L’approche des échéances électorales, avec la publication du Manifeste pour l’école, va probablement remettre celle-ci dans le débat politique. D’autant que ce thème rejoint un autre sujet dont on voit qu’il s’affirme déjà comme un thème prioritaire : celui de la délinquance des jeunes. Il suffit de regarder la presse de ces derniers jours, par exemple les numéros du 15 février, pour s’en persuader. Celle-ci dresse le portrait d’enseignants victimes de « sauvageons » ou impuissants à transmettre une culture civique.
Le regard porté par les spécialistes des sciences de l’éducation est-il meilleur ? La lecture du dernier numéro de VEI Enjeux consacré à « l’école pour tous » (voir notre rubrique bibliographique) c’est à dire à l’intégration scolaire des élèves en difficulté, amène à poser cette question. L’image des enseignants varie d’un auteur à l’autre mais il y a peu de chances qu’ils s’y reconnaissent.
La plupart des auteurs ont une approche sociologique des problèmes d’intégration scolaire. Ainsi Agnès Van Zenten montre longuement le rôle de l’Etat, des chefs d’établissement et des parents dans la mise en place d’un « marché scolaire ». Marie Duru-Bellat insiste sur les stratégies familiales pour expliquer les discriminations à l’école. Dans ces deux exemples, les enseignants n’apparaissent jamais comme des acteurs essentiels de l’école et de l’intégration scolaire. Ailleurs ils sont montrés du doigt. Tantôt ils sont dénoncés, chiffres à l’appui, comme des profiteurs d’un système scolaire particulièrement injuste (par exemple page 63), tantôt comme les oppresseurs des élèves en difficulté et du personnel non-enseignant (page 79). Les plus impliqués eux-mêmes sont mis en accusation : c’est l’innovation pédagogique qui est soupçonnée d’aggraver la ségrégation sociale (page 100).Finalement on ne sait ce qui est préférable pour les enseignants d’être niés, c’est l’option la plus fréquente, ou stigmatisés.
Il n’est évidemment pas question de contester l’inégalité du système éducatif, le rôle d’autres acteurs sociaux et les difficultés rencontrées dans certains établissement. Impossible aussi de nier des données qui montrent que les enfants d’enseignants s’en sortent mieux que d’autres.
Pour autant peut-on compter les enseignants comme un facteur négligeable dans le combat pour une « école pour tous » ? Qui oserait pousser le paradoxe jusqu’à affirmer qu’une école sans enseignants arriverait à des résultats identiques à ceux d’une école normalement dotée ? Nous savons tous que les résultats et les difficultés varient fortement entre établissements ayant un recrutement scolaire identique et que la cohérence et le dynamisme variables des équipes enseignantes n’y sont pas pour rien. Les évaluations d’établissement effectuées par le ministère en témoignent. Un nouvel exemple en est donné dans nos colonnes : le 13 février, cinq classes d’hellénistes ont échangé en grec ancien sur Internet à l’occasion des J.E.M. de l’académie de Versailles. Cette manifestation associait aussi bien les enfants des cités de Gennevilliers que ceux des résidences de Saint-Cloud. Elle montre que le dynamisme de certains enseignants, l’utilisation des TICE peuvent être un levier de réussite scolaire en ZEP.
Certes on ne généralisera pas sur cet exemple. Aucune étude n’a pu établir l’efficacité des TICE. Peu se sont penchées sur le produit des différentes méthodes pédagogiques. Pourtant on commence à savoir qu’il y a des actions pédagogiques efficaces contre la violence. On sait aussi que certaines méthodes pédagogiques sont plus efficaces que d’autres. Alors qu’ils sont mis en demeure de développer les sentiments civiques de leurs élèves et de régler « le malaise des banlieues », il est temps de redonner aux enseignants leur place et leur responsabilité dans les difficultés et les réussites du système éducatif. Ils ont, eux aussi, les clés de « l’école pour tous ».
François Jarraud