En quelques mois les blogs ont achevé d’envahir les médias. Ils apparaissent bien comme un phénomène profond et durable de la culture adolescente. S’il est difficile de le chiffrer, relevons que le principal hébergeur de blogs, Skyblog, affiche plus d’1,7 million de blogs. Un chiffre à comparer aux 5,2 millions d’adolescents entre 12 et 18 ans qui semblent être la cible de la radio Skyrock. Retenons qu’un pourcentage important des lycéens ont déjà leur blog. Et que le reste va suivre.
Face au phénomène, observons les réactions des documentalistes, en première ligne de la confrontation et sans doute représentatifs des enseignants. Ils se partagent entre deux attitudes. Les uns prétendent interdire la consultation de blogs dans l’établissement et explorent le web à la recherche de propos et de photos déplacés à l’encontre des enseignants. Quand ils en trouvent, des affaires récentes le montrent, des procédures internes peuvent aboutir à des renvois. Les autres utilisent la vague à l’image de ce documentaliste qui transforme le site de son CDI en blog et voit sa fréquentation exploser. Ces deux attitudes sont dans la tradition de l’Ecole. Jusqu’à un certain point elles sont toutes deux éducatives et les deux faces de la même pièce. L’Ecole doit transmettre des normes sociales mais en même temps, et pour cela, favoriser l’épanouissement de l’enfant qui lui est confié.
Je voudrais ici défendre l’idée d’une utilisation des blogs par l’Ecole et pour cela mettre en avant quelques-uns de ses avantages.
Le succès massif des blogs en fait un terrain d’observation du monde adolescent qui ne peut laisser indifférent les éducateurs. Les blogs sont d’abord un formidable révélateur des cultures adolescentes. Certes, elles partagent de nombreux points communs. Mais il est peut-être plus intéressant de s’interroger sur les différences. A coté de blogs qui reflètent les parcours types d’adolescents qui se sont appropriés les modes, les débats et les valeurs de la société majoritaire, il existe des milliers de sites singuliers qui se situent dans un autre univers. Ceux-ci dérangent davantage et sont pour beaucoup dans les postures de rejet. Les blogs sont d’abord un révélateur implacable des différences et des inégalités sociales et culturelles. C’est une dimension que l’Ecole, attachée à l’égalité et au mérite individuel, a du mal à intégrer. C’est pourtant un service que les blogs lui rendent en les révélant. Ce miroir, il faut que l’Ecole le regarde pour prendre en compte ces différences et faire oeuvre éducatrice.
Cette visibilité a pu être altérée par le fait que ces différences s’expriment à travers un média et dans un univers unique, celui du Net. Les blogs révèlent l’importance qu’a pris Internet dans les cultures adolescentes. C’est le premier lieu d’affirmation de leur identité. Cette constatation a des conséquences. Parce que le réseau est fréquenté en dehors de l’Ecole par les adolescents, parce que son usage peut être dangereux, l’Ecole a la tâche prioritaire d’assurer une véritable éducation à Internet. Pour le moment elle y répond massivement par le filtrage d’Internet. Il a son utilité mais finalement il ne fait que repousser le problème hors les murs au risque d’un retour du refoulé dont les blogs peuvent être une des illustrations.
Au-delà, l’Ecole devrait s’interroger davantage sur les effets de cette culture Internet sur les modes de pensée des jeunes. Les blogs sont le signe du besoin d’expression des adolescents dont on sait qu’il est sous-exploité dans l’institution scolaire. Ils montrent aussi d’autres traits qui doivent faire réfléchir les enseignants : un besoin de connectivité permanente, un rapport à l’immédiateté, des procédures de réflexion par tâtonnement qui ne sont pas dans la culture de l’Ecole. Pourtant celle-ci gagnerait à les identifier et à les utiliser dans la classe.
Je m’en tiendrai à une dernière révélation apportée par les blogs : celle de la position de l’Ecole. C’est celle qui fait immédiatement mal. La plus grande salle de rédaction de France où les lycéens s’expriment par le texte et l’image, sur de nombreux sujets dont beaucoup ne sont pas des sujets triviaux, échappe totalement à l’Ecole.
Pour ces trois raisons, j’ai envie d’inviter l’Ecole à investir le phénomène. Certaines universités la précèdent sur ce chemin et mettent à la disposition de leurs étudiants des outils pour construire leur blog.
François Jarraud