Bibliographie
Deux ouvrages de la nouvelle collection « Défis d’éducation » (Retz) destinée à publier des ouvrages permettant des cerner, au-delà de débats conjoncturels, les « questions vives » dont doivent s’emparer professionnels de l’éducation, les élus, les administrateurs, les partenaires sociaux…
Autre temps, autre école
Roger Sue et Marie-Françoise Caccia
Faisant le point sur des débats qui, curieusement, semblent moins vifs qu’il y a une quinzaine d’année, l’ouvrage dresse un historique des tentatives passées en tentant un bilan chiffré de plusieurs expérimentations qui défrayèrent la chronique par leur « modernité » (Hérouville, Epinal…) en tentant d’organiser de nouveaux rythmes. Assez peu prolixes sur les coûts supplémentaires induits, les auteurs soulignent l’aspect généralement positif des expériences, sans toutefois qu’une claire méthodologie permette de séparer ce qui serait lié à la stricte réorganisation chronobiologique, de ce qui pourrait être attribué aux effets d’une mobilisation cohérente des acteurs.
D’ailleurs, c’est dans ce sens que penche la conclusion, appelant à tisser le temps scolaire et extra-scolaire, à développer des méthodes d’évaluation plus rigoureuses, et à accepter de laisser coexister, dans et hors l’école, plusieurs modèles éducatifs différents selon les différents temps de l’enfant. Les « politiques locales d’éducation » sont encore loin d’y parvenir, en ville comme en campagne…
L’école et l’argent
Roger-François Robert et André D. Robert
Intéressante entrée que celle de cette ouvrage, qui interroge transversalement les défis posés à l’école par le prisme de ses financements : disparités sociales ou territoriales, fausses évidences qu’on évite de réinterroger, dérapages successifs du concept de gratuité, nouveaux équilibres à réinventer avec les décentralisations successives.
Alimentés par une connaissance « large spectre » des contextes scolaires, les auteurs n’hésitent ainsi pas à gratter là où ça fait mal : où est l’égalité quand les écarts de financements des écoles primaires vont de 1 à 10, quand un enfant de riche coûte à la collectivité publique 4 fois plus qu’un enfant de pauvre (longueur des études oblige), quand les défiscalisations liées aux enfants rapportent 6 fois plus aux ménages les plus riches que les bourses et allocations de rentrées au plus pauvres ?
L’ouvrage passe aussi en revue les nouveaux « coûts d’éducation» supportés par les familles, depuis le voyage scolaire jusqu’aux cours de soutien, et pointe également les dépenses supplémentaires qu’imposent au système les options trop spécialisées.
Il invite donc décideurs, personnels et usagers à reconsidérer l’efficience de l’augmentation -nécessaire- des coûts d’éducation pour interroger plus fortement les priorités définies par le système, dans le but de gagner en équité et en démocratisation.
Même si on aimerait souvent entrer davantage dans les détails, le caractère transversal de ce travail en fera une aide pertinente pour tous ceux qui sont prêts à sortir de la bonne conscience de la « discrimination positive » pour enfin parler d’équité…
Activités pour découvrir les sciences à la maternelle
Denise et Pascal Chauvel
Retz, 174 p.
Résolument axé sur le concret avec ses fiches d’activités et ses illustrations photocopiables, l’ouvrage décline les instructions officielles en proposant des pistes d’activités pour explorer le vivant (les fruits, les animaux, la vie dans la haie ou la forêt, le corps humain, l’alimentation) et la matière (l’eau, l’air, les roches, le papier). A noter que ces outils seront sans doute aussi exploitable en cycle II, tant par les démarches proposées que par les contenus abordés, dont certains risquent d’être un peu loin des compétences de certains jeunes élèves du cycle I.
La rénovation de l’école primaire
Comprendre les enjeux du changement pédagogique
Vincent Dupriez, Jacques Cornet
De Boeck, 202 p.
Destiné aux formateurs et décideurs politiques, ce livre tente de sortir de la traditionnelle injonction au changement pour tenter au contraire de comprendre à quelles conditions les ambitions de « réussite de tous » pourrait prendre chair sur le terrain.
Surtout pas en disant que c’est facile, ou qu’il suffirait d’individualiser pour y parvenir. C’est justement à cause de cette sempiternelle tentation « applicationniste » des réformes que les enseignants ne peuvent se retrouver dans les « réformes » appelées de leurs voeux soit par les politiques, soit par les chercheurs, au nom des résultats de leurs travaux. Ainsi, il ne suffit pas que les études internationales montrent que les pays les plus « justes » et les plus « efficaces » sont ceux qui ignorent le redoublement ou qui maintiennent ensemble toute une cohorte sans filières précoces.
Si les enseignants semblent « résister », c’est (aussi) qu’ils ont de bonnes raisons de le faire. D’abord, parce que la légitimité de ceux qui veulent imposer les réformes sont faibles (qui a envie de croire à une promesse d’école égalitaire dans une société inégalitaire ?), et ensuite qu’il est toujours moins « coûteux » pour un individu (ou un groupe) de reporter sur autrui la responsabilité de ces difficultés.
Du coup, disent les auteurs, si on veut éviter que les enseignants n’abdiquent de leurs responsabilités collectives en se déchargeant vers les psychologues ou les orthophonistes, si on veut qu’ils ne transforment pas les résultats de la recherche en sociologie en « handicaps socio-culturels qui empêchent de croire aux capacités des élèves à apprendre, les pilotes et formateurs doivent changer leur fusil d’épaule.
D’abord, il faut s’appuyer sur les savoirs professionnels au lieu de les jeter aux orties. Ce n’est pas parce que le système éducatif est objectivement ségrégatif que les enseignants ne sont pas individuellement porteurs de valeurs d’égalité. Leur donner ce quitus serait déjà ne plus se contenter de les culpabiliser de ce qu’ils ne font pas.
Ensuite, il faut expliquer, communiquer. Le défi de la réussite de tous est-il, oui ou non, le nouvel enjeu pour l’école ? Quelles preuves en donne le pouvoir ? Quel gain social la profession enseignante peut-elle en tirer ? Sur quelles données de recherche s’appuient les nouvelles injonctions ? Comment rend-on accessibles aux enseignants les données de PISA, les savoirs de la psychosociale ou les acquis de l’IREDU ? Qui accompagne les enseignants dans ce nouveau défi, tout en respectant leur liberté pédagogique, en les protégeant de la concurrence scolaire ou en les rendant acteurs de ce travail de recherche ?
Puisant ces analyses à travers l’observation fine de 5 écoles très différentes de la Belgique francophone (où la concurrence scolaire fait rage), V. Dupriez et J. Cornet posent de bons jalons pour de futurs travaux qui éclairciraient concrètement les dispositifs d’accompagnement qui permettent d’avancer sur ces questions.
Ajoutons que la préface de Ph. Meirieu est redoutable de concision et de clarté :
– on ne peut demander à l’Ecole de panser tous les maux de la Société
– si les politiques n’assument pas leurs projets, il ne faut pas qu’ils s’étonnent que les enseignants les laissent lettre morte,
– il est inutile de stigmatiser les acteurs sociaux, il faut faire entrer le « métier réel » dans la formation, permettre aux équipes de se lancer en les assurant, cesser de professer ex-cathédra l’individualisation de l’enseignement sans prendre en compte les difficultés des maîtres. Une véritable « réforme » qui se fixerait vraiment une ambition de réduction des inégalités se doit impérativement de savoir analyser les « satisfactions professionnelles qu’une société peut promettre à qui elle demande de se dévouer pour ses enfants ».