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 L'Echec scolaire vu par ...

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Refus de l'échec scolaire - 2009 > Messages > Yves Scanu

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Yves Scanu

Exerçant depuis plus de 15 ans, dans une école maternelle située dans un quartier défavorisé de la ville Saint-Étienne j’accompagne dans leurs apprentissages des enfants âgés de deux à cinq.

Je ne devrais pas dire « je » d'ailleurs car en fait nous sommes une petite équipe de quatre enseignants dont trois travaillent ensemble depuis 15 ans. Le vocable « difficultés scolaires », « élèves en échec » nous l'avons souvent mis de côté ; à l'instar de Mireille Brigaudiot nous préférons plutôt dire « enfants prioritaires ». Et ainsi, nous nous confrontons à la difficulté d'enseigner. En effet, ne serait-il pas plus juste d'appréhender les choses sous ce nouvel angle. Il est fort probable qu'un nombre conséquent d'élèves est capable d'apprendre, de progresser quelles que soit la pédagogie adoptée par leurs enseignants. Et cette facilité que nous rencontrons avec la majorité, nous leurre nous autres enseignants et nous laissent parfois impuissants face à certains enfants, pour qui, apprendre ne coule pas de source.

Ces 15 années vécues auprès de ce public très défavorisé nous a contraint à toujours être à la recherche de nouvelles stratégies pour aider c’est tout jeunes élèves dans la construction de leurs apprentissages.

Une des difficultés majeures est de les enrôler dans les diverses situations que nous pouvions leur proposer. Nous avons rapidement compris que le soutien des parents était un levier pertinent. Il nous fallait les enrôler aussi, leur expliquer ce qu'est l'école maternelle, en faire des alliés pour nous aider à accompagner leur enfant. Emmener son enfant à l'école et lui dire : « tu vas bien courir, tu vas bien jouer, bien rigoler avec les copains… » ou lui dire : « quel travail vas-tu faire, que va vous apprendre la maîtresse… » ces deux discours opposés vont forcément avoir un impact très différent sur la manière dont l'élève va se projeter dans sa matinée.

C'est pourquoi nous avons construit différents dispositifs pour rendre visible l'école et le travail que nous devons mener avec nos élèves.

Tout au long de nos 15 années dans cette école nous avons mené diverses actions, certaines furent de véritables impasses, d'autres nous semblent avoir eues des effets positifs. Je vais essayer de vous les exposer.

Au tout début, l’objectif en direction des parents que nous nous étions fixés étaient de «les faire participer». Nous n'avions que ce mot à la bouche, il faut qu'il « participe ». Et nous avons bien sûr inventé divers dispositifs. Le premier que nous avons subi était une proposition du REP (réseaux éducation prioritaire) : une animatrice de quartier sollicitait les mères d'élèves pour qu'elles viennent confectionner des gâteaux avec un petit groupe d'élèves au sein de l'école. Je dis bien que ce dispositif nous l'avons subi et ceci pour une double raison d'une part c'était une action du REP dont il était difficile de se soustraire et d'autre part nous n'avions aucune relation avec ces parents et nous ne leur parlions aucunement d'école. Cette pseudo-participation à la vie de l'école se résumait à entrer dans l'école pour faire un gâteau avec son enfant. Il nous a fallu une grande énergie pour remettre en cause cette animation proposée à toutes les écoles maternelles du quartier. À force de conviction nous avons pu faire évoluer ce dispositif en confectionnant nous-mêmes les gâteaux avec les élèves, les parents libérés de cette contrainte ont trouvé l'idée très bonne. Nos collègues des autres écoles du quartier ont mis plus de temps à se défaire de cette action mais ils ont fini par faire le même constat que nous.

Nous nous sommes à la suite de cette expérience égarés sur une autre mauvaise piste que cette fois nous avions inventé tout seul. Avec toujours cette idée fixe « de la participation des parents » nous avons mis en place des activités autour du livre, animées, par parents et enseignants. Elles se déroulaient une fois par semaine dans chacune des trois classes de l'école et nécessitaient la présence régulière de trois ou quatre parents. Divers ateliers étaient proposés aux élèves : prêt de livres, coin écoute, présentation d'albums, jeux autour du livre etc.. Nous avons déployé une énergie folle pour la mise en place de cette expérience. Nous avons, dans un premier temps, enrôlé un nombre non négligeable de parents (à l'époque nous n'avions pas mesuré le nombre conséquent de parents qui restaient sur le bord du chemin). Toutefois, cet investissement lourd que nous réclamions aux parents n’a fini par être assumés que par un tout petit nombre d'entre eux. Cet état de fait a entraîné un climat de tension entre les parents qui s'investissaient et ceux « qui se désintéressaient ». Nous avons eu la lucidité de ne pas nous entêter trop longtemps et d'abandonner cette action. Ce n'est qu'après coup que nous avons pris conscience que cette action ne pouvait bien évidemment atteindre que les parents qui avaient du temps disponible mais également une certaine facilité autour du livre. Ce qui au regard du public nous accueillons n'est absolument pas la norme. Cette proposition nous faisait plus reculer qu'avancer, elle repoussait en dehors de l'école les parents qu'on voulait y faire entrer.

