition réussite. Cette mesure, dont on pourrait évaluer les effets, constituerait un signe important pour l’évolution du métier enseignant et pourrait ensuite être étendu à l’ensemble des personnels de l’éducation prioritaire ».
http://www.association-ozp.net/article.php3?id_article=2059
http://www.sgen-cfdt.org/actu/article988.html
Claude Lelièvre dénonce les dérapages idéologiques du ministre
« Je suis frappé par ce qui se passe aujourd’hui, y compris au regard des précédentes politiques de droite. Pendant la période gaullienne, il y a eu des innovations : la création du collège d’enseignement secondaire, la prolongation de la scolarité à seize ans, les IUT. Durant la période giscardienne, il y a eu le collège unique, plus ou moins abouti, mais dont la perspective est importante… Autrement dit, il y a eu du neuf. À chacun de juger si c’était synonyme de progrès, mais, quoi qu’il en soit, on cherchait de nouvelles solutions. Ce que fait de Robien est très différent. Il puise dans le passé pour répondre aux dysfonctionnements actuels. De tout temps, des gens ont occupé les estrades publiques avec une telle demande. En revanche, que les politiques s’inscrivent dans cette rhétorique, et uniquement dans cette rhétorique, c’est une première ».
Historien de l’éducation, Claude Lelièvre s’exprime dans L’Humanité du 2 février. » Quand (de Robien) ne puise pas dans le passé, ses seules propositions sont d’externaliser les problèmes. Ce sont des solutions rustines et idéologiquement rustiques. Non seulement il n’y a plus d’ambition par l’école, mais il n’y en a plus pour l’école. L’idée qu’une série de questions qui lui sont normalement dévolues doivent être résolues en dehors est, elle aussi, une première ».
http://www.humanite.presse.fr/journal/2006-02-02/2006-02-02-823199