Des quelques dispositifs nombreux retenus lors de la dernière réforme des lycées en 1998, les TPE sont probablement un des plus innovants : les élèves travaillent par groupe de trois à quatre pendant un semestre sur un projet qui concerne deux disciplines enseignées dans la classe. Ils choisissent un sujet, construisent une problématique. Leur travail de recherche aboutit à une production présentée devant un jury sous la forme et avec le support qu’ils ont imaginés.
Cette nouvelle pratique permet aux élèves de travailler en équipe, de relier des connaissances acquises dans des disciplines différentes et habituellement hermétiques l’une à l’autre, ils contribuent donc à donner du sens aux savoirs scolaires ; les élèves ont l’occasion de faire preuve de créativité, de travailler sur un long projet de façon semi autonome, de s’initier au travail de recherche. Bref ce dispositif permet de valoriser des compétences que le travail scolaire traditionnel ne sollicite pas ; il est une excellente initiation à l’enseignement supérieur. Il est un bel outil au service de la démocratisation de l’enseignement.
Un levier puissant de la transformation des pratiques pédagogiques
Il peut être aussi un levier puissant de la transformation des pratiques pédagogiques des enseignants. Généralisé à l’ensemble des classes de 1ère et de terminale des séries générales, il impliquait un très grand nombre d’enseignants, qui, ainsi, travaillaient de façon interdisciplinaire et découvraient les élèves dans une situation d’aide et d’écoute plus individualisée.
Les grands lycées publics des grandes villes n’ont pas toujours vu l’intérêt de dispositifs de ce genre : habitués à recruter des élèves sélectionnés sur des qualités scolaires traditionnelles, ils n’ont guère envie que de nouvelles compétences soient exigibles de leurs élèves, leurs pratiques pédagogiques n’ont guère besoin d’évoluer puisqu’elles satisfont le public – parents et élèves – auquel ils ont affaire.
Le ministère a donc conclu que les TPE n’étaient guère utiles et les a supprimés en classe de terminale ; cette mesure était pain bénit : dans la période d’austérité que nous vivons, supprimer deux heures d’enseignement dans chaque classe de terminale de tous les lycées d’enseignement général de France correspond à l’économie de centaines de postes d’enseignants !
Un « bidouillage » qui dénature le baccalauréat
Or la volonté réelle d’un gouvernement à atteindre les objectifs affichés de démocratiser l’enseignement et de multiplier le nombre de disciplines de l’enseignement supérieure se mesure à l’aulne de décisions concrètes de cette nature.
Comme la pertinence de ce dispositif est manifeste aux yeux de l’immense majorité des élèves et des enseignants, ils sont maintenus en classe de 1ère , parce qu’il faut sauver les apparences. Se pose pour la rue de Grenelle le problème de leur prise en compte au baccalauréat pour l’année à venir : les TPE seront considérés une épreuve anticipée.
Reste à régler le sort des élèves actuellement en 1ère … Il eût été possible de faire procéder dès cette année à une évaluation notée qui aurait été prise en compte à la session 2006 du baccalauréat.
Mais problème… un certain nombre des lycées prestigieux que nous évoquions ci-dessus se sont dispensés de la mise en place systématiquement de ces dispositifs !! Il fallait donc inventer, pour cette année transitoire, une solution à ce redoutable problème :
En septembre prochain, les élèves scolarisés en terminale des séries générales choisiront une des deux matières de leur TPE de la classe de 1ère parmi les matières soumises au 1er groupe des épreuves du baccalauréat… On peut imaginer que les élèves qui n’ont pas suivi de TPE en 1ère présenteront tout de même le choix de la matière dans laquelle ils sont le plus fort.
Chacun devra ensuite oublier le travail réalisé en TPE l’année précédente.
Au moment du baccalauréat, on considérera les points supérieurs à la moyenne dans la matière choisie, on leur affectera le coefficient 2, et ces points deviendront des points TPE (sic) qui s’ajouteront à l’ensemble des points des épreuves du 1er groupe.
Ainsi, un élève moyen qui aura beaucoup investi dans son activité TPE, qui aura su mettre en oeuvre ses capacités à travailler en équipe, fait preuve de créativité et qui obtiendra au baccalauréat – dans sa matière choisie – la note de 10 ne bénéficiera d’aucun point TPE !
Au contraire, l’élève fort en thème qui aura réalisé une production médiocre en TPE mais qui obtiendra la note de 18 à l’épreuve du baccalauréat dans la matière qu’il aura sélectionnée en septembre bénéficiera de 16 points TPE !
On serait tenté de sourire de cette disposition temporaire, produit d’un esprit tordu, chef d’oeuvre des élucubrations technocratiques d’un ministère à mille lieues des réalités du terrain.
On peut aussi – quoiqu’on pense des TPE, – s’insurger à juste titre – d’un tel « bidouillage » qui dénature l’examen du baccalauréat en le transformant en loterie (choisissez une matière en septembre… pour un bonus en juin).
Je crois que cette disposition revêt le caractère d’une plus grande gravité :
* Elle donne plus de poids à une épreuve traditionnelle, favorise les élèves forts en thème ; elle est un véritable désaveu de ceux qui proposent la prise en compte de nouvelles compétences, qui veulent valoriser le travail d’équipe, qui recherchent la réussite du plus grand nombre d’élèves en les mettant en activité, en capacité de production, en redonnant du sens aux savoirs scolaires… Elle vise en fait à les punir d’avoir imaginé cette nouvelle école.
* Elle correspond bien à la volonté de ceux qui veulent restaurer l’école réservée à une élite.
Philippe Meirieu et Claude Rebaud
Sur les TPE :
Tpe promesse non tenue : communiqué du Crap – Cahiers pédagogiques et du Café pédagogique du 5 juin 2005 :
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/tpe_index2.aspx
La pétition nationale en faveur des TPE :
http://www.tpe-petition.net/index.php
Le dossier du Café pédagogique (juin 2001) :
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/tpe_index.aspx