C'est à cette même époque que sont arrivés les aides éducateurs qui ont été des adultes supplémentaires nous permettant de travailler de façon différente et ainsi nous offrir la possibilité de scinder notre groupe classe. (Même si je n'oublie pas que c'était des jeunes sans formation avec un statut très précaire et si pour certains leur passage à l'éducation nationale a été un tremplin pour d'autres ce ne fut absolument pas le cas).

Cette expérience qui s'est révélée infructueuse nous a permis de mieux comprendre les parents, mais aussi toutes les maladresses que nous avons commises. Notre volonté aveugle de faire participer tout le monde butait contre cette impossibilité « que tout le monde » avait de participer du fait de soucis matériels pour les uns et plus personnels pour les autres.

À partir de là, les actions menées en direction des parents avaient pour objectif central « il faut que nous leur montrions comment fonctionne l'école, comment nous tentons de faire que les enfants apprennent ».

Ce fut la mise en place du classeur « je grandis » recueil des pièces témoins de l'apprentissage des enfants qui devaient remplir deux conditions être lisibles pour les enfants et leurs parents.

Le temps d'accueil dans la classe qui est bien sûr un temps de transition nécessaire à l'école maternelle a également été mis à profit pour que les parents y voient leurs enfants grandir, que ceux-ci leur montrent ce qu'ils apprennent à l'école mais aussi que l'enseignant(e) explique aux parents ce qui se passe dans la classe, comment elle aide les élèves etc.

Avant l'injonction ministérielle de Ségolène Royale qui a tenté d'instaurer la semaine des parents à l'école nous avons institué une semaine « portes ouvertes ». Le propos de cette action était d'accueillir les parents par petits groupes dans la classe de leur enfant pour qu'il puisse vivre une matinée ou un après-midi de classe ordinaire. L'ouverture de cet espace a rencontré un vif succès à ces débuts et a suscité de réels échanges qui ont contribués à l'instauration d'une véritable relation de confiance entre parents et enseignants. Ce dispositif qui perdure toujours ne fait « plus autant recette » les anciens parents ont le sentiment de ne plus avoir grand-chose à découvrir. Toutefois près de 60 à 70 % des parents y participent encore.

Une autre action que nous menons depuis quelques années est le rendez-vous individuel annuel. D'une façon très formelle et systématique, nous proposons à tous les parents de prendre un temps d'échange sur la scolarité des enfants et ceci une fois par an. Ce quart d'heure que nous prenons avec chaque parent pour parler de son enfant est un temps fort apprécié par la majorité d'entre eux et le tableau d'inscription aux rendez-vous est rapidement renseigné. Je crois qu'à la différence d’une réunion de parents ou le discours tenu par l'enseignant reste forcément très généraliste parfois un peu jargonnant (même si on s'en défend) l'intérêt n'est pas comparable. En effet, prendre un quart d'heure pour parler en tête-à-tête avec l'enseignant de la scolarité de « l’élève » mais aussi de l'enfant à la maison et ceci en dehors de toute convocation permet un échange riche. S’apercevoir que nous poursuivrons les mêmes objectifs, comprendre que c'est notre action commune et si possible complémentaire qui sera le plus bénéfique pour aider l'enfant à grandir est primordial pour que nos actions se conjuguent efficacement.

Bien d'autres actions parents enseignants sont proposées au sein de l'école et de nouveaux projets sont en perspective.

Si nous avons le sentiment que ce travail entrepris en direction des parents a un effet très positif sur le climat de l'école, au niveau des résultats scolaires il apparaît sans effet. C'est à présent dans cette direction que nous comptons nous mobiliser et nous sommes à la recherche d'un partenariat pour aménager notre dispositif, le modifier, l'améliorer voir identifier les effets contradictoires qu’il pourrait produire.

Pour finir, depuis quatre années notre école a été transformée en école d'application nous avons de ce fait côtoyé un autre public que celui de notre quartier défavorisé, lors de visites de stagiaires ou de rencontres avec nos autres collègues formateurs.

Sortir de notre zone d'éducation prioritaire a été parfois violent. Violent quand on constate l'énorme écart au niveau de la maîtrise de la langue entre deux bambins du même âge qui habitent dans deux quartiers différents distend parfois d’à peine 1 km mais issus de milieu social très éloigné. Cette inégalité de départ semble être une réelle difficulté.

On pourrait s'en arrêter à ce constat et se résigner. Le quotidien de notre travail en ZEP aujourd'hui RAR (réseau ambition réussite) nous a permis de constater que certains de nos élèves prioritaires dépasser leurs difficultés et nous permet donc de persister.

Nous nous heurtons toujours à la dure réalité les évaluations institutionnelles indiquent inlassablement, qu’en moyenne, nos élèves ont des résultats nettement inférieurs à la moyenne nationale. S'il est certain que l'école ne peut pas tout car parfois la réalité quotidienne de certains enfants est difficilement compatible avec les apprentissages nous somme persuadés qu'elle doit et peut avoir un rôle efficace pour les aider. Le travail avec les parents d'élèves est très certainement un levier dont il faut savoir se servir bien que nous n’y sommes pas toujours très bien formés.

Mais là aussi la prise de conscience semble réelle même si la réforme de la formation des enseignants n'est pas là pour nous rassurer.

YVES SCANU



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