Le thème de ce nouveau numéro de VEI Enjeux devrait faire réfléchir les candidats à la présidentielle. En effet, dans son éditorial, Bernard Bier, rédacteur en chef de VEI Enjeux, a beau jeu de rappeler que, au moment où les ZEP « fêtent » leur vingtième anniversaire, de nombreux jeunes « restent sur la touche » de l’école républicaine. C’est à la recherche d’un nouveau projet républicain que partent les auteurs des 16 articles qui composent ce riche numéro.
Dans une première partie, nous entrons dans une analyse de la régulation scolaire et de sa ségrégation. Ainsi Agnès Van Zenten revient sur les caractères de « l’école de la périphérie ». Alors que les parents pratiquent une stratégie d’évitement de certains établissements, la relative autonomie qui leur est accordée est souvent utilisée pour renforcer la sélection et le fonctionnement d’un « marché scolaire ». Cela passe, par exemple, par la création de « classes protégées » au sein des établissements. Finalement « ces adaptations contribuent à renforcer les tensions internes entre les acteurs de l’éducation au niveau local ». L’auteur appelle donc à envisager d’autres modes de régulation. C’est illustré par un article de Laurent Clavier qui se base sur son vécu d’enseignant dans un établissement du 93. A travers une analyse savoureuse des problèmes rencontrés par l’établissement, il montre comment le souci de « prise en main » d’un lycée installé dans un quartier « sensible » aboutit à nier la cité environnante, à offrir un enseignement à deux vitesses aux élèves et à reporter les problèmes sur le personnel le moins élevé dans la hiérarchie (voir par exemple comment est réglé le problème des retards !).
Marie Duru-Bellat donne à la revue un bien bel article. Partant du constat des « Héritiers » de Bourdieu, M. Duru-Bellat montre que la reproduction sociale résulte largement des stratégies des familles (« il n’est pas suffisant d’être un « héritier » pour cheminer sans encombre »), c’est à dire, en plein, les choix des milieux privilégiés qui savent utiliser les « ficelles » du système, en creux, le peu d’exigence des familles défavorisées : « pour obtenir une orientation, il faut avant tout l’avoir demandée.. cela signifie que l’autosélection dont font montre les familles de milieu populaire ne sera pas corrigée ». Aussi , pour l’auteur, faut-il s’attaquer « aux raisons qui fondent les comportements des familles plutôt que de s’efforcer de les contraindre par des réglementations qui ne sont en fait appliquées qu’à l’encontre des plus faibles ». Cela passe par une politique de discrimination positive active en faveur des établissements en difficulté et, surtout, par « un discours politique sur l’école promouvant l’intégration sociale et culturelle et soulignant… les coûts sociaux de la marginalisation de certains groupes ». Ce défi aux politiques sera-t-il relevé ? Il semble plus commode en période électorale de tenir un discours sécuritaire…
Et la place des nouvelles pratiques pédagogiques et des TICE dans tout cela ? Clairement Jean-Yves Rochex (Paris VIII) les condamnent : « La très large diffusion des thématiques de l’épanouissement, du respect des différences et des rythmes, de l’expression, du ludique, de l’autonomie, du projet ne mérite-t-elle pas d’être interrogée quant à ses .. effets sociaux ? ». Les pédagogies nouvelles sont accusées d’être « élitaires » voire de contribuer à « une dilution de l’exposition à l’apprentissage ». Il nous a semblé pourtant que l’échec de ces établissements était aussi l’échec de la pédagogie traditionnelle. Il est affligeant de constater que, dans ce numéro, la pédagogie n’est abordée que sous l’angle de la défense du traditionalisme alors que de nombreux exemples montrent que des établissements en ZEP améliorent leurs résultats par une refonte de leurs pratiques pédagogiques.
La dernière partie de la revue est bien consacrée à « une pédagogie de la réussite ». Ainsi X. Chryssochoou, M. Picard et M. Pronine démontrent , exemples à l’appui, que les représentations de l’échec scolaire chez les enseignants peuvent influencer les résultats des élèves. Cette approche est intéressante. Mais elle ne rééquilibre pas un numéro qu’on aurait aimé plus ouvert sur l’innovation pédagogique.
François Jarraud
L’école pour tous : quel avenir ?, VEI Enjeux, n°127 décembre 2001, Paris, CNDP, 231 pages.