L’école a toujours fait appel à de multiples formes de coercitions dont on repère très facilement les trois sources historiques : la première est militaire, la deuxième monastique et la dernière ancillaire. Elles irriguent encore de nos jours des pratiques scolaires très courantes et très au- delà, légitiment les revendications de durcissement disciplinaire qui sont le propre du libéralisme actuel.
Au pas
La source militaire imprègne totalement les premières institutions scolaires publiques comme les lycées napoléoniens. Certes, leur organisation martiale n’a plus aucune chance d’enthousiasmer les enseignants d’aujourd’hui même si quelques idées à la mode suggèrent un embrigadement des élèves : obligation d’un uniforme (blouse), suppression de la mixité, projets d’internats sévères… Par ailleurs, quelques cursus restent de véritables parcours du combattant et de nombreuses filières sélectives imitent la célèbre période des classes au régiment.
Trois autres indicateurs corroborent ce penchant.
D’abord, l’insistance des professeurs pour une mise au pas des élèves indésirables voire leur placement d’autorité dans des établissements spéciaux. Ensuite, l’apparition de sanctions scolaires singeant les antiques corvées pour troufions (nettoyage, balayage, ménage.). Enfin, l’aspiration à des condamnations dispensées des règles juridiques républicaines.
Ainsi, s’inspirant des tribunaux miliaires d’antan, les instances disciplinaires scolaires privent les élèves fautifs de leurs droits élémentaires pour ne pas déjuger les maîtres.
Elles négligent couramment la présomption d’innocence, le débat contradictoire ou le droit à une défense authentique.
En l’occurrence, on se souviendra de la piteuse affaire de cet élève condamné à une exclusion par son collège, puis innocenté en appel par la commission académique, faute de preuves. Il n’a pas pu retourner dans l’établissement car les professeurs se sont mis en grève contre la notion même de recours contentieux, considérant que leur jugement de première instance était le seul fondé. Courageux et démocrate le Recteur local a cédé. L’élève blanchi a été muté d’office pour donner raison aux adultes.
La glorification de la sévérité, des punitions et d’un pouvoir intégral du maître, repose sur la croyance que les sanctions sont des « repères » qui forment les jeunes esprits.
Ces fameux « repères » qui manquent tant aux enfants et aux adolescents. Pourtant, rien ne prouve que la correction, le redressement, la répression font avancer un être vers les « valeurs » et le « sens ». En revanche, l’apologie de la fermeté revêt un avantage notoire pour les adultes car elle promeut le dogme d’une infaillibilité professorale. On peut la résumer ainsi : un enseignant statuant sur la conduite, le travail et l’orientation des élèves, ne saurait se tromper. Donc il doit être exonéré de toute critique, évaluation ou arbitrage.
À genoux
La deuxième source fondamentale de la discipline scolaire se trouve dans les couvents, les monastères, les séminaires et les manécanteries, influencée par divers paramètres (séculiers, réguliers, contemplatifs, cloîtrés, féminins, masculins.). Ainsi, l’instruction a longtemps préparé les filles à devenir épouses et mères. En fonction des couches sociales des nuances existaient. L’école devait forger les compétences mondaines des filles des couches aisées (piano, conversation, gestion des domestiques). Parallèlement les cursus entraînaient les filles des milieux modestes aux tâches ménagères (couture, cuisine…) ou à quelques petits métiers d’appoints.
Si la pédagogie inspirée de l’armée conseille les sanctions physiques, celle qui sort du couvent préfère l’intrusion dans les consciences et la manipulation mentale. Les premières formes de l’école publique n’étaient pas exemptes de telles pratiques. Les enfants du monde paysan ont dû ravaler leur langue maternelle. Et les bons apôtres qui prêchent aujourd’hui pour une autorité incontestable des enseignants devraient se souvenir du temps maudit où une instruction terriblement républicaine éradiquait de bonne foi, la langue occitane, le breton, le corse, le basque…
De telles horreurs ne sont plus possibles, mais d’autres ne sont pas impossibles. Souvenons nous de ces instituteurs compétents et incontestés qui transformaient les gauchers en droitiers, au besoin donnant des coups de règles sur les doigts ou en attachant la main coupable au pupitre. Il en avait de l’autorité ! Pas question alors de contester la discipline ! L’école cherche trop souvent à infléchir les mours, les comportements et la conscience des élèves au bon motif qu’elle s’appuie sur des préceptes qui ont la force indéniable de la bonne intention. Est-ce une raison suffisante pour que le système éducatif se mêle de la sexualité des élèves, de diététique, de religion. ?
Il y a un gourou au fond de tout enseignant, au moins un directeur de conscience ; voire, un Socrate qui espère son Platon, un maître qui cherche à faire des épigones. En conséquence la discipline scolaire a deux fonctions complémentaires. D’une part, rendre les élèves semblables entre-eux. D’autre part, les amener à être compatibles à leurs enseignants. La première fonction a l’avantage de l’égalité républicaine et évite tout surcroît de travail lié à une hypothétique individualisation de la pédagogie. La seconde fonction permet de sélectionner les élèves en raison de leur orthodoxie sans avoir à disposer d’outil d’évaluation scientifique sur leur intelligence et leurs compétences.
