Blandine Raoul-Réa
L’éducation en devenir était le thème du forum qui s’est tenu mercredi 2 février à Noisiel (77). Cette journée d’étude était organisée à l’initiative de la Ligue de l’enseignement et de la FOCEL Seine et Marne.
Entre le temps du débat public sur l’avenir de l’école et celui de l’élaboration d’une nouvelle loi d’orientation sur l’éducation, cette journée a été l’occasion d’entendre des personnalités liées au monde de l’éducation sur l’avenir de l’école.
Après une présentation de la situation et des objectifs spécifiques de la Seine-et-Marne par Michel Richart, Président du Syndicat de l’agglomération nouvelle (SAN) puis par Vincent Eblé, président du Conseil général de la Seine et Marne, Jean-Louis Boisanté (Président de le la Ligue de l’enseignement FOCEL de Seine et Marne) estime que la proposition de loi d’orientation met les parents hors jeu et ignore les associations -comme si l’éducation ne pouvait être le seul fait de l’école ou ne devait être que le seul fait de l’école. Le débat s’est donc ouvert sur l’avenir de l’école à travers les propositions du Rapport Thélot.
« L’éducation commence quand on trouve l’homme derrière le maître », Jules Ferry
Claude Lelièvre, historien de l’éducation, professeur à la Sorbonne (Paris), retrace l’histoire de l’école dans notre « République éducatrice ». Dès le 18ème siècle, la distinction entre éducation et instruction est présente. L’école est là pour éduquer avant d’être là pour instruire prône Jules Ferry en s’intéressant aux pratiques pédagogiques. La République a changé, la société aussi. C’est pourquoi, pour Jean-Michel Zakhartchouk (enseignant chercheur, CRAP-Cahiers pédagogiques, il faut effectivement définir les missions de l’enseignant d’aujourd’hui et de demain. Si dans la proposition de loi d’orientation on retrouve la trace de la liberté pédagogique de l’enseignant, ses missions collectives n’apparaissent pas. C’est regrettable.
Où sont les missions collectives des enseignants ?
Si personne ne nie la difficulté à être enseignant, il faut en comprendre les causes. Le manque de formation pédagogique pour l’enseignant qui débute en est une. Il faut du temps pour la formation de l’enseignant ; elle s’acquiert non seulement en formation initiale, mais en accompagnant les pratiques durant les premières années. Pédagogue, oui : il doit être avant tout un professionnel de l’apprentissage capable de gérer l’hétérogénéité des classes, de différencier sa pédagogie, d’évaluer, de communiquer, de mener des projets. Mais cela ne suffit pas. Mais il lui faut être tout autant un passeur culturel : cette personne capable d’utiliser les formes culturelles populaires pour mieux transmettre. Il doit établir des liens entre les savoirs et la culture populaire des élèves. Jean-Michel Zakhartchouk revient sur les IDD et les TPE dans cette dynamique de la différenciation des apprentissages. Si l’école doit permettre à l’élève de comprendre les rouages de la société (exercer sa citoyenneté), l’enseignant se doit d’être un représentant de la société. Il lui faut alors définir ce qui est de l’ordre du négociable ou du non négociable en classe, appliquer les directives hiérarchiques… tout en continuant à se former tout au long de sa carrière.
« On a perdu beaucoup de temps à écrire des livres sur la didactique des disciplines avec des élèves abstraits sans savoir ce qui se passait dans l’école » J. Costa-Lascoux
Pourquoi va-t-on à l’école ?
Jacqueline Costa-Lascoux (directrice de recherche au CNRS) pose la question de la motivation. Mais s’agit-il vraiment de la motivation des élèves ? Rien n’est moins sûr. Sans doute faut-il se pencher sur ce que l’école apporte à l’élève et comment ? sur les enjeux de l’école. En préambule, citons le respect de l’accueil de tous (élèves et parents) dans une égale dignité. Ensuite faudrait-il réfléchir à l’acte d’apprentissage : apprendre c’est travailler sur SOI : maîtriser son corps, le geste et la parole. Apprendre, c’est apprendre à communiquer avec ses codes sociaux. Ensuite, il est nécessaire de différencier l’autorité du pouvoir car la relation pédagogique n’est pas une relation de pouvoir -et la relation d’autorité doit être bilatérale. Comme J.-M. Zakhartchouk, J. Costa-Lascoux note la présence de cultures concurrentes (télévision, Internet…) qui montrent que l’on peut apprendre ailleurs, source de démotivation vis-à-vis de l’école.
Pourquoi l’école ne neutralise-t-elle pas les différences sociales ?
François Dubet (Sociologue, Université de Bordeaux), rajoute qu’effectivement si tout est joué d’avance, la motivation ne peut pas être au rendez-vous. Avec une certaine fatigue de voir l’école évoluer sans se construire d’avenir, il nous rappelle que l’école n’a jamais prétendu donner l’égalité des chances. L’histoire montre que l’école faisait en sorte de ne pas se priver des meilleurs talents des enfants du peuple. Ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale qu’elle met tous les élèves dans la même compétition. Pour quel résultat ? Le prix de l’éducation de l’élève a doublé et le résultat est ambivalent. Certes il montre qu’il y a accès au savoir de beaucoup plus d’élèves, mais on ne peut pas se satisfaire des résultats en terme d’égalité des chances. Pourquoi ? Pourquoi l’école ne neutralise-t-elle pas les différences sociales ? Deux élèves de même niveau n’auront pas le même traitement. L’enfant de cadre aura un traitement plus favorable. A cela se rajoutent les ségrégations sociales dans l’établissement (mais qui peut bouger les cartes scolaires ?) et les stratégies déployées par un tiers des Français pour déroger à ces règles de carte scolaire. Ce qui serait vraiment un progrès pour l’école ce serait de donner le droit à un élèves de rejouer lorsqu’il a perdu : pour cela il faut savoir lui redonner des chances et qu’il puisse s’appuyer sur une réelle formation continue tout au long de sa vie, comme sur une bonne formation professionnelle. Quels freins ?
1/ en France l’école est une institution sacrée avec des enjeux symboliques qui empêchent la discussion.
2/ « Les vainqueurs ne changent pas les règles qui les font gagner«
3/ L’échec scolaire rend indigne et empêche de parler, donc ne parlent que les vainqueurs.
De cette journée nous retiendrons que l’école doit changer, qu’elle en a la possibilité mais qu’il existe de tels freins et politiques et sociaux que la réforme semble difficile. Chacun fait ce qu’il peut et le fait de son mieux. Des initiatives sont prises pour transformer les rapports des élèves à l’école, mais restent confidentielles peu relayées et peu évaluées. Reste à attendre la loi d’orientation.
Blandine Raoul-Réa, 06-02-2005