On trouve aujourd’hui dans chaque collège et dans chaque lycée des dizaines et, dans les plus grands établissements, des centaines d’ordinateurs, fixes et portables, regroupés dans des salles informatiques, des salles spécialisées de technologie, au centre de documentation, dans les bureaux réservés aux professeurs et à l’administration, dans les sacs à dos des élèves et des enseignants. Pour faciliter l’administration de ces nombreux matériels, des systèmes de câblage ont été installés qui permettent aux ordinateurs dispersés dans les bâtiments de partager des ressources et d’échanger par un réseau, un Intranet, dont le nom rappelle qu’il exploite les mêmes principes de traitement et d’interface que l’Internet, devenu familier à tous. Ce réseau interne permet aujourd’hui aux professeurs de nombreux lycées et collèges de saisir les notes de leurs élèves depuis n’importe quel poste connecté par le réseau à un serveur unique où toutes les notes sont enregistrées.
Dans le même temps, les enseignants et les familles se sont eux aussi équipés et connectés au réseau Internet à domicile, dans des proportions qui n’atteignent pas 100% comme dans le cas des établissements scolaires mais qui l’approchent de très près chez les enseignants et dépassent 50% chez les élèves de l’enseignement secondaire, davantage encore chez les lycéens.
Enseignants et élèves utilisent ainsi des ordinateurs dont certains sont situés à l’intérieur des établissements et d’autres à l’extérieur. Pour un lycée de 1000 élèves par exemple, on aura environ 200 postes à l’intérieur et 800 à l’extérieur (100 chez les professeurs, 700 chez les élèves). Si l’on tient compte de ces données et de la distribution du temps de travail scolaire entre l’extérieur et l’intérieur de l’établissement, on arrive à la conclusion que les usages à l’extérieur ont augmenté au cours des dernières années davantage que les usages à l’intérieur et qu’il les ont, en volume, probablement dépassés. Dans ces conditions, il devient normal, indispensable même, de faire évoluer l’Intranet de l’établissement, c’est-à-dire le réseau des machines situées à l’intérieur, vers ce que l’on appelle un Extranet, c’est-à-dire un réseau également accessible à des ordinateurs situés à l’extérieur.
On peut faire le même raisonnement et aboutir à la même conclusion en considérant, non plus les machines mais les usages et les usagers. Les élèves et les professeurs réalisent une partie de leurs tâches scolaires en utilisant des ordinateurs situés à l’intérieur de l’établissement, une autre partie, plus importante en volume, sur des postes, le leur ou d’autres utilisés occasionnellement, qui sont tous situés à l’extérieur. Or, les tâches scolaires, qu’elles soient d’enseignement ou d’apprentissage, doivent pouvoir être suivies dans la continuité, c’est-à-dire être initiées à l’intérieur, poursuivies à l’extérieur puis reprises à l’intérieur. Cette exigence de continuité est facilement satisfaite lorsque le travail scolaire s’appuie sur des instruments traditionnels tels que les livres et les cahiers qu’il suffit de transporter avec soi dans un cartable. C’est plus difficile avec l’ordinateur et les ressources numériques, devenus au cours des dernières années des outils de production ordinaires pour tous les travailleurs du savoir, les enseignants et les élèves en particulier. Répondre à l’exigence de continuité des tâches scolaire avec ces nouveaux instruments, voila l’objectif unique des environnements numériques de travail (ENT).
Il importe de bien comprendre qu’ici, peut-être pour la première fois, les technologies informatiques ne sont pas en avance sur des pratiques mais bel et bien en retard : l’enjeu est moins de susciter que de faciliter des usages. Il n’existe aujourd’hui d’Extranet scolaire qu’à l’état d’embryons expérimentaux alors que les pratiques susceptibles de les exploiter s’ils étaient déjà disponibles existent déjà en grand nombre. On peut même faire l’hypothèse que le retard pris dans le déploiement de ces plates-formes de travail freine celui des usages éducatifs des TIC.
Ces questions sont-elles si difficiles à comprendre qu’elles ne puissent être traitées et débattues par d’autres que par des spécialistes de l’informatique ou des TICE ? Les technologies Extranet qui sont nécessaires à la mise en oeuvre de la continuité des tâches scolaires effectuées sur support numérique existent et sont déjà utilisées quotidiennement dans beaucoup d’entreprises et d’administrations. Elles attendent d’être adaptées aux besoins et aux spécificités de l’éducation. Cela réclame des investissements importants que les industriels hésitent à engager. Certes, le ministère de l’Education nationale s’est impliqué très tôt (en 2002) en définissant un cadre technique général pour les ENT. Certes, les collectivités territoriales se sont engagées dans des expérimentations aux côtés des services académiques. Mais il manque à ce tableau un engagement fort au niveau national qui ne soit pas seulement technique, mais aussi politique et financier. Il est vrai qu’entre un tel engagement et l’apologie de recettes de pédagogie à l’ancienne, la compatibilité ne va pas de soi.
Serge Pouts-Lajus