Dossier spécial
Comment lutter contre les sorties sans qualification ?
« Aujourd’hui, le système de formation n’est pas suffisamment organisé pour réduire de manière significative le nombre de jeunes sans qualification, que cela soit dans le repérage de ces jeunes, dans la prévention de sorties prématurées du système de formation, dans les remédiations quand ces sorties ont eu lieu ». Le rapport des inspecteurs généraux P. Dubreuil, M. Fort, E. Morin et J.-C. Ravat analyse les sorties sans qualification et propose des recommandations.
Il pose d’abord la question du nombre de sorties sans qualification. Le nombre oscille, selon les définitions, entre 60 000 et… 160 000 par an si l’on considère tous ceux qui n’ont aucun diplôme. Ces hésitations reflètent un certain déficit d’intérêt : « il n’y a pas ou peu de protocoles académiques de repérage des sorties sans qualification ». D’autant que le phénomène touche des profils d’élèves bien différents comme ces décrocheurs « discrets », « faibles mais sérieux » qui sont les plus nombreux. Le rapport évalue finalement entre 7 et 15% le taux d’abandon en collège, 20 et 25% en première année de CAP et 9 à 15% en première année de BEP, 4 à 5% en lycée.
Comment diminuer ce taux ? C’est d’abord une question de culture scolaire. « Il s’agit d’inculquer dans notre système éducatif une approche différente de la notion de réussite solaire qui ne tienne pas seulement compte des taux de réussite aux examens mais aussi du temps mis par les élèves à parcourir leur cycle de formation et du nombre d’élèves qui quittent le système de formation sans qualification ». L’Inspection recommande de mieux repérer l’absentéisme et la fréquentation de l’infirmerie et de travailler l’articulation entre les cycles et les degrés. Il faut aussi « améliorer les procédures d’orientation et d’affectation : en lycée professionnel, mettre l’accent sur le début de l’année scolaire, avant le premier conseil de classe pour éventuellement proposer une réorientation qui évite le décrochage;… revoir les modalités d’affectation en lycée professionnel, en ne raisonnant pas uniquement en termes de places vacantes, en étant encore plus attentifs aux souhaits des élèves et à la cohérence entre ces souhaits et ce qui leur est proposé ». Ce qui est aussi poser la question d’une certaine déontologie scolaire.
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igaen/rapports/sortie_s_qualif_2005.pdf
Effet établissement et sorties précoces
L’académie de Bordeaux est caractérisée par un taux de sorties précoces du système éducatif élevé alors que le niveau d’entrée en 6ème est plutôt meilleur que la moyenne nationale. Selon une étude, publiée dans Education & formations n°71, cela interroge le fonctionnement des établissements. En effet, deux types de classes ont des taux importants de sortie : les cinquièmes des petits collèges ruraux et le quatrième des collèges mixtes socialement, plutôt favorisés. Les disparités observées entre les établissements en matière de sorties en cours de cycle ne sont pas dues seulement aux caractéristiques des élèves ; la typologie nationale… permet de mettre en évidence un » effet établissement « . Une autre pratique courante est aussi mise en accusation : le redoublement au primaire. Le retard est le premier facteur de départ précoce du collège. Inversement, « être en ZEP diminue le risque de sortie en fin de cinquième, de quatrième ou de troisième ».
ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/dpd/revue71/article13.pdf
http://www.adobe.fr/products/acrobat/readstep2.html
Question de motivation
Selon les élèves, quels facteurs ont un impact sur leur motivation ? La question a été étudiée par les chercheurs de l’EPPI-Centre, université de Londres, qui ont passé en revue les travaux disponibles. Ils sont ainsi arrivés à dégager 6 facteurs et à faire 4 recommandations.
« La démotivation résulte d’une chaîne de facteurs plutôt que de causes simples… Ce qui se passe dans la classe peut faire la différence; ce que les enseignants font a un impact sur l a motivation des élèves. Les attentes du professeur peuvent être trop faibles… Mais ce n’est pas la seule influence. Les opinions parentales, des facteurs extérieurs jouent aussi un rôle ».
Malgré tout 4 recommandations émergent pour les enseignants. « Les leçons doivent être amusantes. Elles doivent être variées et faire participer les élèves. Les professeurs doivent favoriser la collaboration entre élèves. Les élèves doivent avoir l’impression que le travail est utile ».
http://eppi.ioe.ac.uk/EPPIWebContent/reel/review_groups/motivation/motivation_rv1/Motivation_rv1.pdf
Lycéens décrocheurs
« Ce qui fait réussir un jeune, c’est que le prof croit qu’il va réussir ». A cette phrase de P. Meirieu, semble répondre ce témoignage de Juliana, jeune décrocheuse : « On peut être motivée, mais s’il n’y a personne de motivé autour de soi cela ne sert à rien ». Cette rencontre entre le pédagogue et le lycéen est bien au coeur de la brochure « Lycéens décrocheurs raccrocheurs d’école » publiée par l’inspection académique de la Sarthe qui alterne interventions de chercheurs et comptes-rendus d’ateliers.
Ainsi S. Beaud analyse le décrochage au lycée en montrant l’intérêt d’une approche sociale. Il évoque le sentiment d’illégitimité qui taraude les jeunes de milieu populaire au lycée et parfois leurs parents. « Finalement est-ce qu’on a bien fait ? Un bon CAP, un bon BEP comme j’ai fait moi, c’était quand même pas mal. Je te l’avais bien dit… ». Aussi, si « un des leviers de l’action est le rapport pédagogique »…. »on ne peut pas continuer à enseigner comme si rien n’avait changé dans le système éducatif. On ne peut pas rester sourd ou aveugle aux réalités sociales environnantes. La pauvreté croissante des milieux populaires constitue un obstacle objectif majeur à la poursuite des études ».
Aziz Jellab, Gilbert Longhi font part de leur expérience et de leurs travaux sur le décrochage en LP et en lycée général. Suivent les comptes-rendus d’ateliers sur l’identification des décrocheurs, le raccrochage par la culture, l’estime de soi, le stress des adolescents dans les établissements scolaires. Et il faut signaler parmi les intervenants plusieurs ex-décrocheurs ainsi que des lycéens auteurs d’un TPE sur le décrochage.
Des pistes pédagogiques sont ainsi données. Parce qu’il a compris que les lycéens d’aujourd’hui peuvent avoir d’autres repères sociaux, l’enseignant doit privilégier une pédagogie qui donne sa place à l’élève. Pour A. Jellab, « il faut que les enseignants fassent le deuil d’une certaine représentation de l’enseignement… Si l’élève n’est pas acteur de la construction de son savoir, c’est un décrocheur potentiel ».