Au doigt et à l’oeil
La dernière source de la discipline scolaire provient du préceptorat. Il a toujours occupé une place notable et s’est répandu dans les couches peu nanties, particulièrement sous forme de domesticité, avec la tradition des nourrices, nurses, gouvernantes, baby-sitters ou jeunes-filles au pair.
Les cours particuliers font partie de ces usages. Le dernier avatar du préceptorat est le home-schooling, lorsque des parents scolarisent leurs enfants à domicile, en embauchant des professeurs à gages, sortes de prestataires free-lances, à leur solde.
Sans surdéterminer la place de ces pratiques, le fantôme du précepteur hante l’école publique. Ainsi, les parents d’élèves, au bon motif qu’ils sont électeurs et contribuables, cherchent parfois à exercer un pouvoir actif sur des profs, les programmes, la notation, les méthodes, l’organisation de l’établissement et la discipline. Nous sommes, au centre de la quadrature d’un cercle vicieux. En effet, les enseignants se plaignent traditionnellement de manquer de moyen et d’être abandonnés de tous. Mais si les familles proposent leur collaboration entreprenante ils refusent pour ne pas se laisser dépasser. Pire ! Le corps professoral, plutôt basiste dans ses comportements, honnit farouchement le sans-culotisme des familles et ne reconnaît aucune légitimité aux citoyens parents.
Plus subtile est la perception ancillaire des profs par les élèves. Les moins polis feront observer à tel ou tel enseignant ne fait pas son travail et profite d’un emploi fictif, ou au moins, d’un gaspillage de l’argent public. De leur côté, les parents préfèrent éviter de courroucer un mauvais serviteur de l’Éducation nationale en payant des cours de soutien à leur rejeton, sachant que les premiers prestataires sur ce marché noir sont justement, les profs du public eux-mêmes.
La revendication disciplinariste des profs tient parfois à un rejet de leur position ancillaire. Ils savent bien que malgré le mythe de l’enseignant transmetteur de l’essentiel, ils ne pèsent pas lourd dans la réussite ou l’épanouissement des jeunes, compte tenu de l’assise socioculturelle et pécuniaire des parents. Par réaction, les profs les plus simplistes veulent compenser ce déficit emblématique par un accroissement de leur puissance bureaucratique sur l’orientation, le redoublement, la sélection, la notation, la discipline, l’exclusion…
Dans un autre domaine, la veine ancillaire de l’école apparaît de manière flagrante dans l’accroissement des prestations annexes : garderie, transports, fournitures, soutien, repas, loisirs, sport. En l’occurrence, en Maternelle, les enseignantes sont absorbées par des pratiques fort peu didactiques (propreté, sommeil, alimentation.). Du reste, un ministre bien intentionné déplorait naguère, qu’un élève à la sieste durant une grande partie de l’après-midi, mobilise indûment une maîtresse manifestement mal utilisée.
Postérité
La droite et la gauche soutiennent le disciplinarisme scolaire. Les discours dans les sens du vent de cette histoire n’épargnent pas l’extrême gauche. In fine, cette frénésie générale appelle quatre observations.
Premièrement, une accentuation de l’autorité professorale renforcerait l’arbitraire de l’école, mais n’infléchirait pas les causes de l’indiscipline. Si les jeunes arrivent en classe détenteurs d’un statut permissif qui convient à la famille et à la société, les professeurs feront figure de doux dingues ou de fous furieux en exigeant des jeunes une conduite obsolète.
Deuxièmement, la nouvelle domination scolaire prend le masque du progressisme, se présentant parfois comme un gain de liberté. Le contrôle contemporain des élèves ne doit rien au sapeur Camembert. Les collégiens et les lycéens sont traités comme des officiers : cartes à puce et caméras gérent le passage à la cantine, l’ouverture des portes, le prêt des livres, les absences, l’accès à Internet ou la sécurité des vestiaires.
Troisièmement, les partisans d’un renforcement de la discipline tentent de transformer l’école en instrument de lutte contre les avancées scientifiques (Freud, Piaget, Freinet, Dolto, Bourdieu). Ils s’inscrivent dans une démarche adulant un ancien modèle d’élève confit en soumission. Selon eux, les jeunes ne sont que des adultes incomplets, mais en aucun cas des personnes à part entière.
Quatrièmement, le disciplinariste est, avant tout, un vulgaire avatar de l’antique difficulté d’exister comme adulte face aux générations montantes. L’obsession de mater la jeunesse poursuit les vieux qui ne trouvent pas mieux pour marquer la postérité. Il ne s’agit pas d’un simple sarcosysme passager, toutes les générations donnent dans ce panneau.
Socrate a même dit : « Notre jeunesse est mal élevée, elle se moque de l’autorité et n’a aucune espèce de respect. Nos enfants d’aujourd’hui répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. ».
Gilbert Longhi
Gilbert Longhi, proviseur du lycée Jean-Lurçat, à Paris (XIIIe), a créé des classes expérimentales pour décrocheurs et leur a consacré un livre aux éditions La Martinière.
Sur Gilbert Longhi :
Un entretien sur le site de la Défenseure des enfants (mai 2004)
http://www.defenseurdesenfants.fr/actus/texte3t.htm